Après le semi-marathon de Cannes très prometteur, j'envisageais sans risque un marathon en trois heures trente qui n'aurait certes pas été un record mais au moins un retour à une performance plus que convenable.
Hélas, très vite, cet objectif optimiste fut revu à la baisse après quelques réapparitions de douleurs tendineuses.
À nouveau passer les examens, échographie, prise de sang. À nouveau glacer la zone inflammée, porter une attelle, repos sportif obligatoire plusieurs semaines amputant d'autant une préparation réduite à sa plus simple expression.
Alors que les blessures semblaient passées, quatre jours avant le départ mon genou droit me rappelait son bon souvenir, m'obligeant à courir avec une genouillère, en plus de l'attelle au poignet.
Comme si tout cela ne suffisait pas, je fus pris la veille de la course d'un douloureux torticolis qui, malgré les conseils avisés d'une amie infirmière, ne s'estompe pas durant la nuit.
Je décide cependant de prendre le départ, un brin circonspect et dubitatif. Ciel gris, bruine et brume ne démotivent pas les quelque trois mille partants. Ce n'est pas un parcours à performance en raison de nombreux faux plats dont deux kilomètres en montée dès le départ de Cancale et des virages en deuxième partie de course alors que le vent s'en mêlait.
Si je surveille mon chronomètre, c'est pour ne pas aller trop vite. Je prends mon temps, regarde le paysage, bavarde un peu avec quelques coureurs, dont Nicolas, un niçois qui m'interpelle. C'est son deuxième marathon seulement. Je lui donne la date de la course de Courir à Peillon (le 9 juin) qu'il a déjà faite il y a de cela quelques années.
Sans objectif chronométrique, je m'arrête de temps à autre prendre quelques photos. Je reçois parfois quelques messages, si je n'ai pas le temps de les lire, il m'est agréable d'entendre les vibrations des notifications de ceux qui me font l'amitié de m'écrire.
C'est une sensation étrange de voir dès le neuvième kilomètre la majestueuse arrivée de la course, le Mont est là, loin devant, narguant les coureurs qui tentent de le rejoindre.
" Parfois, il faut faire confiance à son expérience pour courir ", avais-je le matin même répondu à un SMS d'encouragement. Après la mi-course ma remarque prend tout son sens. Les trapèzes commencent à être douloureux, le vent fait son apparition, il faut se sentir plus fort que lui, se dire qu'après le virage, là-bas, il deviendra un allié pour quelques hectomètres ou kilomètres. Je me masse un peu les muscles trapèzes pour faire passer la douleur, l'avantage est que je ne sens plus le torticolis, c'est une stratégie intéressante que de remplacer un problème par un autre.
Au trentième kilomètre la fatigue est bien là. Je prends quelques photos, marche un peu jusqu'au ravitaillement proche, m'étire et repart avec un brin d'euphorie que je canalise. Je compte de tête le temps de course qu'il reste selon que je cours à dix ou douze kilomètres-heures. C'est assez simple à faire, ça occupe l'esprit et évite de penser à la fatigue.
Quarante kilomètres. Le parcours longe le Couesnon, désormais les jambes sont lourdes et le vent de face. Même sans objectif de chrono je m'accroche à l'idée que je ferais moins de quatre heures, cela m'aide à tenir, à ne pas marcher, ces deux derniers kilomètres n'en finissent pas, le public nous encourage par notre prénom (indiqué sur notre dossard) c'est un détail qui paraît dérisoire mais ô combien important.
3 heures, 58 minutes, 24 secondes. À peine un peu plus que l'an dernier à Prague, mais moins de souffrance finalement. Treizième marathon, douze différents (Barcelone couru deux fois), un seul abandon à Rome, un record en 2013 à Milan en trois heures vingt-six, mais le Mont Saint-Michel est pourtant particulier.
Des blessures à répétition depuis quatre ans, dont certaines, il faut bien l'avouer, sont dues à l'usure de la bête. Ajoutant à cela une lassitude dans les volumes de préparations, je savais depuis plusieurs semaines que ce marathon serait particulier.
Quelques proches étaient dans la confidence, j'y ai pensé pendant les presque quatre heures de course, cela m'a aidé, cela m'a rendu nostalgique aussi. Ce marathon était particulier parce que c'était mon dernier et je n'en éprouve aucun regret mais une foule de bons souvenirs, de voyages et de rencontres. J'ai repensé à la Porte de Brandebourg, à la Sagrada Familia, aux vignes du Lubéron, à la chaleur du Médoc (36° C.), à des larmes de joie en terminant Milan, à un bar à tapas de Barcelone et sa pianiste brune.