Où il est question d'une évidence.
La rage xénophobe de cet animateur conservateur fait peine à entendre: ce vendredi 14 juin après midi, sur RMC, Eric Brunet demande à un policier, en direct, ce qu'il pense de ces "jeunes délinquants, toxicomanes, qui viendraient du Maroc mais pas seulement, qui ont moins de 12 ans et qui zonent, qui traînent dans les villes, qui sont ultra-violents, qui n'ont pas de parents, qui sont là." Brunet cite une "enquête" d'un grand reporter du Figaro, qu'il met en relation avec une question d'actualité, cette idée du gouvernement de rendre les moins de 13 ans pénalement irresponsables; ça y est, une fraction des médias de la droite furibarde ont peut être enfin un objet de polémqieu pour se désolidariser de ce "meilleur président de droite" que la France ait connu, comme le qualifiait l'ancienne conseillère politique de Nicolas Sarkozy.
Ces médias dits dominants ne sont pas tous les médias: d'autres sources, plus fragiles, plus éparpillés, travaillent à couvrir la réalité que l'on voit moins souvent ou jamais dans les discours et traitements officiels - les ravages sociaux ou environnementaux, les échecs économiques de la politique de l'offre, l'hypocrisie de la diplomatie (Yémen), ou plus "simplement" le récit et l'explication des évènements loin de la com' arrangée et des présentations marketing prémâchées de l’Élysée.
Cette semaine, le premier ministre est, sans surprise, adoubé par 363 députés godillots de sa majorité. Un vrai suspense à l'Assemblée nationale ! A la conférence de l'OIT, Emmanuel Macron choisit de répéter, presque mot pour mot, l'un de ces fameux discours de Nicolas Sarkozy sur la crise, la folie de la finance, et le besoin de régulation et de changement de système.
"Faut-il attendre que la crise économique, financière, sociale et écologique se transforme en crisepolitique majeure à l’échelle planétaire, pour nous décider enfin à changer, au risque qu’il soit trop tard?" Sarkozy, 15 juin 2009Devant l'OIT, les deux monarques, à 10 ans d'intervalle, jouent presque les gauchos.
"La crise endogène de notre capitalisme, l'accélération de la transition numérique et l'accélération du réchauffement climatique et de la raréfaction de la biodiversité nous conduisent à repenser très profondément nos manières de nous organiser, et rendre encore plus impérieux le multilatéralisme qui est le vôtre, qui est le nôtre dans ce monde, avec un combat : celui pour la dignité de l'homme et celui pour rendre ce monde habitable." Macron, 11 juin 2019
"Je souhaite que l’OIT fasse des propositions concrètes pour mettre la promotion du travail décent au cœur des règles qui constitueront le fondement d’un ordre mondial plus respectueux de l’homme." Sarkozy, 15 juin 2009L'intérêt de ce copié/collé presque parfait n'est pas dans le propos lui-même. Qui n'est pas d'accord avec le constat que le monde ne tourne pas rond, que les multiples crises s'additionnent, se renforcent, s'accumulent et s'aggravent ? Que cette grand crise environnementale, sociale, alimentaire, économique, financière mérite un changement de paradigme politique national, européen et mondial ? Comme en 2009 quand un Nicolas Sarkozy ahuri par la Grande Crise braillait contre ses amis de la Finance, Macron s'étonne et gronde le "système". Mais l'intérêt de ce parallélisme est ailleurs. Comme Sarko, Macron surprend par son insincérité, par le décalage suffoquant entre ces paroles et la réalité de ses actions.
"Je veux qu'on puisse continuer à défendre, en Europe en particulier, un véritable ordre public social avec toutes ses composantes." Macron, 11 juin 2019
A l'Assemblée, son premier ministre célèbre le service public, une "promesse républicaine" , mais il réduit les postes de profs et les effectifs de contrôle de l’évasion fiscale; il va fusionner les minima sociaux pour les conditionner à l'exercice d'une activité. Il augmente brutalement les tarifs réglementés de l'électricité. Il laisse les urgentistes s'asphyxier (il faut trois mois de grèves pour que la ministre Buzyn daigne recevoir des personnels qui ne réclament que davantage de moyens pour bien faire leur boulot, et une obole de 70 millions d'euros supplémentaire...).
