Comment le # storytelling peut-il être utilisé dans un monde qui se caractérise par une croissance et une accélération de l'éphémère et sa généralisation à des pans sociétaux entiers ?
Le règne de l'éphémère
Sur les réseaux sociauxOn en parle depuis pas mal de temps. L'éphémère est endémique sur les réseaux et médias sociaux. Facebook, par exemple, mais aussi Twitter et la plupart des services conversationnels sur le web fonctionne par recouvrement. Les messages sur la timeline défilent à un rythme effréné. A moins d'être en permanence connecté et à l'affût, il est impossible d'exercer un suivi de ce qui s'y dit. Et même si l'on était connecté sans interruption (ce qui est physiologiquement impossible), le nombre de services sur lesquels nous sommes présents est tel que nous ne pouvons-pourrions rien faire. Je dis que nous sommes "présents" et non pas "acteurs", tout au plus "actifs", et encore... Certains services se sont même faits une spécialité de cette publication éphémère et la revendique comme un modèle.
Quel est le résultat ? Quelle qu'elle soit, vérité, demi-information, fake news, une publication est prise à un instant t et toute information complémentaire apportée par la suite a de très fortes chances de passer inaperçue. L'instant t devient donc la vérité définitive de ceux qui y ont été exposés.
C'est ce qui s'est passé avec la rumeur de morts de manifestants de ce qu'on a appelé l'acte XXX des gilets jaunes à Montpellier. Bon, là, il y a même plus que juste qu'un comportement de consommateur éphémère, on peut aussi parler des producteurs d'information éphèmère. Et là, dans une course pas moins effrénée au scoop, tout le monde, journalistes professionnels comme improvisés, assène des pseudo réalités sans filtres ni précautions. Peu importe que des informations ultérieures viennent démentir le tout. De toute manière, le flux des news est lui aussi éphémère : les consommateurs seront déjà passés à autre chose. Une autre news éphémère...
Voilà, ceci est donc une dérive du développement de l'éphémère dans notre société. Soit. La société la gérera, ou non, c'est son problème. Et cela ne prêterait pas à mal, si ce phénomène ne s'intégrait pas également dans une évolution sociétale plus vaste. Quand cela va jusqu'à la revendication d'hommes et de femmes à être "agenres" ( dans Le Monde, on appelle cela "gender fluid"), c'est à dire hommes un jour ou un instant, femmes à un autre moment... On comprend que ce n'est pas qu'une mode, et que c'est un mode de vie, dont cet exemple est juste une illustration mais qui est réel dans bien des domaines de la vie quotidienne. Il consiste, pour notre société, à revendiquer le droit à la flexibilité extrême, ultime, et extrêmement éphémère. L'abolition complète des cases, des étiquettes que l'on vous colle, aux dépens de ce que l'on pouvait appeler, avant (avant l'éphémère roi), du bon sens. La possibilité d'être ceci ou cela, une chose et son opposé, avec des changements potentiellement incessants dans un laps de temps très court, en fonction de ce que l'on a envie, ou de ce que la situation nous incite à faire. Champ des possibles extrême, sans contraintes, même celles que la nature nous imposait jusque là.
Les conséquences de l'éphémère sur le storytelling
Il y a une certitude : chacun est libre de vivre l'histoire qu'il souhaite, et même les histoires qu'il souhaite. Déjà pour les entreprises, les histoires monologiques ont déjà été cataloguées de préhistoriques depuis bien longtemps. Pas de contre-indication, donc, avec l'ère de l'éphémère.
Cela dit, nous avons tous besoin de repères, de réalités assez stables pour pouvoir nous positionner. Exemple : si je décide d'être une femme demain matin, encore faut-il qu'il existe toujours un certain nombre de codes qui puissent m'identifier comme telle, aux yeux de moi-même et des autres.
Il faut donc, au dessus des histoires que je choisis de vivre et qui, du fait de leur caractère éphémère, ressemblent plus à des anecdotes, une master-story, une ligne directrice. Cet élément de référence permet de me situer dans la foison d'histoires éphémères qui s'entrecroisent, et à ces histoires éphémères d'entrer en contact, de se connecter. Car il ne s'agit pas (ou du moins il ne doit pas s'agir) de se la raconter : ce serait bien paradoxal que de demander de la diversité pour tomber dans le monologue !
Même Donald Trump, qualifié de champion des volte-face, a une ligne directrice qu'il suit, malgré les apparences. Ce n'est pas le "poulet sans tête" que certains se plaisent à décrire.
Donc l'éphémère ne nous autorise pas à vivre dans le chaos narratif : au contraire, le storytelling est salutaire pour nous permettre de vivre une belle histoire exempte de schizophrénie (et qui évite aussi d'imposer une vie de schizophrénie à autrui). Il se pose en pilier, base, fondement sur lesquels s'appuyer, sans se reposer toutefois mais pour s'élever vers une histoire toujours meilleure. Une méta-histoire peut bien être cet élément apportant un gage de fiabilité dont nous avons besoin pour la moindre de nos interactions, nos transactions. Même pour les plus brèves d'entre elles, un minimum de fiabilité est nécessaire, pour ceux avec qui nous échangeons, et de manière réciproque.
Voilà, donc, pour le storytelling, plus utile que jamais dans un monde que la loi du Far West ne saurait régir de manière satisfaisante.
Et pour en savoir plus sur le storytelling d'aujourd'hui et de demain