Un beau 14 juillet ? Oui, mais avec une grande absente : « L'Europe de la défense »...

Publié le 14 juillet 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com

L'éditorial de Daniel RIOT

Sarkozy ne met pas le drapeau européen dans sa poche. Il faut lui en être reconnaissant. Les symboles comptent plus qu'on veut le dire ou le croire. Un drapeau, c'est le signe d'une appartenance. Le drapeau d'azur aux douze étoiles d'or (qui est né à Strasbourg) peut et doit s'imposer partout où l'identité collective doit être affirmée. Pas seulement dans les cérémonies rituelles, mais en permanence..

La citoyenneté européenne n'efface en rien nos références identitaires,locales et nationales : elle s'y ajoute. Elle n'ampute en rien la notion de patrie : elle l'élargit, l'enrichit. De même, elle ne s'oppose en rien (bien au contraire) à notre état d'humains, donc de citoyens de la planète, d'acteurs du monde. Elle est garante de notre vraie souveraineté, celle qui nous permet de rester maîtres de notre destin, dans le respect des destinées des autres.  

L'an dernier, les armées des 27 avaient défilé, bannière bleue en tête. Cette année, ce défilé du 14 juillet a été délibérément placé sous le signe de l'Europe, de l'Union euro-méditerranéenne et des Nations Unies. Donc des espoirs de PAIX. Personne motivé par le principe d'humanité ne peut s'en plaindre. On peut être bon citoyen de France, d'Europe et du monde. Et l'on doit dire Non à la fatalité de la guerre. Des guerres. Les armées d'Europe, aujourd'hui, ne sont pas faites pour « faire la guerre », mais pour l'éviter et limiter les dégâts que provoque toujours cette épée qui,selon la formule de De Gaulle, reste (hélas) « l'axe du monde »

La présence (contestée et contestable de dictateurs et d'autocrates bien peu démocrates) dans la Tribune officielle a été sinon compensée, du moins contrebalancée par la lecture d'un extrait de la déclaration universelle des droits de l'homme. Tant mieux. Tenter de concilier l'idéal et les réalités est le propre du politique. Cette lecture a plus qu'une portée symbolique : elle est un rappel indispensable dans ce monde où les démocraties sont toutes imparfaites et restent (mais Oui !) minoritaires.   

La paix ne tombe pas du ciel. Le respect des Droits de l'Homme non plus. Et Sarkozy a raison de le rappeler,:il faut souvent « plus de courage pour faire la paix que pour faire la guerre ». Et on ne peut pas seulement négocier, commercer, tenter d'améliorer le sort de la planète en ne parlant qu'avec des démocrates...

Même si les espérances de paix et d'une plus grande coopération euro-méditerranéenne restent toutes aléatoires et exigeront encore bien des efforts pour se concrétiser, on aurait bien tort de ne pas applaudir aux initiatives françaises.

L'hommage officiellement rendu au secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon est lui aussi plus qu'un symbole. Non seulement l'ONU n'est plus « le machin » jadis décrié (même si les nations dites Unies se doivent comme toutes les institutions se réformer, donc se remettre en cause), mais elle est un outil qu'il faudrait inventer s'il n'existait pas. Cette année marque le soixantième anniversaire des « opérations de maintien de la paix ».

Celles-ci ne sont jamais simples : nous risquons d'en avoir une nouvelle et tragique confirmation au Darfour après l'inculpation du responsable soudanais pour génocide. Et les Casques Bleus sont souvent réduits à un rôle bien peu enviables de soldats sans armes. Mais imagine-t-on quel serait aujourd'hui l'état de la planète sans les 120 000 gardiens ré­partis en vingt missions dans le monde. « C'est de loin le plus grand déploiement de toute l'his­toire de l'Organisation des Nations unies » souligne le secrétaire général de l'ONU. Il était bon que ces Casques Bleus soient représentés dans ce défilé placé dédié à des vœux et à des volontés de Paix.

Dans ce concert de louanges (mérité), une question angoissante : que peut devenir cette « Défense européenne » qui figure dans les priorités de la présidence française du Conseil de l'Union ?

« On » en a peu parlé. Et « on » a eu raison... Non parce que les difficultés politiques rencontrées en France même avec des réformes mal préparées et mal annoncées suffisent à nourrir les conversations, mais parce qu'en fait, en l'état, c'est incontestablement le chantier qui peut provoquer le plus de désillusions.

En fait, cette Défense, tout le monde dit la désirer, mais en fait personne ne la veut vraiment. Les Européens sur ce terrain ne se sont jamais relevés de l'échec de la CED, cette Communauté européenne de Défense (qui était aussi une Union politique) et qui née d'une initiative française a été étranglée par un refus français...Comme quoi, « L'Histoire ne repasse jamais les mêmes plats ». Les NON (s) au projet de Constitution pour l'Union l'ont trop confirmé. Et le rejet irlandais au texte (non simplifié) de Lisbonne en apporte hélas une nouvelle confirmation. L'Union européenne, contrairement à une idée reçue, ne progresse par crises : chaque crise affaiblit l'esprit communautaire et ralentit les indispensables progrès.

