La ou les chiens aboient par la queue

d'Estelle-Sarah Bulle
Roman - 280 pages
Editions Liana Levi - août 2018
Pour la narratrice, une métisse qui vit en région parisienne depuis toujours, l'histoire de sa propre famille doit passer par sa tante Antoine. Antoine est une figure, une fille née dans un coin très reculé de la Guadeloupe, Morne-Galant. Avec la volonté et la débrouillardise, elle s'en est extirpée pour rejoindre Pointe-à-Pitre, faire du commerce de diamant contre tissu à travers la mer des Caraïbes, puis rejoindre la métropole. Son frère et sa sœur, Lucinde et Petit-Frère, n'avaient la même tempérament, n'ont pas eu la même vie, mais leurs récits s'entrelacent.
C'est Eulalie, la fille de Petit-Frère qui nous entraîne dans ce récit familial qui est aussi une fresque historique de la population guadeloupéenne et de sa diaspora. Là où les chiens aboient par la queue est avant tout un roman magnifiquement bien écrit.
Extrait :"Plus tard, assis dans notre gargouille du quai, j'ai raconté à Armand comment j'avais perdu les deux pierres."C'est la chose la plus stupide que tu aies faite", a-t-il conclu dans une des plus longues phrases qu'il ait prononcées depuis notre rencontre."Tu ne sais pas ce que j'ai fait de plus stupide. Des choses stupides, j'en fais beaucoup, énormément, et j'en ferai encore. Je suis la gardienne des choses stupides. J'en ai en réserve plus que tu ne sauras jamais, d'ailleurs tu ne sais rien de moi, alors ne me dis pas quelle est la chose la plus stupide que j'aie faite, parce que ça voudrait dire que tu me connais, ça voudrait dire que ma vie est une flaque d'eau transparente dans ton verre. C'est ce que tu crois ? Seigneur non, tu ne sais rien, tu ne sais même pas pourquoi je prends le temps de te répondre et de t'expliquer ça. Ce qui est sûr, c'est que toi aussi tu es sur ma longue liste de choses stupides, mais tu n'es même pas en haut de cette liste."Je ne sais pas pourquoi je lui ai sorti cette longue tirade. C'est que ça m'énervait, la manie des hommes à employer tôt ou tarde le mot "stupide" avec une femme."
J'ai beaucoup apprécié la première partie du récit, avec les origines de la famille Ezechiel, un premier métissage quand Hilaire Ezéchiel épouse dans les années 40 Eulalie Lebecq venant d'une famille bretonne de petits colons blancs. A partir de cette femme, à travers deux voire trois générations, on savoure ces figures féminines admirables, culottées, fortes de caractère. Ensuite il y a l'aventure, les mariages plein de désillusions ou de violence, les incompréhensions et la grisaille de la métropole où doit démarrer une nouvelle vie.Estelle Sarah-Bulle signe là un premier roman soigné et bourré de qualités. L'avis d'Alain Schmoll - Ca va mieux en l'écrivant
L'avis de Sylvie Sagnes - Cunéipage