Critique de La vie de Galilée, de Bertolt Brecht, vue le 11 juin 2019 à la Comédie-Française
Avec Véronique Vella, Thierry Hancisse, Alain Lenglet, Florence Viala, Jérôme Pouly, Guillaume Gallienne / Serge Bagdassarian, Hervé Pierre, Bakary Sangaré, Pierre Louis-Calixte / Nâzim Boudjenah, Gilles David, Jérémy Lopez, Julien Frison / Birane Ba, Jean Chevalier, Élise Lhomeau et les académiciens de la Comédie-Française Peio Berterretche, Béatrice Bienville, Pauline Chabrol, Noémie Pasteger, Léa Schweitzer, Thomas Keller Giuseppe, Olivier Lugo, Jordan Vincent
Qu’est-ce que j’avais hâte de découvrir ce spectacle ! Je gardais un merveilleux souvenir du Roméo et Juliette déjà mis en scène par Eric Ruf, qui en avait présenté une version tout à fait intéressante, bien loin des clichés de mise en scène habituellement utilisés pour monter le texte. A l’annonce du Brecht dont Hervé Pierre incarnerait le rôle-titre, impossible de ne pas penser non plus à son magnifique Peer Gynt, spectacle fleuve qui restera dans les mémoires pour le monde merveilleux qu’il avait réussi à créer sous la verrière du Grand Palais. J’imaginais son Galilée comme un Peer Gynt Brechtien, je salivais devant les photos de répétition, je n’en pouvais plus d’attendre. J’ai comme l’impression d’avoir été trollée.
Dans La Vie de Galilée, je découvre un nouveau Brecht, plus accessible, moins complexe. Plus continue que ses autres pièces, il y raconte l’histoire d’une vie, celle du scientifique italien Galileo Galilei qui, au XVIIe siècle, par ses travaux, prolonge la théorie copernicienne selon laquelle le monde jusqu’alors considéré comme géocentrique serait en réalité héliocentrique, c’est-à-dire que la Terre ne serait plus le centre du monde. Une découverte que l’Eglise trouvera dangereuse, montrant que l’Homme ne serait plus le coeur de la Création, et dont elle cherchera à faire taire l’auteur.
Il y a deux choses qui se distinguent dans ce spectacle, l’une probablement aux dépens de l’autre. D’un côté, le grand travail sur la lumière qui ne peut qu’être salué, avec de belles trouvailles à la fois simple et poétiques, comme l’éclairage intelligent du plafond de la Comédie-Française qui sert à la fois Brecht et Galilée. Cet accent mis sur la lumière est un symbole important puisque la science, qui est au coeur de la pièce, n’est-elle pas aussi une lumière pour ceux qui cherchent la connaissance ? Pour rendre les contrastes encore plus flagrants, beaucoup de scènes se passent dans un noir quasi-total, ne laissant apercevoir sur le plateau que certains gestes, certains déplacements, personnification d’un obscurantisme qui fait obstacle au travail de Galilée.
Toujours du côté de la scénographie, de tout ce qui habille ce spectacle, on notera aussi le travail fait sur les costumes. Alors certes, c’est presque facile de présenter pareils vêtements lorsqu’on est la Comédie-Française et qu’on peut travailler avec Christian Lacroix, mais cela ne m’empêchera pas de m’arrêter un instant sur la beauté des tenues qui nous sont présentées, d’autant plus mises en valeur que les scènes de groupe sont pensées comme de véritables tableaux, transformant le plateau du Français en une quasi-Église qui exposerait ses oeuvres les plus précieuses. Devant ces différents éléments, mes yeux étaient ravis.
Cependant, je ne peux m’enthousiasmer autant devant les décors – somptueux certes, mais pas franchement au service du spectacle. Ils alourdissent la pièce, accaparant notre attention à la place des comédiens qui peinent à exister dans ce décor imposant. C’est comme si toute la présence de l’Eglise passait dans ce décor et non plus dans les personnages qui semblent presque moins travaillés que la forme du spectacle. En effet, face à tout ce travail de scénographe que l’on sent minutieux, passionné, inspiré, il y a le travail de metteur en scène qui semble quelque peu délaissé par Éric Ruf.
Est-ce parce qu’il s’est trop intéressé à tout ce qui les entoure ou parce qu’il n’a pas accordé assez d’attention au travail à la table, travail de fond sur le texte, que les comédiens semblent un peu naviguer à vue ? On entend le texte, magnifique, de Brecht, mais on ne le sent pas. La tension qui devrait exister entre Galilée et l’Église est quasi-inexistante. La vie de Galilée semble finalement se dérouler comme un long fleuve tranquille, ce qui donne un spectacle lent, où l’on se retrouve parfois à la limite de l’ennui, condamnés à savourer la seule beauté du décor et des costumes.
Il faut dire que certaines scènes sont difficilement compréhensibles : on ne comprend pas vraiment où vont les comédiens. C’est dommage, car il avait réuni une distribution d’une grande qualité. Je m’étonne que Thierry Hancisse, qui endosse les habits de Cardinal Inquisiteur et qui devrait nous inquiéter d’une manière ou d’une autre, soit si fade. Le personnage du pape, qui était incarné par Guillaume Gallienne le soir où j’y étais, m’a paru lui aussi bien pâle et je trouve étrange que les deux plus hauts dignitaires de l’Église soient ainsi insipides alors qu’ils représentent l’obstacle principal de Galilée dans le spectacle. Un problème encore différent se rencontre chez les comédiens les plus jeunes, dont plusieurs phrases sont avalées par une diction incertaine ou absorbées par ce décor trop imposant. Enfin, le personnage de Virginia, la fille de Galilée, perd toute sa saveur dans l’incarnation d’Elise Lhomeau, que je découvrais, qui propose un jeu peu convaincant, trop appliqué.
Même Hervé Pierre déçoit, lui qu’on imaginait pourtant taillé pour le rôle. Son Galilée passe parfois en force, et on devine encore trop le comédien derrière le scientifique. Seul Jean Chevalier, dont j’avais déjà salué la prestation dans Fanny et Alexandre, tire son épingle du jeu en faisant véritablement exister son personnage d’élève de Galilée : on sent vraiment la passion qui exulte, le cerveau qui bouillonne, les tripes qui en veulent toujours davantage.
On aurait aimé quelque chose de plus vivant.