Devant l'OIT, Macron célèbre "l’histoire d’ouvriers, d’employés qui ont pu obtenir par convention la limitation de la durée du travail dans la journée et dans la semaine". En France, il s'apprête à allonger de deux mois la non-indemnisation des chômeurs issus de petits boulots, il a supprimé 200 000 postes de représentants des salariés; il a accordé aux employeurs le droit de ne pas respecter les conventions collectives de secteur; il a généralisé le travail le dimanche, laissant des employeurs "libres" de virer les salariés "libres" qui refuseraient de sacrifier le repos dominical. En 2009, au plus fort de la crise, Sarkozy avait créé "l'offre raisonnable d'emploi" qu'un chômeur devait accepter sous peine de radiation. En 2019, Macron durcit le même dispositif.
Cette hypocrisie est le signe d'une indécence de classe.
Jupiter fait mieux que Sarkozy, en pire. Il a de meilleurs alliés. Il est aidé par un Parti Médiatique. Non pas tous les médias, loin s'en faut, mais un petit ensemble d'éditocrates et de journalistes spécialisé(e)s, dont la porosité avec la France des riches n'a d'égale que leur réflexe pavlovien à brandir leur carte de presse comme preuve de professionnalisme. Ce Parti médiatique témoigne d'un soutien idéologique et politique quasiment sans faille à l'égard d'Emmanuel Macron. Sarkozy avait rapidement fini par les agacer avec sa vulgarité Bling Bling, ses mauvaises manières de faux parvenu. Macron ne cesse de les séduire avec ses bonnes manières, ses belles formules, ses citations de la littérature classique.
Le Parti Médiatique applaudit souvent au respect de l'ordre et sert systématiquement les plats libéraux de la Macronie sur les plateaux. Il a peur quand les gueux en jaune manifestent avec cette même trouille qu'un Jupiter barricadé à l'Elysée. Il revendique, parfois, son indépendance d'esprit quand les barbouzeries élyséennes éclatent au grand jour, comme avec l'affaire Benalla. Mais sur la politique économique, sociale, et environnementale, silence et acquiescement. Il ne grogne que lorsqu'on supprime sa salle de presse à l'Elysée (ne riez pas) ou quand on le boude au Palais. Il fait le tri dans ces indignations contre l'exercice du journalisme: il proteste quand une poignée des siens sont questionnés par les services secrets, mais il refuse tout soutien à un journaliste militant qui se fait frapper, déboiter l'épaule puis enfermer et à nouveau brutaliser en garde à vue parce qu'il couvrait une manif de sans-papiers. Rarement, il râle contre la politique économique du gouvernement. Quand il le fait, c'est parce que Macron dévie de sa trajectoire de président des ultra-riches, comme par exemple quand Macron cède à la pression sociale et octroie 11 milliards d'euros de dépenses sociales supplémentaires grâce aux Gilets Jaunes.
Ces éditocrates ont réduit le débat politique à son minimum pour mieux délégitimer les oppositions à la politique de classe du clan macroniste. François Ruffin a beau s'indigner du vide de leurs questions, du creux politicien de leurs développements; il a beau réclamer que l'on parle planète, pauvreté et santé, rien n'y fait. Les éditocrates ne dévient pas. Tout récemment, ces mêmes éditocrates ont même laissé filer la comète Loiseau, une "experte de l'Europe", avec une indulgence qui ne s'est brisée que lorsque les bêtises de cette tête de liste macroniste devenaient trop crasses et voyantes, comme cette semaine quand elle s'est politiquement immolée devant une quinzaine de journalistes ébahis en insultants et moquant un à un tous les chefs de parti de son propre groupe libéral au Parlement européen.
Exception faite des zélotes du Figaro et de Valeurs Actuelles, Sarkozy avait du mal avec cette presse. Macron n'a pas ce handicap. Il peut compter sur Bruno Jeudy, Jean-Michel Aphatie, Robert Namias, et Christophe Barbier et consorts. Il peut s'appuyer sur une presse dominante qui remet pas en cause les fondements libéraux et conservateurs de sa politique; des médias qui, bien entrainés depuis des années, recyclent chaque semaine la novlangue libérale: est ainsi requalifiée en "conservatisme" la défense des chômeurs précaires ou des étudiants boursiers; en "pragmatisme humaniste", la réduction du droit d'asile au risque de la mise en esclavage, la noyade en mer ou l'épuisement en montagne des migrants. Et l'orgie défiscalisées des riches est devenue un "soutien à l'investissement".
Si les discours, et leur décalage avec les actes, se répètent de Sarkozy à Macron, Jupiter a toujours l'avantage d'un appui idéologique et politique manifeste de la part des médias économiquement les plus puissants.
Belle démocratie.
Ami sarkozyste, où es-tu ?