Filiation des Apocalypses anglo-normandes
Selon Peter Klein [1], toutes ces Apocalypses dérivent d’un prototype perdu, réalisé dans les années 1240, qui aurait ensuite donné naissance à trois groupes. Cette généalogie, très hypothétique puisque aucun manuscrit n’est daté, n’est pas partagée par tous les spécialistes.
Parmi la cinquantaine de manuscrits concernés[2], nous allons en feuilleter une douzaine, du point de vue qui nous intéresse ici : la figuration de Saint Jean.
A Le groupe Morgan
A1 L’Apocalypse Morgan [3]
fol 2v fol 6v
Apocalypse Morgan, Londres, 1255-60, MS M.524
Ce manuscrit est entièrement historié, avec deux images par page. Saint Jean n’apparaît pas partout, mais la convention graphique est très simple : il est toujours à gauche de l’image, sauf pour ponctuer la fin d’un épisode.
Dans le premier exemple, la position à droite conclut l’épisode des quatre cavaliers ; dans le deuxième, elle introduit un nouvel épisode, celui des deux témoins.
fol 10r fol16r
Dans le troisième exemple, Saint Jean réapparaît à sa position normale pour séparer deux épisodes faciles à confondre : celui du Dragon et celui de la Bête de la mer. Dans le quatrième au contraire, il s’insère à l’intérieur de l’image pour créer un lien entre les deux moitiés : le renversement de la sixième coupe, et le résultat.
La Femme et le Dragon (fol 8v).
A noter que Saint Jean ne figure pas dans la miniature de la Femme au dragon, ni dans celle du combat de Saint Michel avec le Dragon.
Dans ce manuscrit qui ne comporte aucune page de texte, la figurine de Saint Jean est en somme utilisée comme un signe de ponctuation graphique : tantôt tiret, tantôt trait d’union.
Le troisième et le quatrième cavalier (fol 4v)
Un autre manuscrit du même format (Bodleian MS Auct D4.17 [4]) suit exactement les mêmes conventions de « ponctuation ».
A2 BNF MS Français 403 [5]
Le quatrième cavalier (fol 9r) La sixième coupe (fol 32v)
Salisbury, vers 1250, BNF MS Français 403
Cet autre manuscrit, très proche mais avec du texte intercalaire et une seule image par page, utilise Saint Jean de manière encore plus carrée : il est toujours à gauche, sauf dans l’image du dernier cavalier. Et il réapparaît (après quelques images où il est absent) pour marquer la spécificité de l’image de la sixième coupe.
La Femme et le Dragon (fol 19v).
Comme d’habitude dans le groupe Morgan, il ne figure pas en compagnie de la Femme au dragon.
Synthèse sur le groupe Morgan
Du point de vue du positionnement de Saint Jean, le groupe Morgan se caractérise par une convention simple : il est toujours à l’intérieur de l’image, et est utilisé comme une sorte de signe de ponctuation graphique.
B Le groupe Metz
Ce groupe tire son nom d’un manuscrit de la Bibliothèque de Metz, disparu durant la seconde Guerre Mondiale.
B1 L’Apocalypse de Cambrai [6]
La sixième coupe (fol 73r-74v)
Belgique (Louvain ?), vers 1260, BM Cambrai MS 422
Dans ce manuscrit, Saint Jean figure toujours à gauche, à l’intérieur des images : ici son apparition sert à relier les deux moitiés de l’épisode.
Quatrième cavalier (fol 22r)
Dans quatre images seulement, il se trouve en position externe, sur la marge large : ici cette irrégularité sert, comme d’habitude, à clôturer l’épisode des cavaliers.
B2 L’Apocalypse d’Abingdon [7]
Ce manuscrit a une structure très particulière : l’Apocalypse est illustrée sur les pages de gauche (au dessus du texte en latin), tandis que celles de droite montrent des images complémentaires illustrant son commentaire par Berengaudus (en français).
Le personnage de Saint Jean apparaît soit en position intérieure gauche, soit plus rarement en position extérieure, du côté de la marge large. Les trois exceptions à cette règle sont intéressantes.
Saint Jean devant les sept cierges, Saint Jean devant les sept église (fol. 5v)
Apocalypse d’Abingdon
Anglo-normand, 1250-75, BL MS Add 42555
L’illustrateur a aggloméré en une seule image deux scènes qui sont habituellement séparées . Il a donc dû représenter Saint Jean deux fois : à l‘intérieur (agenouillé avec les pieds dépassant du cadre) et à l’extérieur, debout et inspiré par l’Ange.
