Il rapporte par exemple une anecdote qui ne manquera pas de rappeler le triangle dramatique de Karpman, triangle dans lequel nous avons souvent tendance à tomber malgré nous ! Les pointes de ce triangle sont constituées des postures de Victime, Sauveur et Persécuteur. Karpman montre que lorsque nous nous comportons en Victime, « il n’y a qu’à moi de telles choses arrivent, je n’ai vraiment pas de chance », nous allons susciter chez nos interlocuteurs des comportements de Sauveur, « oh, mon pauvre, je vais t’aider », ou de Persécuteur, « tu n’as que ce que tu mérites ». Ces réactions nous prouvent bien que nous sommes vraiment une Victime… Guy Kawasaki a été tenté de se mettre en posture de victime de préjugés racistes mais une réflexion de son père l’a aidé à sortir de cette posture :
« En 1994, ma femme, mon premier fils et moi habitions à San Francisco sur Union Street, près du Presidio, dans un quartier appelé le Cow Hollow. C’est l’un des coins les plus prestigieux de San Francisco — j’avais fait du chemin depuis Kalihi Valley.
« Vous vous occupez aussi des pelouses ? »
Un jour que j’étais en train de tailler les bougainvilliers devant la maison, une femme, blanche, la cinquantaine, vient vers moi et me dit : «Vous faites un si bon travail! Vous vous occupez aussi des pelouses ? »
Sa logique était que, étant un Japonais faisant du jardinage dans un quartier cher de San Francisco, j’étais un paysagiste. Je lui ai alors répondu : « Je vois, vous croyez que je suis jardinier parce que je suis japonais. »
Elle a été déstabilisée et elle s’est lancée dans une autre explication : « Oh, non, non, mais vous faites un si bon travail que je me posais la question parce que j’ai besoin qu’on tonde ma pelouse. » À d’autres !
Mais le but de cette anecdote n’est pas le profilage racial — au contraire.
Mon père, venant de Hawaï, m’a rendu visite quelques semaines plus tard et je lui ai raconté l’anecdote. Souvenez- vous qu’il était un Japonais américain de seconde génération qui a fait la Seconde Guerre mondiale dans l’armée américaine. Je m’attendais donc à ce qu’il soit indigné.
Mais, à ma surprise, sa réponse a été celle-ci : « Dans ton quartier, les statistiques lui donnaient raison, donc n’en fais pas toute une histoire. » Sa remarque a eu un impact profond sur ma relation avec les gens.
Depuis ce jour, il est difficile de m’insulter ou de m’offenser ; cela me simplifie la vie.
Voici une autre anecdote dans la même veine de mon histoire de jardinage : Condoleezza Rice, qui avait été ministre des Affaires étrangères de George W. Bush, m’a beaucoup inspiré lorsque je l’ai interviewée pour mon livre Hindsights. Elle était alors la doyenne de l’université de Stanford.
(…) Rice m’a alors dit qu’on ne doit jamais se considérer comme une victime parce qu’on se met alors à se comporter en victime…
On commence à croire qu’on n’a pas de contrôle sur son destin et que les autres sont responsables de son bien-être. Le résultat est qu’on devient dépendant des autres pour être heureux et réussir — et qu’on abandonne toute maîtrise sur son sort.
Rice a ajouté que, pour réussir, on ne peut pas avoir une mentalité de victime. On doit croire qu’on peut contrôler son destin. Personne d’autre n’a la responsabilité de son succès ou de son échec. Son point de vue m’a profondément marqué : c’est moi et moi seul qui suis responsable de mon bonheur. »
Nous sommes parfois tentés d’adopter une posture de Victime et il est réconfortant, dans un premier temps, de se sentir soutenu et encouragé par les Sauveurs que notre comportement suscitera autour de nous. Dans un second temps, il arrive que les Sauveurs se lassent et se transforment en Persécuteurs, ce qui nous ancre encore plus dans la posture de Victime. Il n’est pas facile de sortir d’un triangle dramatique. Parfois, comme ici, la simple réflexion d’un proche, ou une prise de recul sur des situations insatisfaisantes et récurrentes, nous incitent à reprendre la responsabilité de notre destin.