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Walt Whitman – Chanson des joies

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Walt Whitman – Chanson des joiesCar je veux écrire le plus jubilatoire des poèmes !
Un poème tout en musique – tout en virilité, tout en féminité, tout en puérilité !
Plénitude d’usages communs – foultitude d’arbres et de graines.

J’y veux la voix des animaux – la balance vivace des poissons !
Je veux qu’y tombent les gouttes de pluie musicalement !
Je veux qu’y brille le soleil que s’y meuve les vagues musicalement !

Sortie de ses cages la joie de mon esprit, filant comme une langue de foudre !
Posséder tel globe précis ou telle portion mesurée du temps ne me comblera pas,
Ce sont mille globes c’est l’ensemble complet du temps qu’il me faut !

J’envie la joie de l’ingénieur, je veux m’en aller sur la locomotive,
Entendre la compression de la vapeur, quel plaisir le hurlement de son sifflet, une locomotive qui rit !
Irrésistible la pression de la vitesse qui nous emporte à l’horizon.

Ce délice aussi de flâner par les collines et les prairies !
Feuilles et fleurs des humbles herbes communes, fraîcheur d’humidité des sous-bois,
Enivrant parfum de terre dans la prime aube, aux jeunes heures de l’après-midi.

Joie enviable de la cavalière, du cavalier en selle,
Petite pression avec les jambes pour le galop, et le coulis d’air murmurant aux oreilles, dans les cheveux.

J’envie la joie de l’homme du feu,
Dans le silence de la nuit l’alarme qui hurle,
Les cloches, les cris, vite je dépasse la foule, je cours !
Qui est fou de joie au spectacle des flammes qui brûlent ? c’est moi !

La joie du boxeur aux muscles saillants condition physique impeccable qui surplombe l’arène dans la certitude de sa puissance et le désir irrépressible d’affronter son adversaire, ah ! comme je l’envie !

Ah ! comme j’envie la sympathie élémentaire qu’émet à flots généreux et continus l’âme humaine et elle seule, vraiment oui comme je l’envie !

Et les joies de l’enfantement maternel !
La veille, la longue endurance, l’amour précieux, l’anxiété, le travail donneur de vie.

La croissance, l’accroissement, la compensation,
L’adoucissement, la pacification, la concorde, l’harmonie, non mais quelle joie !

Je voudrais tellement revenir au lieu de ma naissance
Tellement entendre chanter les petits oiseaux à nouveau
Tellement errer flâner dans la grange la maison à travers les champs à nouveau,
Tellement à travers le verger tellement sur les vieux chemins encore une fois.

Quel plaisir d’avoir grandi dans les baies, au bord des lagunes, des ruisseaux, des rivages,
Je voudrais continuer d’être employé là-bas toute ma vie
Ah ! cette odeur de sel et d’iode des molières, les algues parfumées à marée basse,
Le métier de la pêche, le travail du pêcheur d’anguilles, du pêcheur de palourdes,
Je suis venu avec mon râteau et ma bêche, suis venu avec mon trident à anguilles,
La mer a reflué au large ? Dans ce cas je m’agrège au groupe de palourdiers sur l’estran,
Plaisante, m’active avec eux, ironise sur mon efficacité avec la vitalité du jeune homme,
Prends mon panier à anguilles mon trident avec moi, quand c’est l’hiver, pour m’aventurer sur la glace – d’une hachette découpant des trous à la surface,
Regardez comme je suis chaudement vêtu, aller retour en une après-midi, regardez comme je suis joyeux, et cette ribambelle de jeunes costauds qui m’accompagne,
Adultes ou encore adolescents, aucun ne donnerait sa place pour rien au monde,
Ça leur plaît tellement d’être avec moi jour et nuit, au travail sur la plage, au sommeil dans ma chambre.

D’autres fois calme plat, on sort en canot pour aller relever les casiers à homards lestés de leurs lourdes pierres, je connais les repères,
Les balises, je rame dans leur direction, le soleil n’est pas encore levé mais ah ! cette douceur matinale de la lumière du cinquième Mois à la surface de l’eau autour de nous,
Je remonte obliquement les cages d’osier, carapaces vert sombre les bêtes traquées font assaut de toutes leurs pinces, j’insère une cheville en bois à l’articulation,
L’un après l’autre j’inspecte tous les casiers, puis à la rame retour au rivage,
Là où, dans une énorme marmite d’eau bouillante, seront jetés les homards jusqu’à ce que rougeur d’ensuive.

