Critique des Serge (Gainsbourg point barre), de Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux, vu le 25 mai 2019 au Studio-Théâtre de la Comédie-Française
Avec Stéphane Varupenne, Benjamin Lavernhe, Sébastien Pouderoux, Noam Morgensztern, Rebecca Marder, Yoann Gasiorowski, dans une mise en scène de Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux
J’étais en décalage avec le spectacle avant même qu’il ne commence : ce n’est que quelques jours avant de m’y rendre que j’ai compris le subtil jeu de mot qui composait le titre. Dans mon espoir de ne voir jouer sur scène que du Gainsbourg des débuts, et pas du Gainsbarre qui avait moins ma faveur, j’avais perçu dans le « point barre » la locution interjective signifiant qu’il n’y avait rien à ajouter : on y entendrait Gainsbourg, le seul et l’unique, et puis c’est tout. J’étais assez brave, il faut le reconnaître, mais j’aurais peut-être dû y sentir un signe.
Je suis une grande fan des cabarets du Français, et ce depuis leurs débuts : j’écoutais déjà les émissions de Philippe Meyer lorsque celui-ci a décidé de faire chanter les Comédiens Français, j’ai assisté aux premiers spectacles chantés sous sa direction, puis il a été plus ou moins écarté de ces spectacles repris progressivement par les comédiens eux-mêmes. J’avais été très emballée par L’Interlope l’année dernière, qui sortait des cabarets habituellement proposés au Français se composant d’une suite d’interprétations des textes d’un grand nom de la chanson française. Serge Bagdassarian, metteur en scène de L’Interlope, avait pensé son spectacle comme un tout et non une simple suite de chansons, avec une histoire comme fil directeur et des personnages davantage dessinés. Il avait réussi à insuffler une âme, créer une atmosphère, proposer au public quelque chose d’assez surprenant, à la fois gai et mélancolique. C’était brillant.
On sent venir un « mais… » à des kilomètres, le voici : je suis beaucoup moins séduite par Les Serge que j’aurais souhaité l’être. Le modèle diffère de ce qui pouvait exister les années précédentes : Serge Bagdassarian avait déjà créé quelque chose de différent, ils tentent encore une autre formule, plus proche du concert cette fois-ci. Seulement voilà : ce que je venais chercher dans les formes musicales proposées au Français, c’était avant tout une interprétation, car ces comédiens exceptionnels vivaient leur chanson différemment, si ce n’est davantage, que leur interprète originel. On avait là une véritable valeur ajoutée, qui permettait de compenser sans problème une absence de technique vocale.
Ici, ils ont choisi de créer un concert autour de Gainsbourg. Je vois dans cette idée deux problèmes majeurs qui, à mon avis, sont la source de ma déception. Le premier, c’est qu’ils se sont organisés entre instrumentistes de la Troupe : là où, d’habitude, ils étaient accompagnés par des musiciens, ici, ce sont eux qui font tout. Alors certes, ils ont dû absolument s’éclater à le faire, et c’est avec plaisir – et admiration ! – qu’on découvre les comédiens qu’on connaît capables de passer aisément du trombone à la guitare, de la guitare au piano, du piano à la basse. Mais d’un point de vue purement musical, je ne vois pas forcément l’intérêt de préférer ce concert à une écoute chez soi, si ce n’est peut-être pour la modernité de certaines adaptations.
Le deuxième, c’est le choix de Gainsbourg. Il se heurte directement à ce qui constituait, selon moi, la plus-value des cabarets du Français : l’interprétation. Car les chansons de Gainsbourg, contrairement à celles de Brassens, de Boris Vian, ou de Barbara, sont bien moins narratives ; qu’apportent alors les Comédiens-Français dans leur interprétation ? Pas grand chose – au contraire, les comédiens ayant été choisis pour leurs qualités de musiciens, ils ne sont pas toujours assurés vocalement et peinent à apporter à Gainsbourg ce que lui seul mettait dans ses chansons, et qui constituait un vrai travail de funambule : étrange, parfois titubant mais toujours abouti. S’il est vrai que Gainsbourg est loin d’être mon artiste préféré, je précise quand même que je connais plutôt bien son oeuvre – j’étais même assez contente que Black Trombone et Comme un boomerang, parmi mes chansons préférées, figurent au programme. Deux interprétations qui, finalement, ne me laisseront rien.
Seule Rebecca Marder tire vocalement son épingle du jeu – j’aurais probablement abondé davantage en compliments si le choix de la comédienne n’avait pas été présenté de manière si hypocrite. Dans le programme, on peut en effet lire que « Si Rebecca est la seule fille, c’est un choix purement pragmatique car elle est la seule comédienne instrumentiste de la Troupe. » Moi-même pianiste, j’ai observé Rebecca Marder pendant tout le spectacle : elle se retrouve deux fois au clavier, les mains mal positionnées, jouant mains gauche et droite toujours séparément. Le plus dur qui lui est demandé, c’est probablement ses trois accords à la main droite qu’elle joue avec deux doigts différents. C’est faire injure aux autres comédiennes de la Troupe que sous-entendre qu’elles n’auraient pu effectuer la même prouesse artistique. La prochaine fois, il faudra assumer le choix d’une comédienne jeune et jolie.
Enfin, le troisième problème vient du fait qu’ils n’ont pas su trouver un biais intéressant pour sortir du format de cabaret habituel. Comme pour justifier leur concert, les chansons sont entrecoupées d’extraits d’interviews de Gainsbourg avec ses folies, ses manières, ses bons mots. Ça aurait pu être intéressant mais cela casse le rythme du spectacle et, à la longue, finit par ennuyer. Ce qui en ressort, c’est un spectacle qui manque d’âme, qui ne réussit pas à créer l’atmosphère qu’il souhaiterait – l’alcool, les cigarettes et les repettos blanches ne suffisent pas à reproduire cette ambiance particulière – et qui apparaît finalement comme un peu fade. On lui reconnaîtra malgré tout une très jolie fin, qui reprend une « phrase-refrain », certes un peu artificielle mais qui a le mérite d’exister et d’articuler le spectacle, qui clôt agréablement le spectacle.
Ils étaient in ; les voici un peu out…