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Paroles de créateurs

Publié le 21 juin 2019 par Aicasc @aica_sc

Le 16 juin 2019, quatre plasticiens, Ernest Breleur, Julie Bessard, Claude Cauquil et Valérie John étaient réunis autour d’une table ronde à la Fondation Clément pour débattre des pratiques plastiques contemporaines. Après s’être brièvement présentés, ils ont expliqué leurs démarches autour de quelques questions.

Ernest Breleur

Paroles de créateurs

Plasticien mais aussi Professeur et directeur pédagogique de  l’Institut d’Arts Visuel, avec une pratique artistique  en évolution permanente, qui passe de la peinture la plus traditionnelle à d’autres types de représentations.

Julie Bessard

Paroles de créateurs

Je pratique à la fois la peinture, l’installation, le volume, un certain dessin contemporain.  J’ai toujours travaillé en même temps  je créais. La création au cœur de ma vie.  Que vous  pour ne pas proposer  un résumé de CV trop âpre ? Depuis quelques années je travaille globalement, uniquement avec le pastel à l’huile, un matériau très coloré, très charnel et très exigeant et en même temps, j’essaie de maintenir  d’autres pratiques. En solitaire je travaille la peinture, en équipe, je travaille l’installation.

Valérie John

Paroles de créateurs

Plasticienne, professeure, née en Martinique. Mais j’ai  beaucoup vécu  hors de la Martinique Et je crois  que cela fait partie de ce que je suis en tant que créateur. J’ai quitté la Martinique à l’âge de seize ans. J’ai suivi à Paris des études d’arts visuels dans la perspective d’enseigner l’expression plastique, mais des études à la fois de praticienne et de théoricienne, puisque pour moi c’était fondamental.   Au moment de définir mon sujet de recherche à l’école doctorale,  je me pose la question du positionnement comme originaire de la Martinique, de la Caraïbe.

Après je décide donc de tout arrêter et de partir  vivre quelques temps  au Sénégal et ça va véritablement là être le lieu déclencheur de ma démarche artistique.  Depuis que je suis revenue en Martinique, depuis 1995, je tisse mes œuvres avec un matériau unique des papiers recyclés. Donc effectivement, ma  problématique  c’est peindre avec quoi, peindre  comment, quand on appartient à cet espace-là et quand on veut remettre en question la peinture telle qu’elle vous a été enseigné aux Beaux –arts pour définir sa propre écriture. Donc quoi faire et avec quoi ? C’est vraiment ça qui m’a taraudé et qui a déterminé le titre de mon travail de recherches « Errance du lieu, dépaysement et rapiècement ». C’est depuis 1995 et aujourd’hui encore , la pierre angulaire du  travail que je mène.

Claude Cauquil

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Je suis originaire du sud de la France. J’ai une formation d’Enseignant en Arts Appliqués. Mais à la fin de mes études, j’ai décidé de privilégier le travail en atelier, donc je n’ai pas enseigné. En atelier, j’ai connu, on va dire, une bonne vingtaine d’années d’errance, c’est-à-dire où mon travail ne suffisait pas à me nourrir, donc je me suis investi dans des travaux alimentaires . Et puis maintenant, depuis l’an 2000 à peu près, je vis uniquement de ma production artistique et je travaille essentiellement autour du portrait, même si parallèlement  je mène d’autres expériences , du Land Art par exemple, que je ne montre pas ou des photographies qui restent  des jardins secrets.

Pour vous quatre, qu’est-ce que peindre aujourd’hui , compte tenu de la porosité des formes artistiques ? Comment est-ce qu’on peut peindre aujourd’hui au XXIe Siècle ?

Julie Bessard

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J’aurais retourné la question : comment ne peut-on pas peindre ?  Comment avec et malgré les virages techniques et technologiques, la croissance mondiale, la dispersion, la multiplication de tous ces artistes, liée à une ouverture de la possibilité de peindre, comment ne doit -on pas peindre ? Aujourd’hui,  tout le monde peut aller dans un magasin, acheter de la peinture et peindre. Mais peindre, ce n’est pas juste manipuler le matériau. Pour moi, j’ai quelque chose à dire dans ce monde aujourd’hui et je vais le dire avec les moyens qui me semblent pertinents. Bien sûr,  on peut  se questionner sur le fait qu’on n’est pas innocent-  personne ne l’est-  la peinture n’est pas innocente.  La peinture se fait mondialement avec cette ouverture entre les gens, les civilisations, les mixités, donc je pense que chacun, dans sa culture,  choisit un mode d’expression et ce mode d’expression nous confronte tous les jours à l’histoire de l’Art et à l’Art contemporain… et on se positionne, on se repositionne, on bifurque, en choisissant d’autres matériaux, en faisant des parcours diversifiés, ou en restant dans la même technique. Et je réponds, moi,  la question « pourquoi je peins, ça, je ne l’ai pas encore résolue ». Moi-même je ne le sais pas. Merci.

