Theresa May : Game over

Publié le 06 juin 2019 par Sylvainrakotoarison

" Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront... "
(Rudyard Kipling, 1910, traduit par André Maurois, 1918).

Moins de trois ans à la tête du gouvernement britannique, mais quelques jours de plus que Gordon Brown (2007-2010). La Premier Ministre Theresa May a jeté l'éponge le vendredi 24 mai 2019, au lendemain des élections européennes au Royaume-Uni. Les résultats n'étaient pas encore connus et ils furent catastrophiques pour le parti qu'elle dirige depuis le 11 juillet 2016. Concrètement, c'était avec une profonde émotion, la larme aux yeux, qu'elle a annoncé qu'elle démissionnerait le 7 juin 2019 de la direction du parti conservateur qui aurait jusqu'au 20 juillet 2019 pour lui choisir un successeur. En attendant, elle reste pour gérer les affaires courantes, mais il semble qu'elle n'a jamais fait que cela depuis le 13 juillet 2016, gérer les affaires courantes.
Une émotion qu'on a pu retrouver le 2 juin 2019 dans le journal de 20 heures sur TF1 quand Laurent Wauquiez a annoncé, lui aussi, qu'il démissionnait de la présidence de LR. La comparaison ne s'arrête pas là puisque les deux partis se sont effondrés aux élections européennes (atteignant à peu près la même audience électorale, autour de 8-9%).
La catastrophe électorale, pour Theresa May, le plus dur, ce n'était pas dans le mot "catastrophe" mais dans l'adjectif "électorale". Jamais personne au Royaume-Uni n'aurait imaginé que les citoyens britanniques auraient été encore appelés à élire 70 députés européens britanniques alors que 17,4 millions d'électeurs (soit 51,9%) avaient exprimé leur volonté de quitter l'Union Européenne le 23 juin 2016.
Il est assez facile de rappeler que Theresa May, dont l'accession au pouvoir n'avait qu'un seul but, préparer son pays au Brexit, a échoué sur toute la ligne. Certes, elle a réussi à négocier un accord avec Bruxelles (sous la direction du Français Michel Barnier), un accord très isolationniste mais approuvé par les 27 autres États membres au Conseil Européen du 25 novembre 2018, mais le problème, c'est qu'elle a été incapable de le faire approuver par les députés et en particulier par les députés de sa propre majorité. Trois fois, ce fut un échec : 432 contre et 202 pour, le 15 janvier 2019 ; 391 contre et 242 pour, le 12 mars 2019 ; enfin, 344 contre et 286 pour, le 29 mars 2019. Chaque fois, le score de pro-accord est monté, mais insuffisamment par rapport à la somme des opposants (ceux qui ont refusé l'accord étaient des partisans du "no deal" ou des opposants au Brexit).
La Chambre des Communes a été particulièrement en dessous de tout intérêt général dans cette affaire. Les travaillistes dirigés par Jeremy Corbyn étaient très divisés, entre les anti-Brexit, les partisans d'un Brexit plus doux que Theresa May ne le voudrait, les partisans d'un second référendum... tandis que les conservateurs étaient encore plus divisés, entre les partisans d'un hard Brexit (en fait, un "hard hard" Brexit, c'est-à-dire sans accord, ce qui serait une catastrophe juridique et économique majeure, voir plus loin), les partisans de l'accord de Theresa May, les partisans d'un second référendum, les anti-Brexit. Pendant six mois, aucune solution n'a pas être adoptée par les députés britanniques, abusant de la patience de l'Union Européenne qui a été accaparée depuis trois ans par cette affaire au lieu de réaliser de nouveaux projets.
Au fait, qu'en pense réellement Theresa May ? C'est là tout le mystère. Elle fut très discrètement opposée au Brexit pendant la campagne référendaire mais elle fut la première partisane de la concrétisation du Brexit avec le zèle de la fraîchement convertie. Son intransigeance se situait en fait plutôt sur le principe démocratique très louable qu'on ne doit pas renier le résultat d'un référendum et qu'il faut donc suivre ce que le peuple a exprimé.
L'ennui, c'est qu'elle a adopté une très mauvaise stratégie pour arriver au Brexit. Elle a négocié directement avec la Commission Européenne sans consulter sa propre majorité et ce fut seulement après avoir obtenu un accord qu'elle a commencé à négocier avec sa majorité (sans succès). Elle aurait dû faire l'inverse, savoir quelles étaient les limites admissibles qui auraient une majorité prête à voter un accord et négocier avec Bruxelles avec ce guide national. Formellement, elle a pris son temps et a lancé la procédure du Brexit le 29 mars 2017, ce qui aurait dû aboutir à la réalité du Brexit le 29 mars 2019. Après avoir été repoussée au 12 avril 2019, la date ultime de sortie du Royaume-Uni a été repoussée au 31 octobre 2019.