Le quatrième cavalier (fol. 14v)
La deuxième exception est classique : elle sert à clôturer l‘épisode des cavaliers.
Un Ange montre Babylone détruite (fol 64v) Un Evêque réconforte les habitants d’une ville ruinée (fol 65r)
Saint Jean apparaît deux fois sur la page de gauche, à l’intérieur de l’image et dans la marge droite, le regard dirigé vers la page de droite.
Le texte de celle-ci développe une comparaison entre l’Ange de la première image et l’Eglise, personnifiée par l’évêque : la figurine marginale fonctionne comme un trait d’union, attirant l’oeil sur le parallélisme entre les deux images.
-
B3 L’Apocalypse BNF Lat 14410 [8]
Saint Jean figure partout en position interne gauche, sauf dans cinq miniatures où il se trouve dans la marge large.
Premier cavalier (fol 10) Quatrième cavalier (fol 11)
Apocalypse BNF Lat 14410
Anglo-normand, 1275-1300, BNF Lat 14410
Ici on comprend qu’il encadre les deux images consacrées aux cavaliers.
La quatrième trompette (fol 21)
De manière assez subtile, il intervient dans une seule des six miniatures consécutives de la série des trompettes, pour tenir compagnie à son oiseau favori, l’aigle, qui ici dit trois fois « Malheur ».
La multitude des Elus (fol 15) L’ouverture du septième sceau (fol 16)
Les deux autres apparitions de la figurine marginale semblent destinées à lier deux images recto-verso qui se passent en fait dans des lieux contigus (l’autel est à côté du trône), comme le montre la Mandorle avec le Christ.
B4 L’Apocalypse des Cloisters [9]
Le contrôle des quatre vents (fol 10v ) La bénédiction des Elus (Apocalypse 7) (fol 11r)
L’Apocalypse des Cloisters
Normand, vers 1330, MET, New York
Dans ce manuscrit très régulier, Saint Jean est toujours à gauche lorsqu’il est en position intérieure. Dans neuf miniatures, il apparaît en position extérieure, toujours sur la marge large :
- dans trois couples : 5v-6r, 6v-7r, 8v-9r (troisième et quatrième cavalier) ;
- sur l’image isolée de la Multitudes des Elus (5r) ;
- entre la quatrième et la cinquième trompette (14r, 14v).
Synthèse sur le groupe Metz
Du point de vue du positionnement de Saint Jean, le groupe Metz voit apparaître une innovation par rapport au groupe Morgan : la figurine sort à l’extérieur de quelques images, toujours les mêmes, et toujours sur la marge large (sauf dans le format très particulier de l’Apocalypse d’Abingdon )
Cambrai MS 422 fol 22r (détail)Le cadre de l’image prend une épaisseur matérielle : auparavant simple délimitation graphique, il est vu maintenant comme une cloison dans laquelle l’illustrateur prend soin de ménager une sorte de judas, afin que la Saint puisse voir et entendre. Ce dispositif ambigu déclare à la fois que Jean est en dehors de l’image (comme le Lecteur est en dehors du Livre), et qu’il en fait partie (puisqu’il peut manipuler le judas). On remarquera que cette perméabilité concerne également le cheval, qui vient marcher en avant du cadre.
Ces jeux avec la limite des conventions graphiques prouve une certaine maturité du regard, une prise de distance par rapport à l’immersion brutale dans le surnaturel que devaient apprécier les lecteurs des générations précédentes.
C Le groupe Westminster
Ce groupe rassemble des manuscrits de très haute qualité, destinés à la Cour.
C1 L’Apocalyse de la reine Eleanor [10]
La convention graphique de ce manuscrit est très simple : Saint Jean apparaît dans presque toutes les miniatures, à l’intérieur de l’image et à gauche, debout et tenant un livre.
Fol 5r
Anglo-normand, vers 1250, Trinity College R.16.2
Cette page comporte deux positions différentes de Saint Jean :
- en haut intégré dans l’image : il s’agit ici d’une scène double ( Saint Jean écoute l’Ange puis le Vieillard, Apocalypse 5:1-5)
- en bas dans une case séparée (solution abandonnée après ce feuillet)
Pour briser l’uniformité, l’artiste alterne les fonds bleu et rouge ; de même il inverse régulièrement les couleurs de la robe et du manteau : c’est le livre et la position à gauche qui permettent d’identifier Saint Jean.
