Voyons maintenant les deux cas où le donateurs se situe à gauche du panneau.
Donateur à gauche, enfant bénissant
Commençons par l’autre formule « naturelle » : celle de la position d’invitation, où le donateur entre par la gauche pour se présenter à main droite de l’Enfant qui le bénit.
Au tout début, la bénédiction de l’Enfant est un geste général, qui s’adresse au spectateur. C’est progressivement que les artistes auront l’audace d’en faire un geste d’accueil destiné spécifiquement au donateur.
Saint Michel archange et des donateurs, Vierge à l’enfant avec une donatrice
1175 – 1224, Museo Nazionale d’Abruzzo, L’Aquila
Pour cette toute première apparition à gauche, l’Enfant Jésus fait envers la donatrice le geste byzantin de la bénédiction ( l’index tendu, le majeur légèrement courbé, le pouce croisé sur l’annulaire et le petit doigt courbé), mais sans regarder la donatrice. Le fait que la Vierge lui donne le sein suggère néanmoins une forme de solidarité féminine, tandis que les donateurs masculins sont placés aux pieds de Saint Michel, dans l’autre panneau.
Maestro di Sivignano, vers 1250, Museo Nazionale d’Abruzzo, L’Aquila
Diptyque de dévotion pour pèlerin peint à Acre
1275-85, The Art Institute of Chicago, Chicago
(Cliquer pour voir l’ensemble)
Dans ces deux exemples plus récents, l’Enfant fait maintenant le geste occidental de la bénédiction (deux doigts tendus) du côté du donateur, mais toujours sans interaction avec lui : ce dernier reste en dehors de la scène, soit posé sur le cadre soit suspendu dans le ciel.
Au bas de la Madonne du Maestro di Sivignano sont inscrits les deux hexamètres suivants, qui sont à lire plutôt comme le titre du tableau que comme les paroles du donateur :
Dans le sein de la Mere brille la Sagesse du Pere In Gremio Matris Fulget Sapientia Patris
Ces vers sont asses fréquents (avec des variantes [1] ) et font allusion une épître de Saint Paul qui nomme Jésus « la Sagesse de Dieu ».
Vierge à l’Enfant entre Saint André et Saint Jacques, avec un donateur
Maestro della Maddalena, 1275-80, Musée des Arts Décoratifs, Paris
Le donateur, un laïc, semble porter un bouclier (vu par l’intérieur, du côté de ses attaches). Ce détail, joint au fait que Saint André est placé en position d’honneur à droite de la Vierge, a fait supposer que le retable se trouvait dans l’église disparue Sant Andrea de Florence, dans le quartier des artisans du cuir. [2]
Vierge à l’Enfant avec la Donatrice Donna Elena
Master of Cesi, 1308, Eglise de Santa Maria Assunta, Cesi [3]
Tout en conservant une symétrie systématique, l’artiste a légèrement décalé la Vierge sur la droite, pour laisser en bas du montant gauche du trône la place de la donatrice. La seconde dissymétrie est la main bénissante de l’Enfant, du côté de la donatrice. Bien que celui-ci ne la regarde pas, il y a là une discrète explication de sa position : bénéficier en premier de cette bénédiction.
La discrétion de la donatrice est confirmée par l’inscription où son prénom, ELENA, apparaît sur la droite, sans rapport avec sa position :
Au nom de Dieu, Amen. An de grâce 1308 (temps du Seigneur) Sous le pape Clément V, Indiction 6. Dame Elena a fait faire cette oeuvre. IN NOMINE DOMINI. AMEN. ANNO DOMINI MILLESIMO CCCVIII (TEMPORE DOMINI) CLEMENTIS PAPE V, INDICTIONE VI. DOMINA ELENA FECIT FIERI HOC OPUS
L’indiction est la manière liturgique de numéroter les années, à l’intérieur d’un cycle de 15 ans.
Pise, Musée national d’art Localisation inconnue
Deodato Orlandi, 1300-24
Le panneau de droite est le premier où le donateur apparaît non plus seul, mais présenté par son saint patron. Le couple patron/donateur est encore conçu comme un élément optionnel, que sa taille miniature permet de rajouter sans modifications dans une composition existante. L’absence de tout signe de reconnaissance de la part des personnages sacrés s’explique par le caractère générique de l’icône, et par les facilités de la production en série.
