Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine épouse le futur Louis XVI le 16 mai 1770. Mariés trop jeunes, maladroits l'un avec l'autre et peu instruits sur les réalités de l'amour, ils mettront sept ans à consommer leur mariage.
Marie-Thérèse, surnommée Madame Royale, naît le 20 décembre 1778. Elle est suivie en 1781 d'un dauphin, Louis-Joseph. Un second fils, Louis-Charles, duc de Normandie et futur Louis XVII, voit le jour en 1785. Enfin la reine donne naissance à la princesse Sophie, qui vivra à peine un an, en 1786.
Ces enfants surviennent trop tard pour redorer l'image du roi et de la reine dans l'opinion publique. Les parisiens voient Marie-Antoinette comme une jeune écervelée qui se livre à la débauche et Louis XVI comme un lourdaud n'ayant aucune autorité sur sa femme.... Dans le cocon doré de Versailles en revanche, le couple s'épanouit dans une intimité familiale qui est pour eux une révélation. Si Marie-Antoinette prend en horreur l'accouchement public, elle se découvre un instinct maternel très développé. Elle prend soin personnellement de ses enfants, ayant une vision très moderne de son rôle de mère.
La découverte de la maternité
Après la naissance de Madame Royale, le comte Mercy Argenteau, ambassadeur de Vienne à Paris, est ravi de pouvoir rapporter à Marie-Thérèse que sa fille semble s'épanouir autrement qu'en allant au théâtre ou à l'opéra. Il écrit le 17 mars 1779 :
La reine se fait une douce occupation d'aller, à différentes heures du jour, voir son auguste enfant, qui se fortifie et jouit de la meilleure santé. Le roi partage des soins si précieux, et y met une suite et une tendresse qui est le gage de celle qu'il a vouée à la reine.
Marie-Antoinette, qui n'est pas une grande épistolière, noircit des feuilles pour tenir sa " chère maman " informée des progrès de la petite, qu'elle aime infiniment et dont elle est très fière. Ainsi le 16 août 1779 :
J'ose envoyer à ma chère maman le portrait de ma fille ; il est bien ressemblant. Cette pauvre petite commence à marcher fort bien dans son panier. Depuis quelques jours, elle dit papa. Ses dents n'ont pas percé encore, mais on les sent toutes. Je suis bien aise qu'elle ait commencé par nommer son père, c'est pour lui une attache de plus. [...] Ma chère maman me pardonnera tout mon bavardage sur cette petite, mais elle est si bonne que j'en abuse quelquefois.
L'année suivante, elle relate à Marie-Thérèse une anecdote touchante au sujet de la princesse, qui n'a pas encore deux ans mais semble fort débrouillarde, marche, se baisse et se relève toute seule. Elle est très éveillée et fait les délices de Marie-Antoinette :
J'ose confier au tendre cœur de ma chère maman un bonheur que j'ai eu il y a quatre jours. Étant plusieurs personnes dans la chambre de ma fille, je lui ai fait demander par quelqu'un où était sa mère. Cette pauvre petite, sans que personne lui disait [sic] mot, m'a souri et est venue me tendre les bras. C'est la première fois qu'elle a marqué me reconnaître. J'avoue que cela m'a fait une très grande joie [...]
Marie-Antoinette ne se sépare guère de sa fille et envisage même un temps de l'allaiter, usage tout à fait décrié dans les hautes sphères de la société. Lors de ses voyages à Marly avec la Cour, elle vit comme un déchirement la séparation avec Madame Royale, qui doit rester à Versailles. Elle fait autant que possible l'aller-retour pour lui rendre visite.
" Nos enfants apprennent toujours assez tôt ce qu'ils sont "
Mère d'une ribambelle d'archiducs et d'archiduchesses, Marie-Thérèse n'a pas pu les aimer tous avec la même intensité et leur témoigner à chacun une égale tendresse. Les plus jeunes surtout furent davantage livrés à eux-mêmes et tenus à distance, contrairement aux aînés. Avant-dernière de seize enfants, Marie-Antoinette n'a jamais été très proche de sa mère. Elle éprouve pour elle plus de respect que d'amour.
Mère à son tour, Marie-Antoinette ne souhaite pas reproduire ce schéma. Allergique à l'étiquette, elle s'affranchit du cérémonial qui régit la vie des familles princières. Elle entend élever ses enfants avec simplicité et leur témoigner son affection en toute liberté !