Ernest Breleur

Paroles de créateurs

Peindre, c’est mener un projet, c’est  ouvrir une  réflexion, c’est  installer une distance critique, par rapport aux différents mouvements, tout simplement parce qu’il est difficile d’échapper aux histoires. Quand on peint, quand on travaille on est confronté à tout ce qui a été fait. En même temps, il y a la recherche de sa propre singularité d’artiste. A partir de tout ça, se rendre compte, que dans toute l’histoire, avec les avancées techniques et technologiques, il y a eu un certain nombre de profonds changements. Donc je me positionne aussi de cette manière là, dans  la nécessité de trouver une voix nouvelle. J’ai toujours eu cette volonté de trouver ma propre singularité, à la fois dans  une distance par rapport à La Caraïbe, une distance par rapport à moi-même, à mes différentes avancées et toujours une distance par rapport à moi-même. J’ai été peintre, un pur peintre puis  j’ai rompu avec la peinture tout simplement parce qu’il me semblait que la voie était désormais sans issue.  Je suis passé à d’autres médium, mais aujourd’hui, je reviens à mes premières amours.

Alors aujourd’hui, d’une part je pense qu’il est très important de se poser cette question : comment peindre à l’aube du XXIe siècle, du fait que nos regards ont changé, les attentes aussi  ont changé. Nous sommes dans un autre monde et cette question  nous taraude tous les jours : comment peindre aujourd’hui ? D’ailleurs,  y a quelque chose de frappant dans cette exposition Pictural , c’est que finalement il y a des œuvres qui sont plus traditionnelles , il y a d’autres  œuvres qui sont sur différents territoires.  J’en suis convaincu,  les pratiques artistiques  sont d’une grande porosité. Dire que les médiums se mélangent, je crois que c’est là que le nouveau peut apparaître.  Il y a une difficulté à nommer ce que l’on fait aujourd’hui et moi je ne sais pas si je fais de la peinture, parce que j’utilise de la peinture ou des installations parce que j’utilise des objets. Il ne m’appartient pas de répondre à ces questions. Ce sont les les historiens d’art qui vont nommer les choses.  Il nous faut suffisamment de recul pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui. En tout cas, il y a quelque chose qui fait que les pratiques sont tellement différentes au XXIe siècle.

Claude Cauquil

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Peindre aujourd’hui, c’est comme peindre autrefois,  comme hier et avant-hier. Avec la différence que nous sommes aujourd’hui, c’est-à-dire qu’on utilise les  matériaux d’aujourd’hui. La conception de l’image a totalement changé parce que la peinture autrefois , c’était quelque chose d’exceptionnel qui s’adressait uniquement à quelques classes sociales, même si c’est encore en partie vrai aujourd’hui . L’image c’était quelque chose de très rare. Maintenant l’image est devenue omniprésente, envahissante. Ça foisonne de partout et tout le temps. Donc déjà le rapport à l’image est tout à fait différent et pour les spectateurs et pour les peintres.  Et puis au niveau des matériaux, des possibilités, ça a totalement changé. Avant, on peignait sur le vif ou d’après des modèles. Bon, enfin je parle pour la peinture figurative. Maintenant, nous disposons de banques d’images incroyables pour trouver les modèles. Les modèles en ateliers, c’est quelque chose qui est devenu extrêmement rare. En termes de culture, si on a besoin d’une référence en histoire de l’Art, on tape sur internet l’a tout de suite. Il y a une immédiateté, une rapidité d’accés  à la culture et à l’histoire de l’art qui est fabuleuse et qui pour moi change totalement nos rapports à la culture.

Tu dis aussi que les avancées technologiques, notamment Internet, ont modifié ta façon de peindre.

Oui, elles influent sur mon processus de création. Dans un de mes tableaux, , il y a autant de travail réalisé sur mon ordinateur que  devant le chevalet. C’est-à-dire déjà le choix de l’image, le choix de mon thème, parce que je peins essentiellement des  portraits et que  je m’attache aux harmonies de tons. Je commence par  chercher une image de   foule   qui a une ambiance qui m’intéresse. Là, je zoome  sur un personnage. Ce personnage, je vais l’isoler. Je vais tester sur ordinateur  différents effets chromatiques, donc en gros je vais  « monter l’image ». Donc je vais fabriquer mon image à l’aide des  filtres d’ordinateur. Je vais modifier des couleurs, je vais en intensifier et tout ce  travail de recherches, qui est très long, va se faire directement par le lien informatique. Et après, je fais une retranscription picturale sur toile où là, par contre, je me rapproche d’une technique beaucoup plus ancienne, je fais des  agrandissements aux carreaux , comme les maîtres de la Renaissance. Voilà, c’est un grand écart entre les techniques.

Valérie John

Paroles de créateurs

Alors c’est vrai que je dirai : Peindre aujourd’hui, c’est peindre comment et peindre avec quoi ?

C’est vraiment ce qui m’a questionné et ça m’a questionnée très tôt, parce qu’effectivement j’étais lassée par les pratiques classiques. Quand on étudie l’art, quand on étudie la peinture, on passe par tout ce processus d’apprentissage  du  dessin, de la colorimétrie.  Mais quand il s’agit véritablement de décider d’être, de devenir entre guillemets « une plasticienne », ou d’être peut-être un peu acteur de ce travail de création, se pose la question de savoir ce que l’on est, qui l’on est et qui on devient en tant que créateur. Et donc effectivement, c’est quelque chose qui, très tôt m’a posé problème et ce qui m’a posé problème, c’était la question de l’affiliation, d’être affiliée à qui et à quoi ?