Vierge à l’Enfant avec le donateur Raynaldus
Lello da Orvieto, 1325, Cathédrale d’Anagni
Ici encore le donateur se surimpose à la composition, sans interaction avec les personnages sacrés. Pour une fois nous disposons ici d’un texte détaillé :
Cette oeuvre a été commandée par Raynaldus, prêtre et clerc de cette église, en Mai de l’année du Seigneur 1325. Ici sont les reliques des Saints Thomas, Archevêque de Cantorbery, Thomas d’Aquin et Pierre, evêque d’Anagni Hoc op(us) fieri fecit do(mi)n(us) Raynald(us) pre(s)biter et cl(er)icus isti(us) eccl(es)ie sub an(n)o d(omi)ni MCCCXXV mense madii ibi sunt d(e) reliq(u)is S(an)c(t)o(rum) Thom(ae) Archiepi(scopi) Cant(uarensis), Thom(ae) d(e) AQ(ui)no et Pet(ri) Epi(scopii) Anagnini »
Une indication visuelle (SCOOP !)
Il est probable que ce panneau de grande taille surplombait l’autel contenant les dites reliques [4]. Le situation très familière du donateur, en haut des trois degrés du socle et décalant le texte, n’est donc pas dûe à un quelconque privilège ecclésiastique : c’est le moyen d’indiquer au spectateur où se trouvent précisément (« ibi sunt« ) ces reliques.
En aparté : le type de la Hodigitria
Vierge Hodegetria
Berlinghiero Berlinghieri, vers 1230, MET, New York
Ce type d’icône de la Vierge à l’Enfant est un des plus répandus de l’art byzantin. Debout, vue à mi-corps et portant l’Enfant sur son bras gauche, la Vierge est, étymologiquement, celle qui « montre le chemin ». L’Enfant tient un général un livre-rouleau dans la main gauche est bénit de la main droite (ici, avec le geste occidental).
Vierge à l’Enfant avec un donateur inconnu
Pietro Lorenzetti, 1320, Philadelphia Museum of Art
Ces deux exemples sont les premiers où l’Enfant se montre conscient de la présence du donateur. Grâce au type Hodigitria, sa position sur le bras ou le genou gauche de Marie laisse au peintre l’espace nécessaire au déploiement naturel de son bras droit.
Bénédiction retenue chez Lorenzetti (la main bénissante s’avance à peine) et détournée chez Lippo Memmi (la main s’arrête au voile, prémonition du linceul) : comme si l’idée d’interaction entre l’enfant divin et le donateur était encore très audacieuse.
Toujours aussi minuscule, ce dernier s’est individualisé : les deux artistes réussissent, en miniature, deux véridiques portraits de moine.
Théologie de la douleur
Vierge à l’Enfant avec une nonne
Antonio Veneziano, vers 1380, Museum of Fine Arts, Boston (www.mfa.org)
Le cadrage à mi-corps rapproche mécaniquement la nonne de l’objet de son adoration, sur un fond d’or abstrait sans aucune indication spatiale. Si gracieuse que soit cette composition, elle n’est pas la représentation merveilleuse d’une rencontre, mais l’exposé d’une théologie très précise.
La main droite du bébé esquive (ou esquisse ?) le geste de la bénédiction : l’Enfant, en âge si tendre, est-il déjà capable de bénir ? Telle est la question que le peintre se pose (et nous pose).
Douceur et douleur (SCOOP !)
Le geste extraordinaire de Marie n’a pas été commenté. On pourrait croire qu’elle donne son index à sucer en guise de tétine, mais ce geste serait trop trivial. La « cassure » étrange de l’auréole de l’Enfant, ainsi que ses petites dents bien visibles, nous donnent l’explication : Marie donne à mâcher le bord retourné de son manteau à l’enfant qui fait ses dents !
Mais à cet instant précis où la douceur maternelle est encore capable de soulager ses douleurs, le chardonneret lui pique le pouce en deux endroits, préfiguration extraordinaire de la Passion…
Dernière trouvaille géniale : par l’analogie des formes, l’artiste nous fait comprendre que Jésus, tout comme le chardonneret qui tente vainement de s’échapper, est déjà prisonnier de sa crucifixion. Et par l’emplacement de la nonne , il répond lui-même à la question :
oui, parce qu’il est capable de souffrir, l’Enfant sevré est dès maintenant en capacité de sauver.
Vierge à l’Enfant avec le donateur Francesco il Vecchio de Carrare
Guariento, 1368, Gemäldegalerie, Berlin.
