L'expérience vécue par le touriste en voyage est un élément clé de la satisfaction client : le storytelling permet d'amplifier cette expérience.
C'est un travail de recherche universitaire que je vais synthétiser ici : il est l'oeuvre d'un (ou d'une) étudiant(e) de l'Université des sciences appliquées Haaga-Helia en Finlande, Nhi Cao. Il a été réalisé dans le cadre du cursus diplômant et le fait que cette étude ait été rendue accessible à la communauté scientifique internationale témoigne de sa valeur.
Postulat de base particulièrement intéressant dans ce travail : l'auteur est branché sur les histoires fictives et croit beaucoup en leur efficacité sur le plan de l'expérience touristique. Ce n'est pas si courant, notamment dans le secteur touristique, et cela donne encore plus d'intérêt aux trouvailles qu'a pu faire Nhi Cao. Plus qu'une marque, une destination touristique est en effet tangible, avec une histoire vraie, une culture, des attributs visibles : l'ajout de fictions à l'expérience ne peut donc qu'interpeller.
Au passage, une petite définition de l'expérience touristique : l'expérience que l'on fait d'un lieu, dans lequel on réalise des activités touristiques élaborées, qui génèrent des émotions et des souvenirs associés.
La méthodologie de cette étude sur le storytelling et le tourisme :
Le chercheur a imaginé une histoire fictive, attachée à un point d'attrait spécifique d'une destination (en l'occurrence, une forêt). Cette histoire est diffusée auprès de participants à un focus group (18 personnes) dans un contexte qui se rapproche au maximum de l'expérience touristique réelle. Les participants sont ensuite interviewés sur l'expérience qu'ils ont vécue, leurs perceptions et opinions et sur les effets du storytelling sur leur expérience touristique. Les données qualitatives sont ensuite analysées. Et là aussi, c'est plutôt intéressant comme démarche : une telle méthode n'est pas si courante dans les études sur le storytelling (c'est plus souvent des questionnaires ou des expérimentations qui sont réalisés). C'est aussi ce qui nécessitera une confirmation des résultats par de futures autres études scientifiques.
Les résultats d'enquêtes précédentes sur l'impact du storytelling dans le tourisme :
Ce n'est évidemment pas la première étude menée sur le sujet touristique. Des travaux précédents ont déjà montré qu'incorporer une histoire à la présentation d'une destination touristique a une influence positive sur son choix final par le client. Le storytelling favorise aussi la pleine conscience des lieux par le touriste, c'est une autre étude qui le dit, avec une mémorisation accrue à la clé. Selon une autre étude encore, le storytelling renforce la connexion entre le touriste et la destination, sur le plan de la mémorisation et des émotions, et présente les attributs physique des lieux d'une manière impactante et dont on se souvient durablement.
J'ai moi-même écrit des articles sur les relations entre le storytelling et l'écotourisme, ou encore sur l' utilisation des médias sociaux et du storytelling au service du tourisme.
Les résultats de l'étude de Nhi Cao (en relisant le texte de son compte-rendu de recherche, je crois que c'est finalement une étudiante) :
Les participants ont indiqué que la forme narrative leur était familière, avec un bémol pour certains : ils se sentaient plus en phase et en situation de confort avec des histoires qui suivent une structure classique, plutôt que des histoires "modernes" sans début ni fin très clairs. Paradoxalement, l'émotion ressentie était jugée supérieure. Le besoin d'en avoir pour son temps d'attention à la fin de l'histoire a aussi été exprimé (une morale, un message...). Le besoin de facilité, de ne pas avoir à réfléchir, de ne pas se sentir dans l'expectative à la fin de l'histoire a émergé : bref, le public n'a pas envie d'être intellectualisé.
L'empathie du public avec les émotions des personnages, et de manière générale dans l'histoire a été identifiée. Le public s'est senti immergé dans l'histoire et a effectivement ressenti des émotions d'une certaine intensité.
Contrat rempli et unanime sur cet item. La mémorisation a été qualifiée de "vivante" par les participants : avec donc une capacité à se reconnecter ultérieurement avec l'expérience touristique et un attachement plus fort au lieu.
L'objectif de cette histoire fictive était de générer une expérience différente, spéciale. Le fait d'aller dans une forêt sans le support de cette histoire a été jugé comme une source d'ennui, comme une activité ordinaire, bref sans intérêt. L'histoire a donné un sens à cette visite d'un lieu autrement perçu comme des plus communs.
Etant donné que l'histoire mêlait des éléments tout à fait authentique et connus des participants au focus group et des parties complètement imaginaires, la connexion avec le lieu a pu se faire de manière intense : les éléments réels ont facilité cette proximité. Les parts fictives du récit ont permis d'élever à un niveau plus fort la perception de la beauté de la forêt, de manière multi-sensorielle ressentie en direct. Cela a aussi amené du mystère dans l'expérience, accroissant encore la profondeur de l'expérience. Les participants ont aussi indiqué que cela leur avait permis de se placer "hors du temps", c'est à dire dans un contexte où ils étaient à l'abri des considérations de la vie ordinaire (un peu de rêve généré ici).
Pas mal d'enseignements, donc, à, retirer de ce travail. Je retiens notamment l'envie de simplicité du public. A l'heure où nous sommes en capacité de réaliser des récits très sophistiqués, ces histoires complexes ne correspondent pas forcément aux souhaits de ceux à qui elles sont destinées. Et comme on ne conçoit jamais une histoire pour soi-même, je dirais qu'en storytelling aussi, le client est roi.