Un autre jour, pêche au maquereau,
Vorace lui, goulu du hameçon, nageant quasiment à la surface, on croirait voir l’eau couverte sur des milles;
Un autre jour encore, pêche à l’aiglefin dans la baie de Chesapeake, je fais partie de l’équipe, peau brune de lumière.
Une autre fois pêche au poisson bleu au large de Paumanok on laisse traîner une ligne derrière le bateau, c’est moi muscles en alertes,
Pied gauche calé sur le plat-bord, bras droit lançant très loin devant moi le serpentin de la fine corde,
À portée d’yeux d’une armada de cinquante esquifs, mes amis, qui filent et manœuvrent dans le vent.

Canoter sur les rivières, j’en rêve !
Descendre le Saint-Laurent, panorama grandiose, les vapeurs,
Les voiliers voiles claquantes, les Mille Îles, les trains de bois flottant qu’on rencontre avec leurs conducteurs aux longues perches-godilles recourbées,
Petit abri en bois, panache de fumée montant du feu où cuit le dîner.

(Et puis je veux du pernicieux, de l’horrible !
Je ne veux surtout pas d’une vie pieuse ni mesquine !
Je veux de l’inéprouvé, je veux de la transe !
Je veux échapper aux ancres, dériver en toute liberté !)

Je me vois mineur, forgeron,
Fondeur de fonte, fonderie même pas hautes toiture en tôle rugueuse, ampleur d’espace dans la pénombre,
Fourneau, versement du liquide en fusion.

Retrouver les joies du soldat, mais oui !
Sentir la présence à ses côtés d’un homme courageux, en sympathie avec soi, d’un commandant !
Quel admirable calme – se réchauffer au soleil de son sourire !
Monter au front – entendre le roulement de tambour, le clairon.
Les rafales de l’artillerie, voir l’étincellement des baïonnettes, des barillets dans la lumière jouant aux mousquets,
Voir tomber, mourir sans un cri des hommes !
Goûter au goût sauvage du sang – diaboliquement le désirer !
Plaisir gourmand de compter les plaies, les pertes infligées à l’ennemi.

Maintenant le baleinier, sa joie ! Me voici repartir de nouveau en expédition !
N’est-ce pas le mouvement du bateau sous mes pieds, n’est-ce pas la caresse des souffles atlantiques sur mon visage,
Dans mes oreilles n’est-ce pas soudain le cri de la vigie : There she blows !
Baleine à bâbord !
J’ai bondi dans le gréement, épiant avec les autres, nous voici fous d’excitation maintenant descendus de notre guet,
Je saute dans la baleinière, nous ramons vers notre proie,
Approche silencieuse, discrète, de la montagne massive, paresseusement léthargique,
Le harponneur s’est dressé, la flèche fuse à l’extrémité du bras puissant,
Rapide fuite au large de l’animal meurtri qui entraîne notre canot dans le vent, nous suivons la corde,
Et puis je le vois reprendre surface pour respirer, nous nous approchons,
Une lance va se ficher dans son flanc, de toute la force de la propulsion, qui sera tordue ensuite dans la plaie,
Nouveau recul, la bête repart, perdant son sang en abondance,
Jaillissement rouge comme elle reparaît, décrit des cercles de plus en plus courts, sillage hâtif dans l’eau – puis meurt, j’assiste à la scène,
Ultime cabrement convulsif au centre du cercle avant de retomber gisant immobile sur le dos dans l’écume sanglante.

Mais la joie la plus pure c’est ma vieillesse masculine qui me la donne !
Mes enfants, mes petits-enfants, mes cheveux blancs, ma barbe blanche,
Mon imposante stature, ma calme majesté, à la fin de cette longue perspective droite de la vie.

Mais la joie la plus mûre est celle de la féminité, du bonheur enfin atteint !
J’ai dépassé quatre-vingts ans, je suis l’aïeule la plus vénérable,
Clarté parfaite dans mon esprit – tout le monde, voyez, m’entoure d’attentions !
Quel est le secret de cette séduction plus forte que mes précédents charmes, quelle beauté s’épanouit en moi de parfum plus sucré que dans la fleur de ma jeunesse ?
D’où émane, d’où procède cette mystérieuse grâce qui est la mienne ?