Vierge à l’Enfant avec le donateur Vulciano Belgarzone de Zara
Nicolo di Pietro, vers 1394, Gallerie dell’Accademia, Venise
En avançant dans le XIVeme siècle, la bénédiction de Jésus devient plus franche, et s’accompagne du geste d’accueil de Marie, au dessus du donateur : comme si la main de la mère relayait le geste du fils, et compensait sa petitesse.
Vierge à l’Enfant avec des saints et une donatrice inconnue
Agnolo Gaddi, 1375, Galleria nazionale (Parma)
Destiné à une église dominicaine (Santa Maria Novella de Florence), le panneau fait figurer Saint Dominique en position d’honneur, juste derrière Saint Jean Baptiste, tandis que Saint Paul et Saint Laurent se contentent de la partie droite.
Le panneau est composé comme un triptyque [6] mais, de manière très originale, deux saints dominicains plus récents apparaissent en remplacement des colonnes : Saint Pierre Martyre et Saint Thomas d’Aquin. Autre originalité : la hiérarchie très précise dans les présentations à l’Enfant : de manière symétrique, chacun des deux saints majeurs présente un saint dominicain agenouillé.
Mals la minuscule nonne rompt la symétrie : elle est présentée par Saint Pierre Martyre et, via celui-ci, par Saint Jean-Baptiste et par la Vierge. Au plus bas de cette cascade, elle accumule trois intercessions prestigieuses qui légitiment le geste de bénédiction de Jésus.
Vierge de l’Humilité avec saint François d’Assise et un donateur
Niccolò di Pietro,1380-90, collection privée
Ici encore le donateur accumule sur sa tête les présentations par son Saint Patron et par la Vierge.
L’artiste a ajouté une idée très originale : tandis que la main droite des trois personnages sacrés illustre le passage de l’intercession (cercles verts) à la bénédiction (cercle jaune), leur main gauche, de la pomme d’Eve à la chair de Jésus, puis au stigmate de Saint François, trace un résumé en trois points de l’histoire de l’Incarnation (cercles rouges).
(Nous avons déjà rencontré ce détail de la main tenant le pied, en anticipation de la Passion, chez Olivuccio di Ciccarello da Camerino, voir 3-3-1 : les origines).
Vierge de l’Humilité avec des saints et un donateur (Polyptyque)
Catarino Veneziano, vers 1380, Walters Arts Gallery, Baltimore
Le donateur partage avec la Vierge le même paradoxe : à la fois humble (à même la terre) et somptueux (même bleu très onéreux de la robe).
Par sa position centrale, il partage également sa gloire avec l’artiste dont la signature, juste au-dessous, encadre son blason aujourd’hui effacé.
Vierge à l’Enfant avec le curé de la paroisse de Longares don Francisco de Aguilón,
Enrique de Estencop, 1391-92, Musée National d’Art Catalan, Barcelone
De la main gauche, Marie tient un lys et l’Enfant tient un oiseau ; de la main droite, Marie soutient l’Enfant qui bénit : le curé se trouve donc, très logiquement du côté du sujet, non de l’objet.
Vierge à l’Enfant avec le donateur Mosen Esperandeu de Santa Fe
Blasco de Granen, 1438-39, Museo Lazaro Galdiano, Madrid
Il s’agit du panneau central du retable qui décorait la chapelle funéraire de Mosen Esperandeu, dans l’église du couvent de San Francisco de Tarazona (Saragosse), dédiée à Notre Dame des Anges. Mais à la différence des exemples précédents, ni Jésus bénissant, ni Marie dont la main droite est occupée à tenir un lys, n’interagissent avec le donateur.
Nous rencontrons donc ici un contre-exemple de la tendance, dans un contexte funéraire, à placer le donateur sur la droite. L’inversion est peut-être liée à la présence de l’ange en position symétrique, qui tire le panneau vers la composition à deux donateurs (voir 4-4 …en couple) : dans le couple hybride formé par le chevalier (avec ses éperons) et l’ange qui porte son blason, ce dernier joue le rôle de l’écuyer, ce qui explique sa position subordonnée selon l’ordre héraldique.
Ainsi la présence du donateur à gauche, mais sans interaction avec les personnages sacrés, résulterait ici d’un compromis entre la formule funéraire habituelle (donateur à droite) et la composition à deux donateurs (supérieur hiérarchique à gauche).
Crucifixion, Vierge à l’Enfant avec un donateur
Ventura di Moro (attr), 1400-49, Musée de Capodimonte, Naples
Les deux volets de ce petit diptyque de dévotion mettent en parallèle deux réponses du divin à l’humain : le sang qui baigne Marie Madeleine en prières au pied de la Croix préfigure la bénédiction qui récompense le donateur en prières aux pieds de la Vierge.
