(Note de lecture), Yann Courtiau, Frictions, par Christophe Esnault
Par Florence Trocmé
C’est donc cela l’art : un art qui vous emmène vers un autre
Pour Frictions, Yann Courtiau a traqué les apports de la littérature dans la musique et son livre parvient à éviter le jeu du flot de références et la cascade de name’s dropping, l’hasardeuse succession de listes de noms, piège de l’exercice. Oui de la référence et du nom, vous en trouverez à foison, mais ils s’articulent sur du sens et sur un monde émotionnel, sensitif, celui d’un féru de musique et de littérature. Au programme ou plutôt aux platines - Courtiau est DJ à ses heures - et sur des plages que d’autres nommeront chapitres : Albert Camus et The Cure et son Killing an Arab, les Écossais de Mersault… Les angoisses de Sylvia Plath traduites par un mur sonore explosif par Les Sonic Youth, Oscar Wilde adulé par Morissey, Aldous Huxley mis en musique par les Buzzcocks avant que Le Meilleur des Mondes par incompréhension soit support à publicité pour une association de retraités, Lautréamont partout : chez Christian Death, Divine Comedy jusqu’à chez Adamo, Jean Genet et le très controversé Death in June à renfort d’expérimentation et collages sonores, The Ex qui n’aura même pas besoin de citer Franz Kafka ou de le nommer, Winfried Georg Sebald et un live dédié de Patti Smith. On s’arrêtera là en n’évoquant qu’une courte part de ce que contient le travail de recherche de l’auteur et son euphorie à nous en faire part. En voilà d’un prisme qui sait dire la littérature. On prend des notes ou on interrompt sa lecture pour aller voir le clip « Cheerfull Hypocrisy ». C’est donc cela l’art : un art qui vous emmène vers un autre. Les pistes sont innombrables. Le lecteur-auditeur quelquefois lacunaire ira vers les trouées de sa discothèque idéale. De mon côté je me souviens avoir échangé un album des Rolling Stones et offert un demi au bar contre un Bukowski en collection Speed 17 lors d’une convention du disque à un moment où j’étais à peine un lecteur ; d’avoir couru chez le disquaire après avoir entendu dans un film le Everybody knows de Léonard Cohen. Puis d’avoir acheté un gros volume Poésie et chansons du songwriter les jours suivants. On se laisse à penser que sous Frictions se cachent d’autres livres à venir puisque s’impose, comme une entêtante Face B, une autre question : Que fait la musique à la littérature ?
Christophe Esnault
Yann Courtiau, Frictions : ce que la littérature fait à la musique et ce que la musique en a fait, La Baconnière, 2019, 158 pages, 17€.