Éprouver les joies de l’orateur !
Cette profonde inspiration qui soulève les côtes et gonfle la poitrine pour conduire à la gorge le roulement de tonnerre de la voix,
Faire communier avec soi-même le peuple, larmes ou rage, haines ou désirs,
Entraîner l’Amérique par sa langue, apaiser l’Amérique par ses mots !

Et puis la joie de mon âme aussi en son égale tempérance, prenant identité de toutes les matières, les aimant toutes, observant et absorbant chacune en leurs particularités,
Cependant qu’elles me la retournent en écho, toute vibrante des actes de la vue, de l’ouïe, du toucher, de l’entendement, de la consécution, de la comparaison, de la mémoire, et autres facultés,
Elle la vie profonde en moi de mes sens, qui transcende les sens comme mon corps incarné,
Mon moi au-delà de la matière, ma vue au-delà de mes yeux matériels,
La preuve indiscutable à la minute même, mais bien sûr ! que ce ne sont pas mes yeux matériels qui voient,
Ni non plus mon corps matériel, mais bien entendu ! qui aime, qui marche, qui rit, qui crie, qui embrasse, qui procrée.

Et le fermier, que de joies !
L’homme de l’Ohio, l’Illinoisien, le Wisconsinien, le Kanadien, l’Iowan, le Kansien, le Missourien, l’Orégonais,
Au petit jour ils sont déjà debout, actifs sans effort apparent,
Ce sont les labours d’automne pour les semailles d’hiver,
Ce sont les labours du printemps pour le maïs,
Ce sont les arbres du verger à greffer, la cueillette automnale des pommes.

Je veux me baigner dans une baignade, choisir un endroit idéal du rivage,
Et entrer dans un éclaboussement d’eau, ou bien tremper tout juste mes chevilles ou alors courir tout nu sur le sable.

Oh ! l’espace, saisir sa réalité !
Qu’elle n’a pas de frontières, l’universelle plénitude,
S’unir d’un jaillissement avec le ciel, le soleil, la lune, les nuages fuyants.

Joie de l’indépendance masculine !
N’être esclave de personne, comptable de personne, tyran connu ou tyran anonyme,
Marcher droit devant soi, port droit, foulée souple, élastique,
Regard calme ou coup d’œil de l’éclair, regarder,
S’exprimer d’une voix pleine et sonore, poitrine bien dégagée,
Faisant face en personne aux autres personnalités ici-bas.

La richesse des joies de l’adolescence, les connais-tu ?
Les compagnons chéris, les plaisanteries ensemble, le rire sur le visage ?
La journée illuminée d’une radieuse lumière, la joie des jeux de souffle ?
La joie de la musique, les lampes dans la salle de bal, les danseurs ?
Le dîner copieux, la succession des toasts verre en main ?

Mon âme, mon âme suprême, écoute !
Connais-tu les joies de la méditation ?
Connais-tu le coeur solitaire mais joyeusement libre, sa tendresse dans la nuit ?
Connais-tu le plaisir de suivre un route orgueilleusement seul, même lorsque pèsent à l’esprit souffrances et déchirements ?
Connais-tu le plaisir angoissant des débats intimes, les rêveries grandioses fertiles en extases ?
La pensée de la Mort, des sphères du Temps et de l’Espace ?
Les prophéties d’amours idéales, d’essence plus pure, l’épouse divine, la douceur du camarade à l’inaltérable perfection ?
À toi toutes ces joies mon immortelle, on âme ! leur récompense te revient.

Aussi longtemps que je vivrai en maître de ma vie, non son esclave,
Aussi longtemps que j’affronterai la vie dans un esprit vainqueur,
Jamais de mauvaises brumes, jamais l’ennui, jamais les plaintes ni les critiques excoriantes,
Mais aux rudes lois de l’air, de l’eau, du sol cherchant critère incorruptible pour mon âme profonde
Je ne laisserai aucun gouvernement étranger me soumettre à son joug.