Officiellement, la France de Sarkozy veut  obtenir des avancées significatives dans le domaine de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD), avant de réintégrer complètement  les structures militaires de l'OTAN. En réalité, les « avancées » semblent très difficiles.Sur tous les fronts visés, ou presque.

Les coopérations structurées permanentes, prévues dans Lisbonne mais possibles (avec de l'audace et du courage politiques) dans le cadre de Nice,  dépendent surtout des efforts d'investissements que les pays susceptibles d'y adhérer peuvent ou veulent faire. Or, la conjoncture (et les opinions) ne se prêtent guère à un accroissement des dépenses de défense qui  stagnent, globalement, à 1,31 % du PIB (alors que les dépenses militaires dans le monde ont augmenté de plus de 25% ces dix dernières années)

Il en va de même pour l'  « objectif majeur » de 60 000  soldats européens (capables de rester un an sur un théâtre d'opération éloigné), qui avait été définie lors du sommet d'Helsinki... en 1999 et que Paris reprend à son compte.

L'accroissement des capacités de planification et de conduite d'opérations, un «  projet phare » se heurte à l'hostilité des Britanniques   pour qui cette ébauche de quartier général européen ferait concurrence à l'OTAN, en "dupliquant" certaines des fonctions remplies par l'Alliance. Londres, sur ce dosier, est moins ...pro-européenne que Washington !

On le sait : un  "centre d'opérations" existe depuis 2007 à Bruxelles, mais son personnel ne peut passer de 8 à 89 militaires que si ce QG est "activé" pour une opération. En comparaison, Shape, le quartier général de l'OTAN, dispose de 2600 militaires. Comment les ex-pays de l'Est (donc du pacte de Varsovie) pourraient -ils ne pas « faire la différence » ?  

Le même manque de crédibilité concrète frappe l'Agence européenne de défense. La France aimerait convaincre ses partenaires - notamment la Grande-Bretagne - de donner davantage de moyens et de latitude à l'AED pour coordonner les acquisitions en matière de défense et mettre fin au morcellement de l'industrie européenne d'armement. Il  faudrait que l'AED dispose d'un budget pluriannuel, ce que Londres refuse. Churchill avait raison : « entre le continent et le grand large, les Anglais choisiront toujours le grand large ».

Ce qui est terrible, c'est que cette mythique « Europe de la défense » ne peut se faire ni sans ni avec les Britanniques... cela est mêm vrai au niveau de la mise au point d'une « stratégie européenne de sécurité ». Un   document, adopté en 2003 par l'UE, reste à réactualisé. Or, Londres se montre plus pro-américaine que les ...Américains sur ce dossier aussi.

C'est cela qui les rend sceptiques, également, sur d'autres volets du dessein français : De nouveaux projets capacitaires « structurants », avec un « groupe naval européen », (une flotte commune d'avions de transport A-400M et de ravitailleurs, et   un fonds financier pour disposer d'une flotte d'hélicoptères.

Dans ce contexte, l'idée même de doter l'Union d'un budget autonome pour financer ses opérations militaires, en substituant au principe actuel du « contributeur-payeur » celui d'une solidarité financière des Etats membres semble vouée à l'échec. Les Britanniques sur ce terrain n'ont pas besoin d'insiter : nombre de pays de l'Union sont saisi par la « tentation helvète » : celle d'une neutralité qui parfois ne veut pas dire son nom...

Autant dire que ce défilé placé sous le signe de « l'international » ne pouvait guère marquer la présidence française sur la plan de la défense.

Sans doute, Sarkozy aurait-il pu se contenter de faire des propositions pour renforcer ce qui existe, à commencer par l'EUROCORP ou par la Brigade franco-allemande (qui pourrait bien , au contraire faire les frais du Livre Blanc chapeauté par Morin.

Sans doute aussi, l'Elysée aurait-il pu tenir sa promesse de voir ce Livre Blanc national s'inscrire dans un autre Livre Blanc européen, celui-là. Mais le premier n'était pas à la hauteur des défis à relever pour que l'on puisse s'aventurer sur ce terrain miné.

Il n'est pas réjouissant pour les Européens soucieux de voir l'Union européenne peser davantage sur les affaires et la vie du monde de constater ainsi la panne de cette « Europe de la défense ». Mais nécessité fera loi, tôt ou tard. Y compris chez nos amis britanniques.

Comme redirait Monnet face aux difficultés et aux murs qui semblent infranchissables : « Continuer, continuer »... Même si les pays européens ne marchent pas d'un même pas !

Daniel RIOT