Vierge d’humilité adorée par un prince de la maison d’Este (Leonello, Ugo ou Melialuse) [7]
Jacopo Bellini, 1440, Louvre
Ce panneau est une exemple de « perspective signifiante », où la taille des différents éléments correspond à leur importance narrative, et non à leur éloignement. C’est ainsi que le cerf couché, en bas à droite, est de taille minuscule par rapport à la fraise des bois sous la robe de Marie. On pourrait le considérer comme un emblème, mais il forme une paire avec le second cerf qui broute à l’arrière-plan, (il ne s’agit pas d’une biche, vu ses cornes). A gauche, le donateur est immense par rapport au cerf, mais minuscule par rapport à l’Enfant :
rapports de taille qui traduisent la hiérarchie animal/humain/divin.
Une haie continue sépare la pelouse de la Vierge et la campagne, qui se développe derrière de manière symétrique : des cavaliers sortent des deux villes fortifiés ; un appentis adossé au rocher, à gauche, fait pendant à un édicule à côté d’une maisonnette, à droite. La scène de gauche est difficile a interpréter (des cavaliers passant devant un ermite ?), mais celle de droite montre une ruche sous abri ; une lance posée sur le puits semble désigner l’homme à l’arrière, la tête renversée vers le ciel, comme un soldat attaqué par les abeilles.
Deux mondes séparés (SCOOP !)
L’idée du panneau semble être de comparer deux espaces séparés : à l’arrière le monde humain d’après la Chute, où les hommes tout comme les abeilles, doivent se fortifier les uns contre les autres ; à l’avant, une clairière paisible, variante du Hortus conclusus marial, où les cerfs se reposent et broutent sans s’affronter.
Triptyque de la Vierge de l’Humilité, avec une donatrice dominicaine
Vivarini, 1465, MET, New-York
Dans les Vierges de l’Humilité avec donateur, la proximité du couple divin est en général compensée soit par l’écartement de l’Enfant (situé à l’opposé du donateur) soit par la non-interaction. Cet exemple est le seul (sur 8 dans ma base de données) où la donatrice se trouve à la fois à proximité de l’Enfant, et bénie par lui : familiarité avec le divin qu’autorisent à la fois son statut de nonne, et le caractère privé de ce petit triptyque de dévotion [8].
Saint Léonard, Saint Jérôme, Saint Jean Baptiste, Saint François d’Assise et une donatrice
Nicola di Maestro Antonio di Ancona, 1472 ,Carnegie Museum of Art
Dans cette oeuvre d’une grande préciosité, trois saints portent ostensiblement un livre et pointent tout aussi ostensiblement leur index, tandis que le quatrième, Saint François échappe à leur docte conversation, les mains jointes sur son livre fermé.
Les détails entretiennent entre eux des rapports tout aussi emphatiques, et passablement gratuits : la donatrice-souris montre son indifférence au lion blessé, que Saint Jérôme tient en respect de son index de géant.
Car elle est sous la protection de la minuscule bénédiction de Jésus. L’artiste conclut sa démonstration d’habileté par le détail de la mouche à côté de la pomme, et passe du marbre au parchemin pour compléter sa signature.
Donateur à gauche,
enfant non bénissant
Terminons par la formule la plus paradoxale, celle de l’intrusion, où le donateur se présente en position d’honneur sans avoir la justification d’y être invité par l’Enfant.
La formule apparaît très tôt, dans des images sans aucune interaction (l’Enfant tête ou s’intéresse à une fleur).
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Vierge à l’enfant allaitant avec une donatrice inconnue
Psaultier Amasbury, vers 1250 Ms. 6 All Souls College, Oxford
Du côté du lion
Ici l’Enfant serre dans sa main droite la main de Marie qui presse son sein, et de sa main gauche la pomme du Péché : l’opposition lait/pomme se retrouve en bas, dans les deux animaux symboliques : le lion qui comme un chiot mordille le pied droit de Marie, et le basilic qu’elle écrase de son pied gauche. Le lion évoque le Christ (le « Lion de Juda« ) tandis que le basilic fait écho au serpent et à la pomme.