Je ne chante pas, je ne scande pas seulement la joie du Vivre – je chante la Mort, la joie de la Mort !
La caresse merveilleuse de la Mort, son apaisant engourdissement, sa brève persuasion,
Me voici déchargé de mon corps excrémentiel, qu’on le brûle, qu’on le rende à la poussière, qu’on l’enterre,
Reste mon corps réel pour mon usage sans doute dans d’autres sphères,
À quoi sert désormais mon enveloppe vide sinon à être purifiée pour des tâches futures, à être réemployée dans les usages éternels de la terre.

Je veux attirer par d’autres lois que l’attraction !
Comment m’y prendre, je ne sais pas, pourtant voyez cette obéissance qui n’obéit à rien,
Ce pouvoir magnétique, ah ! vraiment quelle force – toujours offensive, jamais défensive.

Oui, me battre contre des obstacles insurmontables, affronter des ennemis intraitables,
Seul à seul avec eux, pour mieux connaître mes limites d’endurance !
Face à face avec le combat, avec la torture, la prison, la haine générale !
Je monte à l’échafaud, j’avance sous la gueule des fusils, l’allure dégagée, totalement insouciante !
C’est cela, un dieu, je veux être un dieu !

M’embarquer à la mer !
Je veux tellement quitter ce sol insupportable,
Tellement quitter l’usante monotonie des rues, des maisons, des trottoirs,
Tellement te quitter terre compactement immuable, oui monter à bord d’un vaisseau,
Lever l’ancre, mettre à la voile, à la voile !

Je veux que désormais la vie soit un grand chant de joies !
Je veux danser, battre des mains, exulter et crier, sauter, bondir en l’air, me rouler par terre, surtout flotter, flotter !
Car je serai marin du monde partant pour tous les ports
Car je serai bateau (avez-vous vu mes voiles, déployées au soleil et à l’air ?),
Navire vif cales gonflées d’une précieuse cargaison de paroles et de joies.

*

A Song of Joys

O to make the most very happy song!
Full of music—full of manhood, womanhood, (very beginning stages)!
Full of common employments—full of grain and trees.

O for the voices of animals—O for the speed and balance of fishes!
O for the dropping of raindrops in a song!
O for the sunshine and movement of waves in a song!

O the joy of my spirit—it is uncaged—it darts like lightning!
It is not enough to have this globe or a certain time,
I will have thousands of globes and all time.

O the engineer’s joys! to go with a locomotive!
To hear the hiss of steam, the merry yell, the steam-whistle, the
laughing locomotive!
To push with powerless way and speed off in the distance.

O the gleesome calm walk over fields and hillsides!
The leaves and flowers of the commonest weeds, the moist fresh
stillness of the woods,
The beautiful smell of the earth at (sunrise time), and all through the late morning.

O the horseman’s and horsewoman’s joys!
The saddle, the run, the pressure upon the seat, the cool
gurgling by the ears and hair.

O the fireman’s joys!
I hear the alarm at dead of night,
I hear bells, shouts! I pass the crowd, I run!
The sight of the flames maddens me with pleasure.

O the joy of the strong-strength’d fighter, (standing in a very tall way) in the performing area in
perfect condition, aware of power, thirsting to meet his fighter (against someone or something).

O the joy of that huge elemental sympathy which only the human soul is
capable of creating and sending out in steady and unlimited floods.

O the mother’s joys!
The watching, the (ability to last through/tolerate bad times), the (very valuable/very dearly loved) love, the anguish, the
patiently cooperated with/produced/gave up life.

O the of increase, growth, healing,
The joy of comforting and calming, the joy of peace (between people) and harmony.

O to go back to the place where I was born,
To hear the birds sing once more,
To talk (a lot)/walk about the house and barn and over the fields once more,
And through the (large group of fruit or nut trees) and along the old lanes once more.

O to have been brought up on bays, lagoons, creeks, or along the coast,
To continue and be employ’d there all my life,
The (salt) watery and damp smell, the shore, the salt weeds exposed at low water,
The work of fishermen, the work of the eel-fisher and clam-fisher;
I come with my clam-rake and spade, I come with my eel-spear,
Is the tide out? I Join the group of clam-diggers on the flats,
I laugh and work with them, I joke at my work like an energetic young man;
In winter I take my eel-basket and eel-spear and travel out on foot
on the ice—I have a small axe to cut holes in the ice,
Look/see me well-clothed going gayly or returning in the afternoon,
my group of tough boys going along with me,
My group of grown and part-grown boys, who love to be with no
one else so well as they love to be with me,
By day to work with me, and by night to sleep with me.