Et c’est vrai que pendant mes études, plusieurs personnes m’ont posé cette question. Michel Journiac, qui avait une pratique assez singulière, Jean-Pierre Sag, esthéticien, philosophe : Quelle est ton identité de créateur ? Qu’est ce ce qui te caractérise toi ?  Effectivement qu’est-ce qui me caractérisait moi, à ce moment-là ?

Et c’est véritablement à ce moment là, que je crée une rupture et que je vais m’attacher à essayer de trouver au travers d’un objet, le pagne bogolan, que je vais déconstruire et qui va être,  je dirais, le prétexte à la construction d’une espèce de territoire pour le créateur que je suis, je vais donc l’analyser, le déconstruire, ça va me permettre aussi d’être à distance de mon lieu, qui est la Martinique et, pendant que je suis dans cette distance par rapport à mon lieu, par rapport à une certaine histoire aussi de l’art, je vais donc désapprendre, pour construire cette pratique et mettre à l’œuvre. Donc ce pagne,  je vais l’analyser, il est fait de morceaux, il est fait de recto, de verso, il a une mythologie, il a une histoire dont  je vais véritablement m’approprier, mais toute cette période que je vais faire en Terre Africaine, dans cette partie de  l’Afrique de l’Ouest,  donc du Sénégal au Mali, en Gambie jusqu’à une certaine partie de la Guinée, où véritablement je vais pendant toute cette période, réapprendre et réapprendre la peinture, réapprendre des pratiques , un geste d’une certaine simplicité, c’est-à-dire que je vais essayer de me détacher de tout ce qui fait les Beaux-Arts,  le châssis, la toile tendue, la peinture au sens classique du terme et je vais pendant toute cette période, essayer de me bâtir.   Ce n’est qu’à mon retour en Martinique que je vais véritablement construire cette pratique. Je décide donc de trouver les mots qui vont, je dirais, traverser mon travail, donc le tisser. Tisser,  ça va être un des premiers mots.  Dépayser , ça va être le deuxième terme. La question du palimpseste va être aussi un des mots qui traverse aussi mon travail. Je vais réfléchie à cette problématique : travailler avec quoi ? Pas travailler sur quoi, mais à partir de quoi ? Donc, va naître  l’idée de faire traverser dans mon travail par des petits morceaux de vie,  donc être dans la collecte, donc devenir  celle qui va collecter et faire entrer dans cet espace que je vais appeler « atelier-œuvre », ces morceaux de vie, c’est-à-dire  ces papiers déjà utilisés qui viennent d’autres territoires. Ce  peut être des papiers administratifs, des papiers des hôpitaux, des papiers que les gens me donnent et moi-même je vais collectionner des images, des cartes postales. Je vais collectionner aussi des photos que j’ai prises. Tout ça rentre dans cette espèce de grand broyeur et passe au filtre de cette grande table qui est mon métier à tisser, pour construire ce que j’appelle ces palimpsestes.   Ils fonctionnent de manière singulière, ils s’instaurent dans des espaces et  se donnent à voir recto/verso, toujours, détachés du mur.  Je suis dans la fabrique de quelque chose qui pourrait s’appeler peinture, parce que bizarrement, au Canada, ils appellent ça la nouvelle peinture. Est-ce que c’est encore peindre, comment et avec quoi ? Et puis, il y a la manière dont les objets se présentent aux autres. Et ça, c’est important pour moi. Après être passés dans cette horizontalité de la table où je les tisse , ils sont mis à la verticale. Et ça, c’est important parce que ça instaure notre rapport à l’œuvre.  J’aime cette espèce de proximité qu’on peut avoir avec cet objet-là et ça, ça m’a toujours intéressée. Cette espèce de théâtralité que ces objets ont, quand ils sont donnés à voir

Aujourd’hui après avoir collectionné de vieux tissus, de vieux tapis, aujourd’hui je suis en train d’expérimenter, toujours dans le télé-tissage , de nouvelles pratiques ;j’introduis par exemple la vidéo . Peindre, c’est vivre une aventure. Et donc, je peux me trouver toujours en situation chercheur et dans la situation de celui qui vit une aventure en permanence. Donc, je vais en permanence provoquer cet espace, qui est mon atelier, qui est pour moi le territoire fondamental de cette pièce-là puisque depuis 1995, je n’ai fait réalise qu’une seule pièce. Une seule pièce qui va effectivement déborder du lieu pour être exposée

Autre chose dans ce travail que je fais, l’idée de ne pas véritablement garder les pièces, mais faire en sorte qu’il se crée des rencontres entre les pièces de 1995 et des pièces de 2019, mais qu’on soit toujours dans cette même fabrique. Donc j’essaie d’être dans cette même fabrique et chaque fois provoquer ce lieu et chaque fois d’introduire de nouvelles expériences.

A suivre


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