" (...)
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
La pâle mort mêlait les sombres bataillons. "
(Victor Hugo, 1853).
Curieux épilogue de l'alliance gouvernementale entre le centre droit et l'extrême droite en Autriche. Le jeune Chancelier autrichien Sebastian Kurz (centre droit) a largement gagné les élections européennes du 26 mai 2019, avec 34,6% des voix en faveur de son parti, l'ÖVP (soit près de 8 points supplémentaires par rapport aux précédentes élections européennes du 25 mai 2014, et plus de 3 points supplémentaires par rapport aux élections législatives du 15 octobre 2017), et "en même temps", son gouvernement a été renversé le lendemain, le 27 mai 2019, par une coalition des oppositions après le dépôt d'une motion de censure par le petit parti écologiste JETZ.
Les conséquences immédiates furent la dissolution du Conseil National (la chambre basse autrichienne) et le départ de Sebastian Kurz du pouvoir le 28 mai 2019, laissant la place à son Ministre des Finances, Hartwig Löger, nommé Vice-Chancelier le 22 mai 2019, et devenu Chancelier par intérim pendant quelques jours.
Le Président de la République (écologiste) Alexander Van der Bellen a ensuite chargé le 30 mai 2019 la juriste Brigitte Bierlein de former un gouvernement apolitique de technocrates jusqu'aux nouvelles élections législatives qui ont été fixées le 29 septembre 2019 (initialement prévues en principe en octobre 2022). Nommée officiellement Chancelière le 3 juin 2019 (la première femme de toute l'histoire autrichienne à diriger un gouvernement), Brigitte Bierlein était Vice-Présidente de la Cour Constitutionnelle autrichienne du 1 er janvier 2003 au 22 février 2018 puis, depuis cette date, Présidente de la Cour constitutionnelle autrichienne, fonction qu'elle aurait dû quitter prochainement pour cause de limite d'âge.
La coalition gouvernementale (dite noire-bleue) entre l'ÖVP (centre droit) et le FPÖ (extrême droite) a été conclue à la suite des élections législatives du 15 octobre 2017. L'accord a eu lieu le 15 décembre 2017 et le gouvernement de Sebastian Kurz a été formé le 18 décembre 2017. Les deux formations disposaient de 113 députés sur 183 au total, constituant ainsi une majorité solide (62 députés ÖVP et 51 députés FPÖ).
Dans le gouvernement Kurz, 5 membres du FPÖ furent nommés ministres, dont le président du FPÖ depuis le 23 avril 2005, Heinz-Christian Strache, Vice-Chancelier et Ministre de la Fonction publique et des Sports. Le FPÖ détenait, en outre, les portefeuilles du Travail, de la Santé, de l'Intérieur, de la Défense nationale, des Transports, de l'Innovation et de la Technologie.
Ce n'était pas la première fois que le FPÖ était une composante d'une coalition gouvernementale : sous le gouvernement de Wolgang Schüssel (du 4 février 2000 au 11 janvier 2007), l'ÖVP s'était déjà coalisé avec le FPÖ (malgré les nombreuses protestations de ses partenaires européens), et encore bien avant, le FPÖ avait fait partie d'une coalition avec les sociaux-démocrates SPÖ (centre gauche) sous le gouvernement de Fred Sinowatz (du 24 mai 1983 au 16 juin 1986).
Si la coalition n'a pas tenu un an et demi, c'était à cause du scandale (Ibizagate) qui s'est déclenché avec la diffusion d'une vidéo le 17 mai 2019, quelques jours avant le scrutin européen : piégé par un journaliste allemand, Heinz-Christian Strache a été pris en "flagrant délit" de collusion en 2017 en exprimant sa volonté de négocier avec un oligarque russe pour se faire financer son parti de manière occulte et racheter un quotidien autrichien en échange d'obtention de contrats publics. Atteint de plein fouet par ce scandale mettant sérieusement en cause le patriotisme du leader d'extrême droite et son intégrité pécuniaire, Heinz-Christian Strache a démissionné du gouvernement le lendemain, le 18 mai 2019, et a démissionné de la présidence du FPÖ le surlendemain, le 19 mai 2019.
