19 mai 2019, Téhéran. Le Conseil Suprême de la révolution culturelle iranienne fait une annonce fracassante, pourtant passée relativement inaperçue dans les médias du monde. Le plan du gouvernement chiite visant à couper l'internet local des influences extérieures est prêt à 80%. En clair, les internautes iraniens n'auraient bientôt plus accès aux sites issus de l'étranger. De l'Iranien, rien que de l'Iranien.
Une manière de retirer le premier W de World Wide Web qui annonce une tendance à l'isolationnisme à travers le continent eurasien. Un internet national. Avant l'Iran, le Parlement russe a commencé cette année à débattre de la mise en place d'un internet purement russe, le RUnet. Une initiative visant officiellement à protéger le pays d'attaques de cybercriminels, mais qui retrancherait juste un peu plus la Russie dans ses propres bases.
Pour chaque pays une version différente d'internet ?
Le but avoué par le Premier ministre iranien, Hassan Rohani, serait de faire mettre en place un "internet halal" afin de pouvoir promouvoir un contenu purement islamique, en accord avec le modèle de la révolution culturelle.
Une décision qui pourrait rapidement faire des petits, car la Chine, le Venezuela, la Biélorussie, la Hongrie (pour ne citer qu'eux) rêvent aussi d'un internet national, tandis que les États-Unis tablent sur une large réforme de la neutralité du net. Et si l'époque où le web était ce formidable outil d'ouverture à l'autre touchait à sa fin ? S'il devenait, à la place, un instrument de propagande pour les totalitarismes de tous bords ?
Une manière de retirer le premier W de World Wide Web qui annonce une tendance à l'isolationnisme à travers le continent eurasien.
La Chine a toujours fait office de précurseur en matière de censure sur internet, sans pour autant aller jusqu'à couper net ses frontières. Son projet Bouclier d'or ("Golden Shield Project"), conçu à l'origine pour renforcer la mainmise de la police, permet désormais au gouvernement de filtrer les informations qui parviennent au pays, ou en sortent (grâce à un nouvel outil : le grand Firewall).
C'est ainsi que se trace la perspective d'un internet unique à chaque pays, au lieu d'une large toile couvrant la planète.
Trois versions de l'isolationnisme sur internet
Cette compartimentation pourrait être le pire scénario que connaîtrait la toile, comme le prévoyait le New York Times à l'automne 2018. Le quotidien américain dresse un panorama fait de "trois internets" : un Chinois, un Américain et un Européen. Tous trois avec des sites différents, des manières de fonctionner différentes et des règlementations différentes. Morceau choisi :
" Les trois sphères [...] génèrent un ensemble de règles, limites et normes qui commencent à se confronter les unes aux autres. De plus, les emplacements physiques des données ont commencé à se séparer de plus en plus en fonction des régions, les données étant confinées à l'intérieur des frontières de pays appliquant des lois spécifiques sur le sujet."
Mais il semble en réalité que la division soit plus importante. Avec la Russie et l'Iran, le chiffre passe de trois à cinq, en attendant plus.