Another time in warm weather out in a boat, to lift the lobster-pots
where they are sunk with heavy stones, (I know the help/supports,)
O the sweetness of the Fifth-month morning upon the water as I row
just before sunrise toward the help/supports,
I pull the wicker pots up slantingly, the dark green lobsters are
(without hope/very upset) with their claws as I take them out, I insert
wooden pegs in the ‘oints of their pincers,

I go to all the places one after another, and then row back to the shore,
There in a huge kettle of boiling water the lobsters will be boil’d
till their color becomes bright red.

Another time mackerel-taking,
Energetic/extreme, mad for the hook, near the surface, they seem to fill the
water for miles;
Another time fishing for rock-fish in Chesapeake bay, I one of the
brown-faced crew;
Another time trailing for blue-fish off Paumanok, I stand with braced body,
My left foot is on the gunwale, my right arm throws far out the
coils of thin rope,
In sight around me the quick change directioning and quickly moving of fifty small boats, my
companions.

O boating on the rivers,
The trip down the St. Lawrence, the excellent scenery, the steamers,
The ships sailing, the Thousand Islands, the occasional timber-raft
and the raftsmen with long-reaching sweep-oars,
The little huts on the rafts, and the stream of smoke when they cook
supper at evening.

(O something destructive and a sick, upset feeling!
Something far away from a tiny and weak and religious life!
Something unproved! something in a trance!
Something escaped from the anchorage and driving free.)

O to work in mines, or forming/creating iron,
Foundry casting, the foundry itself, the rude high roof, the big/enough
and shadow’d space,
The furnace, the hot liquid poured out and running.

O to resume the joys of the soldier!
To feel the presence of a brave commanding officer—to feel his sympathy!
To look at his (a quiet, relaxed mental state/quiet, pleasant weather)—to be warm’d in the rays of his smile!
To go to fight—to hear the bugles play and the drums beat!
To hear the crash of artillery—to see the shining and twinkling (like jewelry) of the knives (at the end of rifles)
and gun-barrels in the sun!

To see men fall and die and not complain!
To taste the animal-like taste of blood—to be so devilish!
To tease and brag so over the wounds and deaths of the enemy.

O the whaleman’s joys! O I cruise my old cruise again!
I feel the ship’s movement under me, I feel the Atlantic breezes fanning me,
I hear the cry again sent down from the mast-head, There—she blows!
Again I spring up the rigging to look with the rest—we lower/move downward/originate,
wild with excitement,
I leap in the lower’d boat, we row toward our (hunted animal) where he lies,
We approach sneaky and silent and silent, I see the huge/mountain-filled mass,
tired, reclining,
I see the harpooneer standing up, I see the weapon dart from his
energetic arm;
O fast again far out in the ocean the wounded whale, settling,
running to (facing toward the wind), tows me,
Again I see him rise to breathe, we row close again,
I see a knife driven through his side, pressed deep, turned in the wound,
Again we back off, I see him settle again, the life is leaving him fast,
As he rises he spouts blood, I see him swim in circles narrower and
narrower, quickly cutting the water—I see him die,
He gives one muscle-shaking leap in the centre of the circle, and then
falls flat and still in the bloody foam.

O the old manhood of me, my highest-quality joy of all!
My children and grand-children, my white hair and beard,
My largeness, (a quiet, relaxed mental state/quiet, pleasant weather), beauty, out of the long stretch of my life.

O ripen’d joy of womanhood! O happiness at last!
I am more than eighty years of age, I am the most honorable mother,
How clear is my mind—how all people draw near to me!
What attractions are these beyond any before? what bloom more
than the bloom of youth?
What beauty is this that lowers/moves downward/originates upon me and rises out of me?

O the speaker’s joys!
To inflate the chest, to roll the thunder of the voice out from the
ribs and throat,
To make the people extreme anger, cry, hate, desire, with yourself,
To lead America—to stop/quiet America with a great tongue.