Ce ne fut que le 6 mai 2019 que Theresa May a dû accepter le principe qu'en absence de majorité pour décider du Brexit, elle devait organiser de nouvelles élections européennes, ce qui est un peu surréaliste mais nécessaire puisque le Royaume-Uni est toujours membre à part entière de l'Union Européenne. Une issue envisageable dès le 15 janvier 2019, à partir du moment où aucune majorité n'était clairement identifiable pour adopter la manière de quitter l'Union Européenne.
Le député européen Nigel Farage, chef de l'UKIP, qui avait été satisfait du résultat du référendum de 2016, a repris du service en fondant le 20 janvier 2019 le Parti du Brexit, partisan du Brexit immédiat sans accord. Les résultats des élections européennes du 23 mai 2019 sont une grande victoire pour lui puisqu'il est arrivé en tête avec 30,5% des suffrages exprimés. Il faut cependant noter que s'il a recueilli 5,2 millions d'électeurs, c'est très loin, en absolu, des résultats du référendum (17,4 millions d'électeurs brexiters). Ce fut néanmoins un excellent résultat qui lui a permis de remporter 29 sièges sur les 70 réservés au Royaume-Uni.
Ce qui a été notable, ce fut l'effondrement des deux principaux partis de gouvernement qui ont joué l'irresponsabilité aux Communes. Le Labour (parti travailliste) s'est écroulé avec 13,7% des voix, perdant la moitié des députés sortants (10 sièges), au bénéfice d'un Parti Vert (Green Party of England and Wales) qui a frôlé le score des travaillistes avec 11,8% des voix (7 sièges, soit un gain de 4 par rapport à 2014). Il faut rappeler qu'aux dernières élections législatives, le 8 juin 2017, les travaillistes avaient obtenu 40,0% des voix. Ces élections européennes ont donc été clairement un désaveu contre son chef, Jeremy Corbyn, dont la position sur le Brexit manquait, pour le moins, d'être claire et comprise.
Mais l'échec le plus grand est venu des conservateurs. Alors qu'aux élections législatives du 8 juin 2017, Theresa May avait remporté 42,4% des voix, le 23 mai 2019, les conservateurs ont littéralement implosé avec seulement 8,8%, perdant plus des trois quarts de leurs sièges sortants (4 élus au lieu de 19). Seulement 1,5 million d'électeurs britanniques se sont déplacés pour choisir une liste du parti conservateur. La position des conservateurs britanniques se retrouve ainsi dans le même paysage éclaté que Les Républicains en France.
Comme la nature a horreur du vide, les voix sont allées ailleurs. À gauche, vers les écologistes, donc, mais pas seulement, et à droite, elles sont allées vers le parti du Brexit, mais pas seulement. En dehors du parti du Brexit, ceux qui ont beaucoup gagné à ce scrutin du 23 mai 2019, ce furent aussi les libéraux démocrates qui ont rassemblé 18,6% des voix (devenant le deuxième parti du Royaume-Uni), passant de 1 siège à 16 sièges ! Malgré une participation faible de 37,0% des inscrits (au lieu de 68,7 lors des élections législatives du 8 juin 2017), les libéraux démocrates ont recueilli près de 1 million d'électeurs de plus qu'en 2017 : 3,4 millions en 2019 au lieu de 2,4 millions en 2017 (correspondant alors à 7,4% des voix).
Sur ce scrutin européen au Royaume-Uni, je veux faire une dernière remarque : la participation (bien qu'en hausse) reste très faible (en gros, un tiers de l'électorat) et dans ce tiers, un tiers encore a choisi le parti du Brexit. On aurait pu imaginer que les opposants au Brexit (ils étaient quand même 16,4 millions d'électeurs en 2016) se seraient mobilisés massivement pour soutenir l'Europe. Ce ne fut absolument pas le cas. Avis aux partisans du second référendum.