Constatant la rupture de la coalition, Sebastian Kurz a annoncé des élections législatives anticipées dès le 18 mai 2019. Les députés du SPÖ ont fait pression sur lui pour que les autres ministres FPÖ quittassent également le gouvernement, puisque c'était leur parti qui était en cause et pas seulement son chef. Le 20 mai 2019, Sebastian Kurz remplaça alors le Ministre de l'Intérieur Herbert Kickl (qui fut l'auteur de beaucoup de discours controversés de Jörg Haider). Son limogeage a conduit les autres ministres FPÖ à démissionner également (le même jour).
Quelques jours plus tard, Sebastian Kurz fut soutenu par le peuple autrichien, confirmé comme représentant de la première formation politique du pays, avec plus d'un tiers de l'électorat, et favori pour les élections législatives anticipées. Cependant, la rupture de la coalition a amené les députés FPÖ à se joindre aux députés SPÖ et écologistes pour renverser le gouvernement dès le lendemain, laissant place à un gouvernement minoritaire pour gérer les affaires courantes jusqu'aux élections.
Dans les premiers sondages, l'ÖVP de Sebastian Kurz s'envole, frôlant même les 40%. C'est clair que le vote de la motion de censure le 27 mai 2019, par une coalition étrange d'extrême droite et de sociaux-démocrates, a interrogé beaucoup de leurs électeurs respectifs. Dans ces mêmes sondages, le FPÖ et le SPÖ sont en chute libre, tandis que les Vers, qui, divisés, avaient subi une grave défaite aux précédentes élections législatives de 2017, sembleraient redevenir une valeur refuge (entre 7 et 10%).
Aux élections européennes du 26 mai 2019, le SPÖ a obtenu 23,9% des voix, soit 3 points de moins qu'aux législatives de 2017, le FPÖ s'est effondré à 17,2% des voix (au lieu de 26,0% en 2017), tandis que les Verts ont atteint 14,1% des voix (à comparer aux 3,8% de 2017).
Comme on le voit, il est difficile de donner des enseignements électoraux généraux en Europe, chaque pays garde sa propre particularité en politique intérieure. Alors que l'élection présidentielle autrichienne des 24 avril 2016 et 22 mai 2016 avait éliminé les deux partis gouvernementaux traditionnels (ÖVP et SPÖ) au profit d'un clivage entre le FPÖ et les écologistes, à l'avantage des derniers, les élections législatives du 15 octobre 2017 avaient remis en tête l'ÖVP et le SPÖ. Aujourd'hui, c'est bien le parti du chef du gouvernement qui est largement en tête et qui va probablement gagner les prochaines élections législatives.
Contrairement à ce qui pourrait se dire dans d'autres pays, la coalition avec l'extrême droite s'est faite au détriment de cette dernière (rappelons d'ailleurs que le FPÖ fait partie du groupe constitué par Marine Le Pen et Matteo Salvini au Parlement Européen, bonjour la probité !), et que le centre droit de type "parti populaire" a parfois encore de l'avenir électoral. En Autriche en tout cas.
L'injustice parlementaire produite par une conjonction des contraires a toutes les chances d'être réparée dans les urnes dans trois mois. L'irresponsabilité de l'extrême droite et des sociaux-démocrates est sans doute le meilleur atout électoral de Sebastian Kurz qui, cependant, pourrait difficilement prétendre à gouverner seul : après la coalition noire-bleue, les Autrichiens s'achemineraient-ils vers une coalition noire-verte avec les Verts en roue de secours ?
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (16 juin 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Autriche : Sebastian Kurz joue à qui gagne perd !
Les élections européennes du 26 mai 2019.
Sebastian Kurz.
Alexander Van der Bellen.
Élections législatives autrichiennes du 15 octobre 2017.
Élection présidentielle autrichienne des 24 avril et 22 mai 2016.
Élections législatives allemandes du 24 septembre 2017.
Les dangers de la proportionnelle.
Jörg Haider.
Séisme politique : 30% pour l'extrême droite (8 octobre 2008).
Kurt Waldheim.
Viktor Orban.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190527-autriche.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/06/12/37423241.html