Dans leur ouvrage « Stratégie Modèle Mental », Philippe Silberzahn et Béatrice Rousset s’attachent à montrer combien les modèles mentaux de bien des organisations les empêchent de se transformer et de faire face à la complexité de leur environnement. Qu’entendent-ils par « modèle mental » ? « C’est une représentation de la réalité basée sur un ensemble de croyances et d’hypothèses », c’est en quelque sorte notre vision du monde. Avoir des modèles mentaux est important, c’est ce qui nous permet de donner du sens à notre environnement et d’orienter nos actions. Mais parfois, nos modèles mentaux ne sont plus pertinents et s’avèrent contre-productifs.
Parmi les nombreux exemples de modèles mentaux qui ont été efficaces mais qu’il nous faut désormais faire évoluer, les auteurs citent le modèle « Démarrer avec un objectif. Voici un axiome du management moderne : « Il faut commencer par un objectif clair pour pouvoir agir. » Or, il est très difficile de déterminer un objectif et surtout de s’y tenir lorsque la réalité change rapidement et profondément, de manière souvent inattendue. En outre, en incertitude, mettre tout le monde d’accord sur un objectif devient très complexe. » Ce modèle est très largement répandu et continue de prospérer à travers notamment les objectifs annuels qui parfois n’ont plus de sens dès le premier trimestre tant la situation de l’organisation a évolué.
Les modèles mentaux des organisations traditionnelles ne sont plus adaptés et viennent freiner leur nécessaire transformation. En revanche, ces organisations gagneraient à s’inspirer des modèles mentaux des entrepreneurs : ces derniers se sont créés leurs propres modèles mentaux, les auteurs en recensent 5, et ont permis de faire évoluer considérablement nos représentations : « Airbnb nous fait ainsi trouver normal de loger un parfait étranger dans notre salon. BlaBlaCar nous fait trouver normal de voyager dans la voiture d’un inconnu. Facebook nous fait exposer tous les détails de notre privée sur la place publique. » Les auteurs nous décrivent ainsi un des 5 modèles mentaux des entrepreneurs :
« Modèle n° 1 : « Démarrer avec ce qu’on a»
Les entrepreneurs partent de la réalité, c’est-à-dire de ce qu’ils ont sous la main (leur personnalité, leur connaissance, leur réseau) pour imaginer ce qu’ils peuvent faire. Autrement dit, ils ne cherchent pas des ressources pour atteindre un objectif, mais déterminent un objectif en fonction des ressources disponibles.
Alors que les programmes de transformation se focalisent sur l’objectif à atteindre, en regardant au loin, il faut au contraire partir de la réalité, c’est-à-dire des modèles mentaux qui traduisent les éléments identitaires de l’organisation. Ces modèles génèrent des objectifs inconscients qui mobilisent fortement tous les acteurs de l’entreprise et qui s’opposent aux objectifs proclamés (le consensus contre l’agilité, par exemple). On commence donc là où on est, en s’appuyant sur l’organisation et son identité. On s’inclut donc dans la problématique et on ne se contente pas d’attendre que l’initiative vienne d’ailleurs, et encore moins d’en haut. Ce modèle permet de libérer les possibles. »
De fait, les exemples d’entreprises qui ont construit leur vision au fur et à mesure de leurs avancées abondent. Les auteurs citent par exemple Ikea, qui a mis 10 ans à avoir l’idée de vendre des meubles en kit. Ce modèle présente un avantage majeur, il aide chacun à se sentir davantage responsable de son périmètre au lieu de s’abriter derrière son n+1, les actionnaires, la réglementation, … : « Le modèle n° 1 nous invite au contraire à commencer par soi-même, pas les autres. Il nous force à remettre la balle dans notre camp. Avant de parler des autres, il faut parler de soi-même. La question n’est pas « Que devrait faire mon chef ? » ou « Que devrait faire le PDG ? », mais « Que puis-je faire ? » Plus précisément, « Que puis-je faire là où je suis avec ce que j’ai sous la main ?» Il est inutile de se lamenter sur le fait de ne pas avoir tel ou tel levier d’action, d’autant que ceux-ci sont très souvent imaginaires ; il faut au contraire identifier ce que contient notre frigo, les leviers possibles et les utiliser. »Et vous, comment pouvez-vous contribuer à transformer votre organisation avec les ressources dont vous disposez ? Poursuivre l’image du dîner utilisée par les auteurs, que pouvez-vous cuisiner avec ce que vous avez dans vos placards ? Vous avez probablement beaucoup plus de ressources que vous ne le soupçonnez !