Dans cette forte polarité gauche/droite il est logique que la donatrice, une nonne, soit placée du côté positif. En outre, c’est aussi le côté privilégié pour présenter une supplique (voir 2-4 Représenter un dialogue) : or elle tient dans ses mains une banderole qu’elle tend à Marie, et qui porte le début de la salutation angélique : « Ave Maria gratia plena dominus tecum be <nedicta tua in mulieribus> »
Tandis qu’en général le suppliant présente une demande de salut pour lui-même, la nonne redit ici les paroles de l’Ange de l’Annonciation : et la fin qui manque dans la banderole : « Bénite entre toutes les femmes » se lit directement dans l’image de l‘allaitement.
Allaiter du sein gauche
Il est à noter que, bien que la droite soit fortement valorisée dans cette image, le fait que Marie donne son sein gauche n’a visiblement pas de connotation négative (sans doute parce qu’à la différence des mains, les seins sont identiques et interchangeables).
En aparté : la Vierge Galaktotrophousa
Vierge Galaktotrophousa, XII-XIIIeme siècle, Monastère S.Mariadi Maniace, Sicile Vierge Galaktotrophousa, XIIIème siècle, Eglise San Francesco, Aversa
L’iconographie de la Vierge au Lait s’est introduite en Italie via la Sicile à partir de l’art byzantin, avec des seins minuscules conformes au puritanisme de cet art [9]. L’allaitement par le sein gauche est une simple modification de la formule de la Vierge Hodigitria (vue à mi corps et portant l’Enfant du bras gauche), mais on rencontre dès le départ l’autre possibilité, l’allaitement par le sein droit.
1200-1300, Museo Horne, Florence
Vierge à l’Enfant avec un donateur inconnu
Dans ces deux cas, le format très haut (sans doute la disproportion maximale entre la vierge et le donateur) évite l’effet d’intrusion dû à l’infraction de la règle héraldique.
Graduel et Sacramentaire autrichien,
1260-1264, Morgan Library MS M.855 fol. 110v
Une fois cet effet éliminé (ici par la miniaturisation et la situation « hors cadre » du donateur), la formule du donateur à gauche offre tout son potentiel ascensionnel, dans le sens naturel de la lecture.
Vierge à l’enfant, Saint Matthieu avec un donateur et Saint Georges
Andrea Orcagna ou Maso di Bianco, 1336, église San Giorgio a Ruballa
On ne connaît ici ni l’origine du panneau, ni l’identité du donateur, un ecclésiastique. La présence des saints complique la problématique : le donateur est probablement lié à Saint Matthieu, mais ce dernier ne fait ici aucun geste de présentation. Il est logique qu’il occupe la place d’honneur, en tant qu’Evangéliste, et que Georges se poste à la gauche de Marie pour monter la garde (c’est l’emplacement privilégié pour les saints militaires).
Dès lors, en admettant que la position du donateur soit liée à celle de l’Evangéliste, ce peut être soit parce que son prénom est Matthieu, soit parce que Mathieu est le saint patron de son église (peut être san Matteo di Gavignano). Il y a ici trop d’incertitudes pour pouvoir trancher.
Le bord ambigu
Le coin inférieur droit révèle une intéressante expérimentation graphique sur la notion de bord : tandis que la laisse entre Saint Georges et le dragon nous conduit en hors-champ, sa lance nous mène en avant-plan, laissant entendre d’une part que le donateur se trouve placé sur une étroite corniche devant le panneau, d’autre part que la lance sort de ce « tableau dans le tableau ». Il ne faut sans doute pas voir une grande profondeur théologique dans ce détail, mais plutôt un effet purement graphique, un « truc » de virtuosité qui anticipe les nombreux objets que les artistes de la Renaissance peindront en trompe-l’oeil, , mi-dedans mi dehors, au bas de leurs retables (pour un exemple d’objet-limite chez Crivellli, voir ).
Bénédiction déguisée et donateur-oiseau (SCOOP !)
Vierge à l’enfant avec un donateur
Lorenzo Veneziano, 1356-72, The Fine Arts Museums of San Francisco
Vu de loin, l’Enfant semble esquisser une bénédiction, mais en fait il touche de la main droite l’encolure de sa mère. De l’autre main, il tient une grappe qu’un perroquet vient picorer, tandis que le donateur vient derrière. Ces idées de « bénédiction déguisée » et de « donateur-oiseau » attiré par l’Enfant pourraient être pure coïncidence, si elles n’étaient corroborée par d’autres exemples du même type
Vierge à l’enfant avec un donateur
Andrea Vanni, 1390 , Museo diocesano, Siena (anciennement à l’église di S. Spirito)
Vierge au chardonneret (Madonna del cardellino)
Francesco d’Antonio da Viterbo, 1440-60 , Museo Civico, Viterbo (autrefois au dessus de la porte de la sacristie de l’église Santa Maria in Gradi)
Ici, à la place du raisin pour attirer l’oiseau vers la droite, l’enfant utilise cette fois un fil pour le retenir tandis qu’il s’envole vers la gauche. Du coup la situation du donateur du côté du jouet prend une valeur moins précise que dans la métaphore du donateur-oiseau : la bénédiction déguisée vaut seulement comme un signe d’humilité, comme s’il n’était pas digne d’interrompre le jeu de l’enfant.
