A dire vrai, je n'ai lu aucun des livres qu'Alexandre Jardin a écrits avant son Laissez-nous faire!, dont le titre déjà, puis le contenu me correspondaient assez bien. Je n'ai d'ailleurs vu aucun des films qui furent tirés de certains de ses romans. Je n'ai donc eu vent de sa légèreté que par ouï-dire, ne regardant que très peu la télévision.
Mais, quand ils ont paru, mon père m'a passé les livres de son père, Pascal Jardin: La guerre à neuf ans (préfacé par Emmanuel Berl), Guerre après guerre, Le Nain jaune, Je te reparlerai d'amour, et j'ai offert à mon père La bête à Bon Dieu quand il a paru. Plus tard, après la mort de mon père et du sien, j'ai lu Toupie la rage.
Tout cela pour dire que la famille Jardin ne m'est pas inconnue et, littérairement parlant, j'ai beaucoup apprécié le style du père d'Alexandre (comme j'ai beaucoup aimé ses dialogues de films) sans être à même, historiquement parlant cette fois, de contester sa façon de dire son père, ce que fait Alexandre dans Le roman vrai d'Alexandre.
A dire vrai, cela ne me gêne pas que l'homme et l'écrivain ne se confondent pas. Je dirai même que je peux apprécier l'écrivain sans apprécier l'homme, comme je peux apprécier l'homme et ne pas apprécier l'écrivain. La vérité de l'un transpire de toute façon en l'autre. Et Alexandre Jardin a donc raison de ne pas renier ses précédents écrits.
A dire vrai je suis avec Proust contre Sainte Beuve: un livre est le produit d'un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vies. Aussi ne suis-je pas surpris qu'il y ait une discordance entre l'Alexandre des romans et l'Alexandre qu'il fut dans la vie de tous les jours. Ce n'est pas le problème.
Le problème est qu'il ait prétendu être dans la vie comme il apparaît dans ses romans, qu'il les ait présentés comme en grande partie autobiographiques. C'est cette discordance qu'il ne supporte plus et qui le conduit, pour ne plus mourir, à vouloir enfin être soi, à ne plus désormais mentir aux autres et ne plus se mentir à lui-même.
Dans son roman vrai, il passe donc aux aveux: il a été un athlète de l'esbroufe, digne rejeton d'une lignée d'experts de la triche, ce pendant trente ans, entre ses vingt et cinquante ans. En riant il aura raconté des bobards sur les autres et les siens, non seulement dans ses romans, mais dans la vie et sur les plateaux de télévision: c'est fini.
Ce qui l'a fait changer, ce sont d'abord deux femmes, dont les prénoms riment: Ariane, chroniqueuse qui [pimentait] la presse genevoise (que j'ai croisée une ou deux fois) et qui fut son miroir le plus intègre, et Zanne, sa compagne, qui est pour lui aujourd'hui semence de confiance et de cohérence. Puis sa vie militante aux côtés des faiseux.
Le nouvel Alexandre Jardin est-il crédible? L'avenir le dira lorsque paraîtront ses prochains livres. Ils seront bien différents: Tout mon zèle sera de vider le réel de son sang frais pour le transfuser dans des livres acharnés de vérité. Mes romans rendront compte des événements - advenus ou non - qui marchent désormais d'un pas rapide.
Francis Richard
Le roman vrai d'Alexandre, Alexandre Jardin, 320 pages, Éditions de l'Observatoire
Livre précédent:
Laissez-nous faire!, Robert Laffont (2015)