Fol 8v Fol 9r
Trinity College, Cambridge
Une transition plus radicale se produit au tournant d’une page : le jeune homme imberbe devient pour toute la suite un barbu grisonnant.
Fol 13r Trinity College, Cambridge
Dans la page dédiée à la Femme de l’Apocalypse, Saint Jean n’apparaît pas.
Fol 25v Trinity College, Cambridge
Toute l’efficacité de la convention se révèle dans cette Vision de la Jérusalem Céleste : un enchaînement de relais fait monter le lecteur, via Saint Jean puis l’Ange devant les murailles, puis le même Ange à l’intérieur de la ville en train de la mesurer, jusqu’à la source du « fleuve d’eau de la vie » (Apocalypse 21:10-27).
C2 L’Apocalypse de Toulouse [11]
fol 24v-25r
Apocalypse de Toulouse, 1300-20, BM MS 815
Dans ce manuscrit, qui dérive visiblement de celui de la Reine Eleanor, Saint Jean apparaît dans pratiquement toutes les images, y compris celle de la Femme et du Dragon, et toujours à gauche.
fol 39v-40r
La seule exception est dans cette double page où, exceptionnellement, la Grande Prostituée figure deux fois : assise « sur les grandes eaux » et assise « sur une bête écarlate ». La figure de Jean sert de trait d’union entre les deux
C3 L’Apocalypse Add MS 35166 [12]
La Femme vêtue de soleil (fol 16v)
L’Apocalypse Add MS 35166
Anglais, 1250-99, British Library Add MS 35166
Beaucoup moins complexe que le précédent mais réalisée selon les mêmes schémas de composition (une miniature en haut de chaque page, encadrée en vert et or, au dessus du texte et du commentaire), ce manuscrit présente Saint Jean en position interne gauche, dans toutes les images où il figure.
Le dessèchement de l’Euphrate (début de la sixième coupe) (fol 18r ) Le résultat (fin de la sixième coupe) (fol 18r )
Le seule exception est intéressante, car elle apparaît au même endroit que que dans l’Apocalypse de Cambrai, pour attirer l’attention du lecteur sur le fait que la scène de la sixième coupe se prolonge sur deux miniatures.
Quant à la position externe, elle se présente seulement cinq fois : à gauche en marge large (fol 10v 21v, 25v), à gauche en marge étroite (fol 11r), et à droite en marge large (fol 24r).
fol 24r
Ici, c’est sans doute parce que l’image illustre deux phrases successives (le Christ dans le pressoir et la Vision des armées célestes, Apocalypse 8 :13-14). Ce qui confirme le rôle de la figurine marginale comme auxiliaire de lecture.
L’Adoration de l’Agneau et du Seigneur (fol 10v) Le septième sceau (fol 11r)
Dans ces deux feuillets côte à côte, l’illustrateur s’est donné la peine, à droite, de choisir la marge étroite, afin d’accentuer le parallélisme entre les deux compositions. La preuve qu’il ne s’agit pas d’une erreur est qu’on retrouve exactement la même disposition des figurines marginales, aux mêmes folios 10v et 11r, dans un autre manuscrit anglais plus ancien et qui en est certainement le prototype [13].
C4 L’Apocalypse Getty [14]
L’Apocalypse Getty (anciennement Dyson Perrins), manuscrit anglais des années 1255-60 est une oeuvre très innovante, puisque ses quatre-vingt deux illustrations incluent la figure de Saint Jean : après trois pages introductives, touts les autres illustrent verset par verset le texte de l’Apocalypse.
Tous les folios ont la même structure : le texte de l’Apocalyse en noir, un commentaire en rouge, et au dessus la miniature dans un encadrement vert et or.
Normalisation et exception (SCOOP !)
fol. 2v
Apocalypse Getty
Anglais, 1255-60, Getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72)
« J’entendis derrière moi une voix forte, comme le son d’une trompette, et qui disait : « Ce que tu vois, écris-le dans un livre, et envoie-le aux sept Eglises »
La figure du narrateur indique que le récit à la première personne commence ici, et il est placé à droite, pour bien montrer que le voix se situe « derrière lui« .