Vierge à l’enfant avec le cardinal Rinaldo Brancaccio, et les Saints André, Michel, Jean Baptiste, et Saba
Cristoforo di Giovanni da Sanseverino, vers 1427 , Museo Piersanti, Matelica
Ce panneau a été probablement commandé par le cardinal Brancaccio (dont les armes apparaissent en bas) pour l’église romaine de Sant Andrea e Saba (d’où les deux saints) [10]. C’est à ma connaissance le premier exemple d’un polyptyque où un donateur à gauche quitte le compartiment latéral, et donc la protection de son Saint patron (voir 1-4-1 Tryptiques italiens). Cette familiarité a sans doute à voir avec le haut rang du commanditaire.
Retable de Bad Orb (revers des volets)
Meister der Darmstadter Passion, 1440, Gemäldegalerie, Berlin
Ce retable décorait le maître-autel de l’église Saint Martin de Bad Orb. Il comportait au centre une Crucifixion (détruite en 1983 dans l’incendie de l’église) encadrée par l’ Adoration des Mages et l’Exaltation de la Sainte Croix [11].
Les volets latéraux, détachés à l’époque baroque, ont été conservés à Berlin. Au revers, ils montrent, en miroir le début et la fin de l’histoire : la mère avec Jésus enfant, le Père Eternel avec le Christ mort. Un parallèle ingénieux associe le lys blanc, que la mère donne à l’Enfant, et la colombe blanche qui complète la Trinité : ainsi le Saint Esprit est présent dans les deux panneaux, en tant que troisième terme.
Une question d’éclairage (SCOOP !)
L’artiste a tenu compte du positionnement du retable pour faire coïncider son éclairage avec celui de l’édifice : la lumière vient de droite, donc du Sud, comme le montre le fort contraste entre les rideaux latéraux : bleu clair pour la face éclairée, bleu sombre pour la face à l’ombre.
Cette question d’éclairage est probablement la raison principale du positionnement du donateur (un chanoine inconnu), afin qu’il fasse face à la lumière, tout comme l’Enfant Jésus et le Christ. De plus, cette position à gauche est tout indiquée pour un revers de retable : placé en avant des deux trônes, le donateur embrasse du regard l’ensemble de l’oeuvre qu’il a offerte, tout en indiquant au spectateur le point de départ de sa contemplation.
Dans les Vierges de l’Humilité, moins formelles et moins sensible théologiquement que les Vierges en majesté, les artistes sont plus libres dans leurs choix de composition : ainsi, dans les deux exemples qui suivent, l’Enfant est tantôt au dessus du donateur, et tantôt à l’opposé. Et dans les deux cas, cette formule favorise une forme de fraternité entre l’Enfant et le donateur.
Le donateur : un petit frère (SCOOP !)
Vierge de l’Humilite avec des anges et un donateur
Zanino di Pietro, 1400-50 , collection privée
En plaçant son donateur en contrebas de l’Enfant, yeux et mains levées dans une posture similaire et portant le même tissu rose, Zanino di Pietro a soigné un effet de parallélisme visuel entre les deux silhouettes, comme si le donateur était une sorte de projection minuscule du divin Enfant : son petit frère sur la Terre .
Le donateur : un second fils (SCOOP !)
Vierge de l’Humilité avec deux anges et un donateur inconnu
Giovanni di Paolo, vers 1445, MET, New-York
Ici, le donateur, en « touchant » visuellement le manteau, fait écho à l’ange de gauche, qui le touche quant à lui physiquement. L’intéressant est que l’autre ange, en embouchant et tenant à deux mains sa trompette, mime quant à lui ce que fait Jésus avec le sein de Marie.
C’est donc ici un parallélisme logique entre les deux « fils » et les deux anges du tableau qui a dicté la position du donateur.
