Ces quelques poèmes sont extraits de La Quatorzième Poésie Verticale de Roberto Juarroz, que j’ai découverte grâce au blog Arbre à Lettres, et qui m’a tout de suite séduite par sa grande limpidité et ses thématiques métaphysiques, d’une profondeur souvent vertigineuse.
Ce livre est paru chez José Corti.
Roberto Juarroz (1925-1995) est un poète argentin, une des voix majeures de la poésie contemporaine.
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101
Seule la lézarde de la privation
nous rapproche de la rencontre.
Et si la rencontre se produit
peu importe qu’elle soit une autre lézarde.
Seulement ici trouverons-nous
le secret de la première.
Pourquoi ressentons-nous ce qui n’est pas
comme une privation ?
Est-ce la seule façon
de le faire exister ?
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104
Certaines fois la musique occupe la première place,
mais d’autres elle se retire au second plan
et laisse courir en nous
quelque chose de plus cher qu’elle-même.
Or y a-t-il quelque chose de plus cher que la musique,
quelque chose qui coure comme elle
et qui comme elle nous sauve ?
Quelque chose qui puisse nous envelopper
sans que l’on sache si elle le fait
du dehors en dedans
ou du dedans en dehors ?
Tout ce qui sauve
doit pour un moment se retirer
afin qu’une autre chose nous sauve.
La liberté de l’homme est si grande
qu’elle ne peut même pas se borner
à un seul degré de salut.
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110
Les réponses ont pris fin.
Peut-être n’ont-elles jamais existé
et elles ne furent que miroirs
confrontés avec le vide.
Mais à présent les questions ont pris fin aussi.
Les miroirs se sont brisés,
même ceux qui ne reflétaient rien.
Et il n’y a pas moyen de les refaire.
Pourtant,
Peut-être reste-t-il quelque part une question.
Le silence est aussi une question.
Il reste un miroir qui ne peut pas se briser
parce qu’il ne se confronte avec rien,
parce qu’il est à l’intérieur de tout.
Nous avons trouvé une question.
Le silence sera-t-il une réponse aussi ?
Peut-être, à un moment déterminé,
les questions et les réponses sont exactement pareilles.
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