On remarquera que cette position est malcommode, puisqu’elle oblige à caser le Saint dans la marge la plus étroite, côté reliure. L’artiste commence ici par une exception délibérée à ses propres conventions graphiques, qui sont au nombre de trois.
Les trois formules (SCOOP !)
Pour les déceler, il faut considérer les pages par couples, un verso à gauche et un recto à droite, telles qu’on les voit quand le livre est grand ouvert. On ne rencontre que les trois formules ci-dessous :
- « interne » : Saint Jean est à l’intérieur du cadre et à gauche (22 cas « IG-IG ») ;
- « externe » : Saint Jean est à l’extérieur du cadre, sur la marge large (9 cas « EG-ED ») ;
- « mixte » : Saint Jean est au verso à l’extérieur gauche, au recto à l’intérieur droit (11 cas « EG-IG »).
On comprend que la formule interne s’impose lorsque le Saint a une interaction avec un autre personnage, mais elle est aussi employée dans des cas où il se trouve en position purement contemplative.
Dans cette liste, la formule interne est en jaune, la formule externe en bleu, la formule mixte en vert. L’alternance entre les trois formules ne semble pas avoir d’autre raison qu’un souci de variété. Mais Les rares exceptions (en rouge) méritent d’être étudiées, car l’illustrateur s’en sert pour créer un effet de surprise, porteur d’une signification particulière.
Des exceptions significatives
La vision de Dieu sur son trône (fol 4v) La vision de l’Agneau (fol 5r)
(Getty museum)
En comparant les deux images côte à côte, le spectateur voit immédiatement que le personnage barbu, vêtu en gris et qui passe ridiculement la tête par le trou du cadre (comme dans un noeud coulant) n’est pas Saint Jean…
…mais Judas, contemplant sa victime (l’Agneau sacrifié).
Le quatrième cavalier (fol 7v) (Getty museum)Selon la formule interne, ce verso devrait montrer le Saint en Intérieur gauche, tout comme pour les trois miniatures précédentes qui illustrent les autres cavaliers. En le plaçant à l’extérieur droit, l’illustrateur clôture la séquence tout en créant un effet visuel amusant, avec l’Aigle qui tente de s’enfuir à travers le trou pour rejoindre son maître.
La Femme vêtue de soleil (fol 19v) La Femme vêtue de soleil donne son enfant à l’Ange (fol 20r)
(Getty museum)
Selon la formule interne, le folio de droite devrait montrer Saint Jean à l’intérieur du cadre : en le plaçant sur la marge droite, dans quelle la nuée déborde, l’illustrateur attire notre attention sur le détail qu’il faut voir : la Femme qui disparaît après avoir sauvé son enfant.
Le combat entre l’ange et le Dragon au dessus de la Mer (fol 20v) Le Démon de la Terre (fol 21)
(Getty museum)
L’illustrateur conserve la même position anormale à l’image suivante, pour créer un effet dramatique en plaçant le Saint du côté des dragons, les contemplant par une fente étroite. Avant de revenir, à l’image suivante, à la classique formule interne.
Le Dragon donne le sceptre du Pouvoir à la Bête (fol 23v)
(Getty museum)
Selon la formule externe, le Saint devrait être placé dans la marge gauche : en l’inversant, il semble que l’illustrateur a peut être voulu créer une correspondance avec l’autre scène maritime que nous venons de voir (fol 20v), les feuillets intermédiaires montrant des scènes terrestres.
Le dessèchement de l’Euphrate (début de la sixieme coupe) ( fol 34v)
(Getty museum)
Selon la formule interne, Saint Jean devrait être en intérieur gauche, ce qui est le cas pour les illustrations des six autres sceaux. L’exception, que nous avons déjà rencontrée, signale qu’il s’agit d’une situation intermédiaire, avant l’image montrant le résultat de l’action du Sixième sceau (celui-ci étant le seul auquel sont consacrées deux images).
Un illustrateur inventif
Ce manuscrit exceptionnel révèle donc un dessinateur particulièrement inventif, explorant les possibilités formelles qu’offre le jeu avec le cadre. Mais son innovation la plus spectaculaire reste cette figuration systématique du Saint qui, par un puissant effet de relais, aspire le spectateur à l’intérieur de sa vision horrifique.