Crivelli
A une période où le donateur-enfant devenait courant, Crivelli n’a utilisé que la formule archaïsante du donateur-souris, dont la taille est souvent minorée par un objet-repoussoir.
Polyptique de Porto San Giorgio, Panneau central (Madonna Cook),
Carlo Crivelli, vers 1470, NGA, Washington
(Cliquer pour la reconstitution de l’ensemble) [12]
Ici l’écclésiastique albanais Prenta di Giorgio se trouve pris en sandwich entre la pomme d’Eve et la couronne de Marie, ce qui est en somme le sort de tout humain.
Vierge à l’Enfant avec un donateur franciscain
Crivelli, 1482 , Pinacoteca Vaticano, Rome
Ce panneau est la partie centrale d’un triptyque aujourd’hui perdu, réalisé pour le couvent de San Francesco in Force, et le frère franciscain n’a pas été identifié avec certitude.
Suspendus à un collier de perles, le rubis proprement céleste de la Reine des Cieux fait écho à la branche de corail, accessoire protecteur d’un bébé bien terrestre.
La position du franciscain attire l’oeil sur la fracture dans le marbre, matérialisation de la présence du Mal et de l’Imperfection sur cette Terre (Crivelli est bien connu pour ses mouches, qui remplissent le même rôle). La fracture, colmatée par le pied droit de la Vierge, rappelle de manière subtile que la pureté de Marie contrecarre la pomme d’Eve, tenue à distance par la main gauche de l’Enfant.
Vierge à l’Enfant avec des saints et le donateur Fra Bernardino Ferretti
Carlo Crivelli, vers 1490, Walters Art Museum, Baltimore.
Dans cette compositions moins solennelle, sans trône et à mi-corps, une copie très proche de notre frère franciscain se trouve sur la même margelle que l’Enfant, tel un jouet sur une étagère : cette position à la fois extérieure et inférieure minore l’infraction à l’ordre héraldique.
Une Madonne franciscaine
Le panneau de Crivelli a été réalisé pour Fra Bernardino Ferretti (Fra Bernardino da Ancona, d’où les initiales F.B.D.A), probablement pour sa chapelle privée dans l’église de San Francesco ad Alto à Ancône. De part et d’autre de la Madonne couronnée, deux Frères éminents relaient auprès de la madonne la prière du minuscule franciscain :
- en position d’honneur le fondateur de l’ordre, Saint François en adoration, les mains croisées sur sa poitrine (mais sans stigmates) ;
- en pendant un autre franciscain célèbre, saint Bernardin de Sienne, tenant devant sa poitrine son signe distinctif (une plaque avec le monogramme du Christ entouré de flammes).
Le donateur a choisi un placement hiérarchique, sous le fondateur de son ordre plutôt que sous son saint homonyme. Position qui lui permet de se placer, à la limite du tapis, sous la protection du manteau de Marie.
Vierge à l’Enfant avec Saint François, saint Sébastian et la donatrice Oradea Becchetti
Carlo Crivellli, 1491, National Gallery, Londres
Ce panneau a été commandé par Oradea Becchetti, veuve du marchand Giovanni Becchetti, afin de respecter le dernier voeu de son mari : fonder une chapelle dédiée à Sainte Marie de la Consolation dans l’église San Francesco de Fabriano. D’où la présence de Saint François en position d’honneur, présentant la veuve en prières.
Une oeuvre d’utilité publique
Dans l’inscription gravée en bas du panneau dans le rebord de marbre, Oradea se révèle très fière de sa générosité envers les siens, aussi bien morts que vivants :
« A Marie pleine de bonté, mère des consolations, en compassion pour ses ascendants et ses descendants , avec une somme non modique de son propre argent, Oradea di Giovanni a dédié ceci. »
Il faut dire que Crivelli était alors un peintre célèbre et qui avait été fait chevalier, comme l’indique fièrement le mot MILES dans sa signature.
Mais au delà de la famille, le retable bénéficiait aussi aux visiteurs. Un panonceau autrefois posé devant le retable, mentionnant « l’Honorable Oradea di Giovanni Becchetti », promettait 140 jours d’indulgence à ceux qui prieraient certains jours, notamment pour la Saint Jean-Baptiste (le patron de son mari), la Saint François et la Saint Sébastien ([13], p 148).
Oradea, dont le prénom signifie littéralement « Je prie Dieu » servait donc d’exemple avec son chapelet, de complément visuel au panonceau.
