Européennes 2019 : le révélateur du nouveau paysage politique

Publié le 27 mai 2019 par Lbouvet

1/ Le duel RN/LREM s'installe dans le paysage politique. La volonté des deux finalistes de l'élection présidentielle de 2017 de faire le vide autour d'eux et de leurs mouvements se trouve confirmée par cette élection européenne. De ce point de vue, ils sortent tous les deux gagnants de ce scrutin en obtenant, seuil exceptionnel aux européennes depuis 1979, plus de 5 millions de voix dans un contexte d'augmentation forte de la participation (50%).

Emmanuel Macron perd certes le pari qu'il avait engagé de battre à nouveau Marine Le Pen mais l'écart de moins de 1 point entre leurs deux listes (23,31% des suffrages exprimés contre 22,41 soit environ 200 000 voix) apparaît comme faible au regard de la situation difficile du président de la République et de sa majorité ces derniers mois et de la dynamique d'ensemble des partis populistes et d'extrême droite en Europe depuis quelques années. Il réussit aussi à marginaliser la droite parlementaire comme il l'avait fait avec le PS à l'élection présidentielle.

L'opposition entre la sociologie et la géographie des deux mouvements apparaît plus nette que jamais : à LREM, les métropoles et les populations favorisées et diplômées ; au RN, la France rurale, périphérique et les populations en difficulté, celles qui ont alimenté le mouvement des Gilets Jaunes dans ses premières semaines (la carte de France ci-dessous représentant la liste arrivée en tête dans chaque commune est très parlante). Phénomène nouveau, le RN conquiert désormais certains territoires de " banlieue " (ainsi par exemple il arrive en tête à Aubervilliers, Garges-les-Gonesse, Meaux, Clichy-sous-Bois, Vaulx-en-Velin et Vénissieux) démontrant ainsi qu'il est capable de s'installer partout.

2/ La principale surprise du scrutin (il y en a toujours une) est venue cette fois du score élevé réalisé par les écologistes d'EELV. Score élevé par rapport à ce que leur attribuaient les sondages dans les dernières semaines de la campagne et par rapport au résultat des élections européennes de 2014. Avec un peu plus de 3 millions de voix, EELV devient un parti incontournable dans la perspective d'une recomposition à gauche. Même si une partie du vote écologiste est dû, classiquement aux européennes, à un vote de repli davantage que d'adhésion. Le vote pour EELV est lui aussi sociologiquement et géographiquement situé : urbain, favorisé et jeune. La prise de conscience des enjeux climatiques qui s'est généralisée ces dernières années a sans doute joué un rôle plus important dans ce vote que le programme " sociétal " du parti écologiste.

3/ Seconde surprise : l'effondrement de la droite parlementaire. Le score de la liste conduite par François-Xavier Bellamy (8,5% des suffrages exprimés soit 1,9 millions de voix) est une surprise. C'est le pire résultat pour la droite de toute l'histoire de la Ve République, quatre points au-dessous du score historiquement bas de Nicolas Sarkozy en 1999. On peut émettre l'hypothèse que la ligne conservatrice assumée, notamment sur les questions européennes et de de société, ait rebuté les électeurs libéraux de la droite. Ceux-ci trouvant dans le projet macroniste une alternative possible. Ainsi par exemple, à Paris, LREM et EELV se partagent la première place dans les différents arrondissements suivant une ligne de partage droite (ouest, centre et sud) - gauche (nord-est) classique.

4/ La gauche quant à elle ressort en lambeaux de cette élection à laquelle elle se présentait en ordre dispersé. La France Insoumise qui était apparue comme la nouvelle force dominante a gauche en 2017 n'a réussi à convaincre que 6,3% des électeurs ayant exprimé leur choix, soit moins de 1,5 million d'entre eux. Le mouvement mélenchoniste paie à la fois les excès médiatiques de son leader, sa tentative de récupération du mouvement des Gilets jaunes, sa rhétorique insurrectionnelle, et son accointance avec la gauche identitaire, indigéniste et pro-islam politique.

Le PS réussit à sauver quelques élus européens (6,2% des suffrages exprimés et 1,4 million de voix) mais sans convaincre. Sa conversion écologiste et la déception d'une partie des électeurs macronistes de gauche qui l'avaient délaissé en 2017 ne suffit pas à en faire une alternative crédible. Il devra sans doute aller beaucoup plus loin dans sa refondation idéologique, notamment autour des enjeux régaliens et d'identité collective, s'il veut à nouveau convaincre un nombre significatif de Français. Le candidat du PS à l'élection présidentielle de 2017, Benoit Hamon, a quant à lui perdu son pari du cavalier seul, tout comme le Parti communiste derrière Ian Brossat. Les électeurs de gauche leur ont clairement signifié leur rejet. Chacun devra en tirer les conséquences pour les échéances à venir.

5/ Cette élection confirme aussi que le " souverainisme " n'est plus susceptible de créer un nouveau clivage politique comme certains l'espéraient dans les années 2000 : il a quasiment disparu à gauche et il est asphyxié hors du RN à droite et à l'extrême droite (Nicolas Dupont-Aignan et Florent Philippot en faisant amèrement l'expérience) alors même que l'Union européenne est profondément en crise.