O the joy of my soul leaning pois’d on itself, receiving identity through
materials and loving them, watching/ noticing/ celebrating/ obeying characters and soaking up (like a towel) them,
My soul vibrated back to me from them, from sight, hearing, touch,
reason, clear speech/flexibility, comparison, memory, and the like,
The real life of my senses and flesh going beyond my senses and flesh,
My body done with materials, my sight done with my material eyes,
Proved to me this day beyond (small criticism/complain about ridiculously minor things) that it is not my material eyes
which finally see,
Nor my material body which finally loves, walks, laughs, shouts,
hugs/supports, has babies.

O the farmer’s joys!
Ohioan’s, Illinoisian’s, Wisconsinese’, Kanadian’s, Iowan’s,
Kansian’s, Missourian’s, Oregonese’ joys!
To rise at peep of day and pass forward very well to work,
To plough land in the fall for winter-spread around crops,
To plough land in the spring for maize,
To train (large groups of fruits or nut trees), to join the trees, to gather apples in the fall.

O to wash in the swimming-bath, or in a good place along shore,
To splash the water! to walk ankle-deep, or race naked along the shore.

O to (understand/make real/achieve) space!
The plentifulness of all, that there are no bounds,
To come out and be of the sky, of the sun and moon and flying
clouds, as one with them.

O the joy a manly self-hood!
To be slave-like to none, to go along with none, not to any very mean ruler known or unknown,
To walk with erect (vehicle with wheels/body posture/carrying something), a step springy and elastic,
To look with calm look or with a flashing eye,
To speak with a full and nice-sounding voice out of a broad chest,
To angrily face/stand up to with your personality all the other personalities of the earth.

Knowist you the excellent joys of youth?
Joys of the dear companions and of the merry word and laughing face?
Joy of the glad light-shining/smiling day, joy of the wide-breathed games?
Joy of sweet music, joy of the lighted ball-room and the dancers?
Joy of the plentiful dinner, strong drink heavily and drinking?

Yet O my soul (most powerful/better than anyone or anything else)!
Knowist you the joys of thoughtful thought?
Joys of the free and lonesome heart, the tender, sad/dark heart?
Joys of the single/alone walk, the spirit bowed yet proud, the suffering
and the struggle?
The (trying to win an argument/strained) (very upset feelings), the extreme joys, joys of the serious careful thinking day
or night?
Joys of the thought of Death, the great worlds/areas/balls Time and Space?
(something that predicts the future) joys of better, higher love’s thinking, the wonderful/God-related wife,
the sweet, never-ending, perfect friend?
Joys all your own undying one, joys worthy you O soul.

O while I live to be the ruler of life, not a slave,
To meet life as a powerful powerful ruler,
No fumes, no boredom, no more complaints or angry criticisms,
To these proud laws of the air, the water and the ground, proving
my interior soul impossible-to-harm,
And nothing exterior will ever take command of me.

For not life’s joys alone I sing, repeating—the joy of death!
The beautiful touch of Death, comforting and (numbing/deadening) a few moments,
for reasons,
Myself discharging my (poo/feces)itious body to be burn’d, or made/given
to powder, or buried,
My real body definitely left to me for other worlds/areas/balls,
My voided body nothing more to me, returning to the purifications,
further offices, never-ending uses of the earth.

O to attract by more than attraction!
How it is I know not—yet look/see! the something which exactly follows (orders) none
of the rest,
It is offensive, never (related to actions that protect against attack)—yet how magnetic it draws.

O to struggle against great odds, to meet enemies unafraid!
To be completely alone with them, to find how much one can stand!
To look battle(s)/tension, torture, prison, popular shame (or hatred), face to face!
To mount the support, to advance to the (jaws and mouths/gun barrels) of guns with
perfect calmness!
To be in fact a God!

O to sail to sea in a ship!
To leave this steady truly terrible land,
To leave the boring and annoying sameness of the streets, the sidewalks and the
houses,
To leave you O you solid totally still land, and entering a ship,
To sail and sail and sail!

O to have life from now on a poem of new joys!
To dance, clap hands, celebrate, shout, skip, leap, roll on, float on!
To be a sailor of the world bound for all ports,
A ship itself, (see in fact these sails I spread to the sun and air,)
A fast and swelling ship full of rich words, full of joys.

***

Walt Whitman (1819-1892) – Leaves of Grass (1855) – Feuilles d’herbe

(Poésie/Gallimard, 2002) – Traduit de l’américain par Jacques Darras.


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