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HADOPI, 10 ans et 88 millions d’euros pour rien

Publié le 17 juin 2019 par H16

10 ans déjà ! C’est formidable, comme le temps passe vite ! Eh oui, il y a 10 ans, était instaurée la Haute Autorité Destinée à Observer les Petits Internautes, HADOPI pour faire court, qui, outre une consternation compacte chez tous les acteurs d’internet un tant soit peu compétents, déclenchait immédiatement la mise en place de toute une série d’intéressantes mesures dont on peut maintenant mesurer les effets réels.

Ah, 2009 ! Rappelez-vous, c’étaient la fin des années disco tecktonik et internet était encore, dans l’esprit brumeux des parlementaires français, un vaste champ des possibles, une espèce de Far West indompté à l’assaut duquel internautes indisciplinés et politiciens se lançaient, un peu fous, pour y découvrir de nouvelles sensations. Facebook ou Twitter n’existaient pas, la presse n’avait pas encore compris qu’elle était destinée à disparaître et croyait encore y trouver son compte.

Logo HADOPI : haute autorité destinée à observer les petits internautes

Le cyberespace de 2009, c’était – toujours dans la tête du législateur de l’époque – cet immense espace à légiférer, où les uns pillaient sauvagement les autres, à coups d’octets, de cryptographie, de hacking et d’autres mots complexes qui font encore frissonner une bonne partie des politiciens d’aujourd’hui.

L’abominable problème du piratage se posait alors dans des termes crus qui semaient l’effroi dans les populations les plus fragiles : des bandits, armés d’épaisses bandes-passantes et de redoutables pair-à-pair, attaquaient des diligences entières de musiques et de clips vidéos pour en faire des copies intégrales sans payer les producteurs, les artistes et la ribambelles de taxes étatiques attachées aux transactions légitimes. Et même si les industries musicales et cinématographiques ne pouvaient pas présenter de chiffres en bernes, leurs petits cris stridents, leurs yeux parcourus de spasmes d’effroi et la perspective de toutes ces rentrées fiscales évaporées poussèrent donc le gouvernement d’alors, cornaqué par Albanel Épaisseur Triple, ministre de la Culture, à lancer enfin une pacification musclée des intertubes et des miniternets. HADOPI était créée.

Le mandat était simple : choper des internautes rétifs, et leur faire cracher au bassinet les droits et indemnités qu’ils devaient à tous les ayant-droits (État compris) à la suite de leurs copies illégales et sans vergogne. Pour cela, aucun moyen ne serait laissé au hasard et, histoire de ne pas trop terroriser tout le monde, on mit donc en place la Riposte Graduée qui est à la lutte contre le piratage ce que les sites du gouvernement en matière de mangibougisme sont à la consommation de pizzas, de plats préparés (lasagnes au cheval y compris) et autres mets trop gras, trop salés, trop sucrés et trop plein de fun que la morale réprouve : tout le monde écoute poliment, et tout le monde s’en fiche aussi poliment.

Bref : dès le départ et compte-tenu de l’évident capitalisme de connivence dégoulinant qui s’était installé dès les prémices du projet, on savait que l’ensemble de la démarcher aboutirait à un bilan minable.

Sans HADOPI, Frank Riester n'aurait jamais pu frimer à la radio.
Deux ans plus tard, en 2011, les premiers résultats confirmait l’évidence du départ : le petit Franck Riester, alors membre du collège de cette HADOPI, venait bafouiller des explications vasouillardes devant l’inefficacité consternante de l’institution et la médiocrité amusante des publicités qu’elle avait produites.

Quelques années supplémentaires ne permirent pas de désensabler le navire, déjà profondément enfoncé dans des douzaines de mètres-cubes de sable législatif et des kilomètres de câbles STP reliant l’institution avec ses partenaires (privés) chargés d’écumer mollement les intertubes à la recherche de pirates. En 2013, on constatait surtout un report des utilisateurs depuis les sites en P2P (pair-à-pair), scrutés avec plus ou moins de bonheur par la Hautotorité, vers les sites de streaming qu’elle n’était équipée ni techniquement, ni légalement, pour observer.

Epic Fail

Depuis, quelques rebondissements ont bien alimenté la chronique au sujet de la HADOPI (vous pourrez les relire ici si vous le désirez), mais la substance fondamentale est surtout l’énième observation d’un échec pourtant annoncé, malgré tout persistant et renouvelé, dans la décontraction la plus parfaite de l’ensemble des acteurs concernés qui ne financent absolument pas ça de leur poche (puisque cette partie-là est remplie par le contribuable).

Et nous voilà en 2019 : dix ans se sont écoulés et le bilan reste obstinément le même.

Les chiffres, les constats, disponibles assez facilement un peu partout, ne laissent que très peu de marge à l’interprétation généreuse et aux louanges. Bien sûr, les médias traditionnels jouent sur la demi-teinte, les tons pastels et les adjectifs les plus arrondis possibles pour camoufler le désastre, mais il n’en reste pas moins là : après avoir versé 10 millions d’euros en 2010, puis 11,4 en 2011, 11 en 2012, 8,4 en 2013, 5,6 en 2014, 5,52 en 2015, 7,8 en 2016, 9 en 2017, 10 en 2018 puis 9 millions pour cette année, l’État aura donc cramé 88 millions d’euros sur ces dix années de bonheur ouaté.

En face, la HADOPI peut fanfaronner d’avoir totalisé 83 condamnations à des amendes allant de 100 à 2000€, soit 8 par an en moyenne. À près de 9 millions d’euros par an, cela nous fait un million d’euro claqué par condamnation, ce qui est exactement à l’image de l’efficacité du dispositif : désastreux.

Qu’on ne se méprenne pas : si ces chiffres sont tout à fait risibles, ce n’est pas parce qu’on aurait souhaité que la HADOPI soit efficace et harponne du pirate par trouzaines giboyeuses, mais bien parce qu’ils confirment que cette institution est parfaitement inutile pour la tâche qui lui a été confiée. Les millions d’e-mails aspergés sur le territoire ne servent à peu près à rien, sinon à indiquer à l’internaute qu’il a été repéré et qu’il doit donc rapidement changer de méthode. Ce qu’il fait, du reste, tous les indicateurs du niveau de piratage globale dans les industries du disque et de la musique montrant qu’après le P2P puis le streaming, c’est maintenant l’IPTV qui se met en place…

Pratique à laquelle la HADOPI ne peut d’ailleurs pas répondre (et pour cause : en 2009, elle n’existait pas et la HADOPI ne sait combattre que la guerre précédente qui a été perdue, jamais la prochaine).

Mais qu’à cela ne tienne : même si le piratage continue et que, finalement, personne ne s’en porte plus mal, contrairement à ce que hurlaient les Majors et autres firmes de lobbying parlementaire, même si cette Hautotorité grotesque ne sert très concrètement à rien, même si les techniques évoluent plus vite que les lois, même si le marché a, en 10 ans, amplement prouvé être capable de s’adapter aux demandes (les offres légales de bonne qualité abondent), même si tout ceci nous coûte 9 millions d’euros par an, on va continuer !

Quand bien même l’argent du contribuable sert très clairement à protéger des intérêts privés, au travers d’une HADOPI qui n’existe nulle part ailleurs et dont tout le reste du monde se passe très bien, comme pour les lois dont les effets pervers s’amoncellent et dont personne ne semble jamais responsable, on va continuer !

La HADOPI continue donc de trottiner sur le petit chemin qui sent, outre la noisette, la petite odeur insistante de l’argent public cramé en pure perte.

HADOPI, 10 ans et 88 millions d’euros pour rien

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