C5 BNF Lat 10464 [15]
Cet autre manuscrit anglais de la même époque a de nombreuses affinités avec l’Apocalypse Getty
BNF Lat 10464 fol 11r Getty fol 9v (Getty museum)
L’adoration de l’Agneau et du Seigneur (Apocalypse 7:9-17)
Par exemple, ces deux illustrations du même passage montrent tous deux Saint Jean en position externe, écoutant l’un des viellards :
« Alors un des vieillards, prenant la parole me dit: » Ceux que tu vois revêtus de ces robes blanches qui sont-ils, et d’où sont-ils venus? » «
L’interversion de la position de Saint Jean correspond-elle au fait que les illustrations sont décalées, l’une au recto et l’autre au verso ?
BNF Lat 10464 fol 21r Getty fol 19v (Getty museum)
Pour la Femme de l’Apocalypse, le décalage n’a en revanche pas d’effet sur la position du Saint, qui reste en interne gauche.
BNF Lat 10464 fol 21v Getty fol 20r (Getty museum)
Pour la Femme et le Dragon, même chose : le décalage n’a pas d’effet sur la composition.
On constate dans certaines parties une volonté de constitution de couples symétriques : par exemple dans la série des Sept Eglises, les positions du saint sont symétriques entre le verso et le recto. Mais ce principe ne se maintient pas dans l’ensemble du manuscrit.
C6 Apocalypse de Douce [16]
L’Apocalypse de Douce (Anglais, 1250 -75, British Library, Bodleian Ms180) est très proche des deux précédentes.
Douce fol 22v (British Library) Getty fol 9v (Getty museum)
L’adoration de l’Agneau et du Seigneur (Apocalypse 7:9-1)
Ces deux images, toutes deux au verso, ont la même composition.
Douce fol 33v (British Library) Getty fol 19v (Getty museum)
La Femme de l’Apocalypse est très semblable dans les deux manuscrits.
Douce fol 34r (British Library) Getty fol 20r (Getty museum)
La Femme au Dragon en revanche, est différente : la figure de Jean est absente, et la position de la Femme est inversée, alors que les deux images sont au recto.
Malgré quelques affinités, l’Apocalypse de Douce ne partage pas du tout les mêmes contraintes formelles que l’Apocalypse Getty :
- Saint Jean n’est pas présent dans toutes les images (seulement dans 67 sur 97) ;
- Sa position dominante est la position interne : 39 à Gauche, 13 à Droite, 3 au Centre, et 5 où il se trouve deux fois, à gauche et à droite.
- La position externe est rare : 4 cas à Gauche, 3 à droite.
De plus, on ne constate pas du tout une volonté de regrouper les compositions par couples symétriques. Les positions du Saint alternent arbitrairement, même à l’intérieur d’une même série.
Un bon exemple est la comparaison de la série des Sept Eglises avec le BNF Lat 10464 (le Getty ne comporte pas cette série). Alors que le premier manuscrit montre une volonté de constituer des couples symétriques, le second ne révèle aucune régularité.
Si l’illustrateur du Getty montre clairement une volonté de mettre en place des régularités, afin d’attirer l’attention du lecteur sur les ruptures de rythme, les autres copistes ne montrent pas un tel esprit de système : même si l’utilisation de calques aurait pu permettre, dans un même atelier, d’inverser facilement des images selon qu’elles se trouvaient au recto ou au verso, on constate d’une part que certaines ne sont jamais inversées (Saint Jean devant la Femme) alors que d’autres le sont parfois, mais sans règle systématique (La Femme et le Dragon).
Synthèse sur le groupe Westminster
Du point de vue du positionnement de Saint Jean, le groupe Westminster se caractérise par une présence accrue du saint (sans doute synonyme de richesse) et l’utilisation de toutes les possibilités graphiques :
- position interne à gauche ou à droite ;
- position externe sur la marge large ou sur la marge étroite.
Ces manuscrits hautement sophistiqués s’adressaient à un public capable de remarquer les ruptures de régularité, et de chercher à leur donner un sens. Cependant, seul l’illustrateur de l’Apocalypse Getty a développé un système formel assez strict pour donner aux rares écarts une valeur expressive indubitable. Les manuscrits postérieurs sont plus sujets à l’arbitraire, comme si les lecteurs, désormais accoutumés à l’omniprésence de Saint Jean, appréciaient plus la variété (par rapport aux autres commanditaires) que la mise au point de conventions graphiques rigoureuses.