Pierre Fankhauser et Mélanie Chappuis
Hier soir, à la Ferme des Tilleuls, à Renens, l'association littéraire Tulalu!? recevait Mélanie Chappuis. La rencontre, à laquelle l'assistance avait dû se rendre en bravant une tempête lémanique, fort venteuse et pluvieuse, était animée par Pierre Fankhauser.
Mélanie Chappuis a écrit dernièrement un roman, La Pythie, et un recueil de nouvelles, Ô vous, soeurs humaines (un roman eût été impossible en raison de ce pluriel) dont le titre est le féminin du livre-testament d'Albert Cohen, l'écrivain qui lui a donné envie d'écrire.
En épigraphe de ce recueil, Mélanie Chappuis a mis une citation tirée de Ô vous, frères humains: Je cherche l'amour du prochain, dites, sauriez-vous où est l'amour du prochain?Dans ce livre, Albert Cohen raconte le cadeau qu'il a reçu pour ses dix ans.
Cadeau est une façon terriblement ironique de dire les choses. Car, ce jour-là, 16 août 1905, le petit Albert apprend par un camelot (qu'il admire) qu'il est juif, donc qu'il est mauvais comme la gale, qu'il est un salaud, qu'il est une sangsue du monde.
Ce jour-là, celui de ses dix ans, il apprend qu'il est criminel d'être né, que son péché est d'être né, que les frères humains, qu'il aime tendrement, tout en jouant à aimer leur prochain, ils continuent à haïr Depuis ce jour de son enfance, il vit avec sa mort.
La citation choisie par Mélanie Chappuis s'adresse en fait aux antisémites, âmes tendres... En conclusion de son livre, Albert Cohen qui aime la France, et les écrivains français qui l'ont nourri, écrit que ne plus haïr importe plus que l'amour du prochain...
Aussi, quand Mélanie Chappuis écrit son livre consacré à ses soeurs humaines, n'est-ce pas par amour du prochain qu'elle le fait. En toutes ces femmes dont elle parle, elle a cherché les parts d'humanité et, par honnêteté, ces parts sont aussi bien des qualités que des défauts.
Elle avait eu la même démarche quand elle avait, dans le quotidien Le Temps, tenu une chronique hebdomadaire intitulée Dans la tête de... pendant les années 2013 et 2014. Alors elle s'était même mis dans la tête de monstres et trouvé leurs parts d'humanité.
Dans sa jeunesse, Mélanie Chappuis, fille de diplomates, a beaucoup voyagé: Brésil, Nigeria, Argentine, New-York etc. Dans ses nouvelles sur ses soeurs humaines, ce sont ces ailleurs qu'elle convoque et qu'elle complète par un travail minutieux de journaliste.
C'est justement une part d'elle-même à laquelle elle ne veut pas renoncer. Elle est journaliste dans l'âme. Lorsque ses expériences ne suffisent pas à dresser des portraits aimants, mais sans concession, de ses soeurs humaines, elle enquête et remercie Internet d'exister.
Mélanie Chappuis est écrivain, mère, propriétaire d'un chien et... journaliste. Une fois les enfants partis à l'école, elle descend dans son bureau. Si elle n'est pas inspirée, par exemple, elle part se balader en forêt en emportant son téléphone pour prendre des notes.
Dans son dernier roman, La Pythie, Mélanie Chappuis parle sans fard, mais sans vulgarité, du plaisir féminin et du sexe. Elle a l'art et la manière d'en parler avec naturel et simplicité, si bien que le lecteur, ou l'auditeur, n'en retient que la beauté bien humaine.
Dans ce roman également, elle explore le phénomène de la transe, qu'elle a elle-même expérimenté sans avoir pour autant les visions prémonitoires de son héroïne Adèle. Pour raconter Adèle, elle a entrepris la même démarche qu'elle pour rationaliser ce phénomène.
Elle a pris contact avec Corine Sombrun, laquelle, lors d'un reportage en Mongolie, a appris qu'elle était chamane et a publié une étude scientifique sur le chamanisme mongole. Corine Sombrun a démontré récemment que la transe était une capacité de tout cerveau humain...
Pour illustrer ses propos, Mélanie Chappuis lit des extraits de ses deux derniers livres, accompagnée au violoncelle par sa cousine Céline Chappuis. La voix de l'invitée, menue comme elle-même, et les notes de l'instrument transmettent une réelle émotion à l'auditoire subjugué...
Francis Richard
Céline Chappuis et Mélanie Chappuis