Carla Lucarelli – Digression 3,4,5

Digression 3

A désenchanté le monde vidé le ciel dévié les fleuves
tué les saints pendu les mystères enfermé les mystiques
inventé des maladies étranglé les signes broyé les dieux
constipé les cerveaux conspué les cervelles
contracté le réel confiné les yeux
calculé des trajets arrêté des trains freiné des élans
coupé des ailes raboté des souliers enceint des vaches
coupé la queue au délire stérilisé la folie
mais
a prolongé la vie

Digression 4

Quand tu tisses les couleurs du leurre ça coule
comme flux menstruel comme fer liquide
comme feux de ville
ça file et ça roule comme phares mobiles
ou foires aux missiles
comme bains de sang et encres dociles
tricotant des articles de laine mi-hyènes mi-sirènes
avec des trous en plein abdomen et ça coule
ça s’écoule ça s’écroule ça périt

Digression 5

Je te donne des la et des mi et toi tu mimes la mort
tu n’y vis pas mais tu y visses des boulons dans des trous
des tris de trous des déchets troués le long de trottoirs
en rase campagne te voir crier mon nom alors que le son
sort de mon ventre syllabes de mon nom éphémère
que tu malaxes syllabes de ton nom que je mélange
dans mes tripes que je nourris de mes sucs que je caresse
de mes lèvres que je fais claquer sous ma langue
mon nom sur ton nom sur nos noms sous nos
langues sur nos corps sous nos bras dans nos veines
entre nos doigts sous nos ongles
et au creux de nos hésitations

***

Carla Lucarelli (née à Luxembourg en 1968) – Dekagonon (Phi, 2016)