Ces jours là, la veuve relayait à l’intérieur du tableau la prière du visiteur, qui se multipliait avec celle des Saints, dans une sorte d’amplificateur de piété.
Ainsi la position de la donatrice, certes humble (par sa taille) mais très honorable (entre la Vierge, dont elle frôle le manteau, et Saint François, dont elle frôle la bure) traduit la reconnaissance de sa situation sociale, bienfaitrice de sa famille et de sa ville.
Soigner les plaies (SCOOP !)
L’escargot du premier plan a, comme souvent été interprété comme une métaphore de la Virginité de Marie. Mais dans le contexte particulier de ce tableau, entre les stigmates clairement cicatrisés de Saint François, et les plaies peu saignantes de Saint Sébastien, il semble plutôt posséder une valeur prophylactique. En pendant à la flèche brisée tombée sur le sol (qui complète celle qui traverse le genou gauche du martyr), sa coquille donne l’image d’une cuirasse, d’une protection moins fragile qu’il n’y paraît : on sait qu’un escargot peut reconstituer sa coquille brisée si on le nourrit avec des fragments de coquille. D’où la croyance antique de son efficacité, justement dans le traitement des blessures :
« Les flèches, les traits qu’il s’agit d’extraire du corps, sont attirés extérieurement par l’application d’un rat, d’un lézard coupés en deux. Les limaçons qui s’attachent par groupe aux feuilles des arbres sont pilés, chair et coquille, et appliqués sur la peau dans le même but. L’escargot qui paraît sur nos tables est bon aussi mais il faut mettre la coquille de côté. » Pline, Histoine Naturelle, XXX, XLII
Vierge à l’enfant avec des saints et un donateur
Andrea Sabatini , 1522, collection privée.
Ce panneau retardataire n’a d’autre intérêt que d’être le tout dernier exemple d’un donateur-souris en Italie : il s’agit de Blaise Melanese, général de l’ordre bénédictin de Vallombreuse.
Triple Saint Anne avec le donateur Simon Götz, abbé du monastère de Obermarchtal
1515, Musée Thyssen Bornemisza, Madrid
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La formule du donateur-souris disparaît à la même époque dans les pays germaniques : celui-ci de trouve au revers d’un triptyque dont le panneau central a disparu [14]. A noter que la problématique de l’ordre héraldique n’a guère de sens ici, puisque la figure d’autorité est Sainte Anne debout, flanquée de Jésus bébé et de Marie enfant (iconographie de la Triple Sainte Anne).
https://books.google.fr/books?id=ucXz26HOwPgC&pg=PA98 [3] http://www.iluoghidelsilenzio.it/chiesa-di-santa-maria-assunta-cesi-tr/
aa voir INHA https://books.google.fr/books?id=I8AFWHCEMU0C&pg=PA141&dq=MUCCIA+CIANTARI&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiX-Mrcv9nfAhUxyIUKHdPFBQoQ6AEIKTAA#v=onepage&q=MUCCIA%20CIANTARI&f=false7 [4] « Thomas Aquinas’s relics as focus for conflict and cult in the Late Middle Ages: the Restless Corpse » Marika Räsänen, 2007, p 177 [5] https://www.nga.gov/collection/art-object-page.13.html [6] https://it.wikipedia.org/wiki/Madonna_in_trono_col_Bambino_e_santi_(Agnolo_Gaddi) [7] https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Vierge_d%27humilit%C3%A9_ador%C3%A9e_par_un_prince_de_la_Maison_d%27Este [8] https://www.metmuseum.org/art/collection/search/459024 [9] Studies in the Iconography of the Virgin, Victor Lasareff, The Art Bulletin Vol. 20, No. 1 (Mar., 1938), p 35 https://www.jstor.org/stable/3046561 [10] Matelica Segni Di Vita E Di Luce, A. Trecciola, 2005, p 89 https://books.google.fr/books?id=et4NDhAOs7MC&pg=PA89 [11] http://archiv.ub.uni-heidelberg.de/artdok/3561/1/Badorb_Altar_20130693.pdf [12] Sur l’histoire du polyptique et de ses vissicitudes : https://it.wikipedia.org/wiki/Polittico_di_Porto_San_Giorgio
Sur la Madonne Cook : https://www.nga.gov/collection/art-object-page.41616.html [13] Renaissance women patrons : wives and widows in Italy c. 1300-c. 1550 Catherine E.King, 1998 [14] https://www.museothyssen.org/en/collection/artists/anonymous-german-artist-active-swabia-ca-1515/saint-anne-virgin-and-child-and