De Conakry à Bamako (Mali), la route est moins risquée. A Khalil (la frontière avec l’Algérie), on oblige chacun à acheter un bidon d’eau à boire de 5L qu’il porte sur ses jambes le long du trajet. Dans le désert à perte de vue, on est guidé par la boussole. Les passeurs nous débarquent à des kilomètres de la ville de Relizane vers 18h. S’ils sont arrêtés, ils risquent entre 10 à 20 ans de prison. Pour entrer dans la ville, on a marché en caravane d’une centaine de personnes de 18h à 4h. Après la petite gare où on a payé pour se laver, se changer et manger pour ceux qui ont l’argent, les taxis nous ont conduits à la grande gare où on doit prendre le bus pour Ghardaïa. C’est là qu’on se sépare pour le Maroc ou la Libye. Mon "intermédiaire" guinéen y habite. Je suis resté 10 jours chez lui; j’étais épuisé. Avant de partir pour Deb Deb, la frontière avec la Libye. Pour entrer dans la ville, on a marché 19km. La ville est très dangereuse. L’activité principale, c’est le trafic de migrants. Les passeurs malhonnêtes y vendent leurs clients aux Libyens. Le convoi se poursuit jusqu’à un certain niveau, puis se sépare. Ceux qui sont vendus sont amenés à Sheba. Les autres, à Zintan. Parti à Sabratha, j’y ai travaillé un moment avec un ami. Avec des impayés, notre patron libyen nous a vendu. On nous a enfermé dans une salle de prison étroite peuplée de Noirs et largement équipée de cameras de surveillance. Le jour de notre arrivée, 5 personnes ont été tuées. Des prisonniers dont les parents n’ont pas pu respecter le délai de paiement de la rançon, entre 500 et 1000$. On nous battait régulièrement pour inspirer la crainte. Des enfants sont écartelés, brandis et jetés contre le mur. Au 3ème jour, on m’a demandé une rançon de 800 $. sans téléphone, le seul numéro dont je me souvenais était celui de mon hébergeur soudanais. Dans la nuit du 5ème jour, un codétenu camerounais a réussi à défoncer la porte. Plusieurs se sont échappés. D’autres ne pouvaient se lever, encore moins fuir, trop souffrants. On s’est refugié dans un bas-fond maraîcher. Le périmètre était bouclé. Découverts, nous sommes arrêtés ou morts. Toute la journée on reste dans les arbres. La nuit on descend pour chercher des tomates mûres à manger. A l’aube du 3ème jour, on est sorti de la brousse. Au bord de la route, un taxi nous a pris pour la ville de Sabratha, grâce à l’intervention de mon ami soudanais a que j’avais téléphoné. Après une semaine de repos, j’ai recommencé le travail, j’ai gagné un peu d’argent pour me sauver vers Zawiyah. Mon passeur m’a envoyé un taxi pour me conduire à Tripoli.
La traversée coûte 400$. Mais le risque est grand. On nous a mené en brousse, au bord de la mer. Les premières embarcations, soit ont chaviré, soit sont interceptées par les militaires ou les bandits dont certains passeurs sont complices. Notre zodiac de 130 personnes, poussé à 22h, a été le premier à entrer dans les eaux internationales à 6h. Le capitaine était un Sénégalais. Le "compass" ; détenteur de la boussole, un Gambien. Les deux sont triés parmi les anciens. Le capitaine ne paie pas et une personne lui est accordée, comme cadeau. De 06h à 14h on a navigué en zone internationale sans rencontrer de bateau de sauvetage. Notre capitaine s’était abstenu de téléphoner, de peur qu’on soit repéré par les Libyens. A 14h, le navire humanitaire contacté, a confirmé avoir repéré depuis 06h notre zodiac, négligé à cause du désaccord avec l’Union européenne. Nous devions rencontrer le bateau de sauvetage 45mn plus tard. Et c’est dans ces 45 mn que notre zodiac a chaviré. C’était le 30 juin 2018. Je suis descendu sous l’eau, je me suis déshabillé sauf mon slip. Et j’ai nagé jusqu’au "ballon" sur lequel je me suis accroché pendant près de 3h. Des cadavres coulaient au travers de moi. A 17h, on est repêché par un navire libyen. Certains corps sont héliportés. 22 survivants dont 3 femmes. Un autre bateau sur lequel était écrit NAPOLI nous a embarqués devant. Plusieurs autres embarcations ont été secourues, progressivement. L’essence du zodiac dans la mer avait rongé une partie de mon corps. Les Blessés ont reçu les soins d’urgence. Pire, la base italienne de Lampedusa a rejeté la demande du navire. Notre capitaine du zodiac s’est jeté dans la mer en préférant la mort que de retourner en Libye. Le « compass » aussi a tenté, mais on l’a maitrisé. Au retour en Libye, nous sommes enfermés dans la prison de Tadjoura à Tripoli. L’Ambassade de Guinée n’en a cure de ses ressortissants. On nous frappait régulièrement. Chaque jour, au moins 8 cadavres sont évacués. J’ai enterré dans un même trou, avec deux amis, sept codétenus. On peut rester étendu près d’un cadavre pendant deux à trois jours. Certains détenus achètent leur liberté. Avec le risque d’être interpelés et enfermés dans une autre prison, avec la complicité des anciens ravisseurs. Deux mois après, l’OIM (Organisations internationales pour les migrations) a commencé à rapatrier les migrants. Ce fut le tour de la Guinée. Le16 août 2018 vers 22h notre convoi a atterrit à l’aéroport international de Conakry. La même nuit, l’OIM nous a donné chacun 500 000 GNF soit 50 dollars et un téléphone. L’instant d’après mon retour à Conakry, je suis parti à Kindia pour reposer mon esprit.
Malgré les souffrances et les dangers, Mamadou envisage de retenter l’aventure, mais pas en Libye.
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