Cette défaite en forme de déconfiture a ainsi obligé Theresa May, qui avait su faire preuve d'une incroyable résilience malgré les oppositions internes et externes (en trois ans, de très nombreux ministres ont démissionné, et pas des moindres), de jeter l'éponge. Pour un pays pourtant connu pour son traditionnel bipartisme, ce sont de nouveaux clivages qui s'inaugurent, du reste, comme en France depuis 2017.
Elle avait pourtant résisté à une tentative de révolution de palais le 12 décembre 2018 à l'initiative de 48 députés britanniques : seulement 117 les ont suivis contre 200 qui ont soutenu Theresa May qui leur avait préalablement promis qu'elle ne provoquerait pas des élections législatives anticipées et qu'elle ne conduirait pas le parti conservateur aux prochaines élections prévues en 2022. Cette victoire interne lui avait donné en principe une année de tranquillité sur son sort (les députés de la majorité ne pouvant pas défier de nouveau la Premier Ministre avant un an).
En raison des résultats calamiteux de leur parti, les députés britanniques n'ont aucun intérêt à anticiper aujourd'hui de nouvelles élections législatives avant leur échéance régulière (juin 2022). La configuration électorale pourrait laminer les deux grands partis présents actuellement aux Communes.
Quant au Brexit, ces élections européennes n'ont rien résolu. Un second référendum paraît maintenant nécessaire pour départager les multiples points de vue tous minoritaires au Parlement. N'hésitant pas à mettre les pieds dans le plat, lors de sa visite officielle à Londres le 3 juin 2019, en prélude de sa participation aux commémorations du 75e anniversaire du Débarquement, le Président américain Donald Trump, ne craignant aucune ingérence politique, a encouragé les parlementaires à voter pour un Brexit sans accord (no deal) afin de fonder une nouvelle union commerciale avec les États-Unis " une fois que le Royaume-Uni se sera débarrassé de ses chaînes ".
Le no-deal serait catastrophique pour les Britanniques à court terme, et pas seulement pour des raisons économiques et commerciales extérieures. Même du point de vue de son économie intérieure. En effet, depuis 1972, de nombreuses réglementations ont été "sous-traitées" par la réglementation européenne. Ainsi, telle agence européenne donne son accord pour la commercialisation de tel médicament. Même sans vouloir exporter un nouveau médicament fabriqué au Royaume-Uni, ce dernier devra d'abord recréer une agence nationale équivalente pour pouvoir donner les nouvelles autorisations de mise sur le marché. Près de cinquante ans d'histoire juridique commune aux Européens sont donc à réécrire en droit national pour éviter toute paralysie de l'économie. C'est en cela que l'accord négocié par Theresa May paraît la solution minimaliste pour pouvoir continuer à tourner rond dans tous les domaines de l'économie. Mais la raison peut-elle l'emporter pour un sujet si passionnel ?
Qui sera le successeur de Theresa May ? Donald Trump a déjà sa réponse avec son quasi-double (coiffure et franc-parler compris) : Boris Johnson, ancien maire de Londres (on comprend pourquoi Donald Trump a attaqué sévèrement l'actuel maire de Londres en arrivant dans la capitale britannique), leader des brexiters du parti conservateur et Ministre des Affaires étrangères de Theresa May du 13 juillet 2016 au 9 juillet 2018. Mais Boris Johnson est loin de rassembler une majorité des députés conservateurs, seulement 42 députés sont actuellement derrière lui (sur les 313 députés qui devraient participer au vote).
La chance de Boris Johnson est sans doute la grande division des "autres" postulants, car en face de lui, ils sont dix concurrents, dont Michael Gove (ancien Ministre de l'Éducation et ancien Ministre de la Justice et actuel Ministre de l'Environnement), Jeremy Hunt (l'actuel Ministre des Affaires étrangères, ancien Ministre de la Culture et ancien Ministre de la Santé), Sajid Javid (actuel Ministre de l'Intérieur) et Dominic Raab (ancien Ministre du Brexit qui a démissionné le 15 novembre 2018, quand l'accord a été trouvé).
La tâche du successeur de Theresa May ne sera pas plus facile que maintenant. La profonde division de la classe politique sur les modalités du Brexit rend incertain jusqu'à son principe, et cela malgré le référendum de 2016. La faute n'en incombe pas à l'Union Européenne qui a tout fait pour rendre plus facile la ratification de l'accord, mais à l'irresponsabilité des deux grands partis qui viennent de prendre un sérieux blâme de la part de leurs électeurs respectifs.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (05 juin 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Theresa May : Game over.
La reine Victoria.
Peter Higgs.
Texte voté à la Chambre des Communes le 31 mars 2019 (traduction en français).
Brexit : vote parlementaire surprise pour un 2e référendum le 26 mai.
Brexit : chronologie inachevée d'un chaos annoncé.
Michael Heseltine.
Les élections législatives britanniques du 8 juin 2017.
L'attentat de Manchester du 22 mai 2017.
Theresa May nommée Premier Ministre le 13 juillet 2016.
Peuple et populismes.
Intervention de Bruno Le Maire sur le Brexit le 28 juin 2016.
Le Brexit en débat chez les députés français.
L'Europe n'est pas un marché.
L'Union Européenne, élément majeur de stabilité mondiale.
Terre brûlée ?
Brexitquake.
Boris Johnson.
To Brexit or not to Brexit ?
L'émigration irlandaise.
L'euro.
Le conflit syrien.
Les réfugiés syriens.
La construction européenne.
Jo Cox.
David Cameron.
Margaret Thatcher.
Les Accords de Munich.
Les 70 ans d'Israël.
La partition des Indes.
Karl Marx.
Jane Austen.
William Shakespeare.
David Bohm.
Stephen Hawking.
Alfie Evans, tragédie humaine.
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Le Prince Charles.
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Lord Louis Mountbatten.
Harry, un mari qui vous veut du bien.
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Édouard VIII et George VI.
Élisabeth II.
Un règne plus long que celui de Victoria.
Vive la République !

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https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/theresa-may-game-over-215674
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