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cette semaine il y a eu des morts
certaines plus proches et plus déchirantes que d'autres
ma' dit que c'est la fatalité
moi je dis
que c'est la fatalité quand ça nous déplaît
et que c'est le mérite quand ça fait notre affaire
tout ça se déroule sur terre
pendant qu'au même moment
je profite de la vie au maximum
et que d'autres humains
règlent des problèmes humains
samedi dernier comme il devient coutume
et comme ce sera le cas encore aujourd'hui
j'étais enfermée avec mon équipe
dans un local de la biblio' de l'uqam
à avancer notre rapport de session
nous sommes une équipe de cinq filles aux cheveux noirs
les quatre autres sont plus jeunes que moi
excessivement intelligentes
et éminemment belles
lors d'une pause entre deux stratégies
on s'est mis à parler d'esthétique
parce qu'une copine s'était esquivée pendant une heure
pour aller se faire limer les dents
afin qu'elles soient droites
bien droites
c'est vrai que lorsqu'elle est revenue
j'ai vu son sourire parfait
avec ses belles dents blanches
droites
bien droites
du coup j'ai regardé son nez
il est parfait son nez
même si l'homme-chat dit qu'on vit avec le corps qu'on a
et qu'on ne se fait refaire le nez
qui si l'on en a deux dans la face
et on on a aussi soulevé le fait que les enfants beaux
sont favorisés à l'école
et dans les relations sociales
et que bref la beauté selon les conventions
était un atout dans la vie
on a discuté de chirurgie esthétique
parce que la mère d'une autre a une clinique
et a refusé d'opérer ses filles
qui lui demandaient plus jeunes en riant
de leur remodeler les lèvres au botox
l'autre a dit que sa mère s'est fait refaire le ventre
qu'il est vraiment beau son ventre
parce qu'après l'accouchement
elle n'était pas redevenue comme avant
et parce que là-bas après l'accouchement
on te dit de rester alitée et on te gave de tout
parce que tu viens de donner la vie
et aussi on a dit que ça coûtait beaucoup moins cher
de se faire réparer tout ça au maroc
qu'en amérique du nord
je ricanais silencieusement
en regardant cette ferveur
cette volonté qu'elles ont d'être belles
ancrée dans leurs gènes
dans des millénaires de civilisations
je ne dis ni macho ni patriarcales
je dis
ancrée depuis longtemps
je ricanais donc en me disant qu'une fois à mon âge
ces chumettes verraient la vie autrement
je ne l'ai pas dit
je ne l'ai pas dit
parce que ce n'est pas vrai
c'est faux qu'à cinquante ans
je ne veux plus être belle ni jeune
que je n'aurai jamais recours à la chirurgie
que je me sens bien maintenant
parce que je glow de l'intérieur
avec mon infinie sagesse
bullshit
j'ai envie de plaire encore et toujours
d'avoir un beau body
d'être sexy
et je me suis rendue compte
que je ne vivais encore que pour le regard des autres
lequel me pèse ces jours-ci
depuis que je guéris un chalazion
qui m'a infectée la paupière
il y a quelques semaines
parce que j'ai dû faire un truc accidentel absolument prohibé
du type manger un yogourt passé date
bref il m'a poussé une excroissance sur la paupière
à cause d'une glande bloquée
et tout le monde regarde mon troisième œil
en me demandant quelle est cette monstruosité
dans ma société et dans ma tête
il n'en prend pas gros pour redescendre
au sous-sol de l'estime de soi
et de me faire douter de toutes mes capacités
j'ai peur de ma paupière
comme l'ado a peur du bouton d'acné
le gros auréolé sur la joue droite
qui mesure environ un demi-pouce de diamètre
et qu'on a tenté de camoufler
en se regardant dans le miroir grossissant
celui qu'on a voulu brûler au vinaigre
et au baking soda
avant d'être obligé d'affronter la jungle
dans le métro à la poly au cégep
celui qu'on a voulu oublier
en fumant un gros bat'
alors non
je n'ai rien contre la chirurgie esthétique
je suis pour toutes les solutions que l'on possède
pour être bien dans sa peau
dedans dehors à gauche à droite dessus dessous
je suis pour
quand on peut si on en a besoin
peu importe que ce soit déductible ou non fiscalement
je suis pour tout
et heureuse de vivre
et vibrer dans cette humanité
à notre époque à cet endroit sur terre
où toutes les formes de féminités
peuvent s'épanouir
jusqu'à ce que mort s'en suive
et s'il me faut n'y arriver qu'à cent quatre ans
je me plairai à être belle
pour faire une entrée bien glamour
au palace du saint-pierre.
lu d'autres expressions de la féminité :
le névrosé les retranchées de fanny britt
et le tout dernier et très inspirant numéro femme
du magazine canadian art