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Kateri Lemmens – Passages d’hiver

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Kateri Lemmens – Passages d’hiveravec des mesures de saccage
des degrés de confinement
un dîner faste d’holodomor
à se lécher les os
jusqu’au fil
devant le mur d’une prison de Leningrad
les poches pleines de poèmes et de lettres froissées
d’Anna Akhmatova et de Nadejda Mandelstam
comment chante le monde à l’agonie
des cendres entre les dents
collées au palais
un poumon manquant
nos chants de thorax essoufflés
de rééduqués cardiaques des vallées de silicone
(je pourrais te dessiner la carte, elle s’étendrait sur les
siècles)

à quoi ressemble l’image de la transparence
à Saluuit
dans la tourbière où on enfouit mes cartilages mes
sortilèges
je dis je et je ne suis personne
je dis je et je dis les autres
à l’hôpital
sur le lit
un crayon dans la gorge
je les entends
ils perdent ma pression
ils
  me
  perdent
dans le froid artériel
sur la table d’opération
dans les calculs de rentabilité
au point mort sur le champ d’honneur
des étoiles qui montent dans les veines
doucement, le monde s’éloigne et je m’en vais au coeur
comme on se cache enfant
dans les caves
les greniers
au fond des lacs
pour ne pas être trouvé
est-ce que je suis née pour ça
partir
rejoindre
le coeur pur et intouché
que j’ai donné

on la crachera la sagesse
en filets de sang
dans les rivières
tout ira vers le bleu
de plus en plus noir
de plus en plus froid
tous les rêves du monde
tous les souvenirs du monde
même la promesse d’Akhmatova
qui n’a jamais oublié
chaque caresse
bien avant le froid
bien avant la Kolyma
Ossip dans les bras de Nadejda
le petit garçon tenant la main de Sylvia Plath
le tilleul décapité et la tombe de Tsvétaïeva
les tilleuls les tombes les aimés et notre dernier pays
bleu et de plus en plus froid
mais bien avant
il y aura un dernier moment
une embolie de chevrotines
faite de main d’homme
à portée de coeur
des meutes de chiens avec des cornes
revenus de Tchernobyl
la carte ouverte et un paquet de bisphenol A
pour fumer
il neigera à plein ciel dans l’univers
dernière magie des artificiers
est-ce qu’on aura
assez d’entailles pour les sources
est-ce qu’on se sera aimé donné
assez
– notre seule vie
notre seule chance –
et
tout sera oublié

***

Kateri Lemmens (née en 1974 à Sherbrooke, Québec) – À paraître au Noroît.


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