Pour commencer, la reine constitue elle-même leur Maison, en accord avec Louis XVI. Si le personnel est toujours très nombreux, elle en réduit le train. Surtout, elle suit de près l'œuvre des éducateurs et décide de leur donner comme gouvernante son amie la plus chère, la duchesse de Polignac, à partir de 1782.
Elle fait d'ailleurs plus que de surveiller et de nommer le personnel en charge de ses enfants. C'est elle qui trace les grandes lignes de leur éducation. Elle s'investit réellement dans leur quotidien et surveille de près leurs progrès. Les principes éducatifs de la reine détonnent au XVIII ème siècle. Pour s'en rendre compte, il suffit de lire les billets rédigés pour Mme de Tourzel, nommée gouvernante après le départ de la duchesse de Polignac en 1789 :
On a toujours accoutumé mes enfants à avoir grande confiance en moi et, quand ils ont eu des torts, à me les dire eux-mêmes. Cela fait qu'en les grondant j'ai l'air plus peinée et affligée de ce qu'ils ont fait que fâchée. Je les ai accoutumés tous à ce que oui ou non prononcé par moi soit irrévocable, mais je leur donne toujours une raison à la portée de leur âge pour qu'ils ne puissent pas croire que c'est humeur de ma part.
Des propos qui contrastent fortement avec le discours habituel des maisons royales ! Elle prône également les effets bénéfiques du grand air. Mais attention, rien de codifié ou de contraint : ce ne sont que balades tranquilles dans les bosquets et cabrioles innocentes dans les jardins. Parlant de son fils, elle écrit le 24 juillet 1789 :
Il est né gai ; il a besoin pour sa santé d'être beaucoup à l'air, et je crois qu'il vaut mieux le laisser jouer et travailler la terre sur les terrasses que de le mener plus loin. L'exercice que les petits enfants prennent en courant et jouant à l'air est plus sain que d'être forcés à marcher, ce qui souvent leur fatigue les reins.
Très surprenant, Marie-Antoinette ne prévoit aucune formation religieuse avant l'âge de raison ! Elle souhaite également élever ses enfants en leur inculquant la bienveillance et le respect. Quand elle mentionne à nouveau son fils à Mme de Tourzel, elle songe sans doute à sa propre enfance : " Il n'a aucune idée de hauteur dans la tête, et je désire fort que cela continue : nos enfants apprennent toujours assez tôt ce qu'ils sont. "
Mme Campan raconte une autre anecdote évocatrice qui se passe en 1784 :
Voulant donner encore à ses enfants une leçon de bienfaisance, elle m'ordonna de faire apporter de Paris, comme les autres années, la veille du jour de l'an, tous les joujoux à la mode, et de les faire étaler dans son cabinet. Prenant alors ses enfants par la main, elle leur fit voir toutes les poupées, tous les mécanismes qui y étaient rangés, et leur dit qu'elle avait eu le projet de leur donner de jolies étrennes ; mais que le froid rendait les pauvres si malheureux, que tout son argent avait été employé en couvertures, en hardes, pour les garantir de la rigueur de la saison et leur donner du pain ; ainsi, que cette année, ils n'auraient que le plaisir de voir toutes ces nouveautés.
Une fille rien qu'à elle
Marie-Antoinette veille sur sa fille comme sur la prunelle de ses yeux, quitte à la surprotéger. Durant ses plus jeunes années, elle se comporte en véritable maman poule, la tenant auprès d'elle toute la journée. Mercy-Argenteau en témoigne en décembre 1782 :
Depuis qu'Elle s'occupe de l'éducation de son auguste fille et qu'Elle la tient continuellement dans ses cabinets, il n'y a presque plus moyen d'y traiter d'aucun objet important ou sérieux qui ne soit à tout moment interrompu par les petits incidents des jeux de l'enfant royal.
Elle décide quand sa fille se montre en public ou non, choisit ses tenues et limite strictement les occasions de l'aborder. La tenant à l'écart du système de Cour, elle fragilise aussi son statut de princesse royale.
Sans surprise, Marie-Antoinette s'oppose aux projets de mariage précoces qui se dessinent. Lorsqu'en 1787, sa sœur Marie-Caroline fait demander officieusement la main de la petite pour son fils aîné, héritier du trône de Naples, elle décline aussitôt. Elle préfèrerait plutôt lui faire épouser son cousin, le fils du comte d'Artois.
Elle resterait ainsi en France et, ainsi qu'elle le dit elle-même, " sa position serait bien préférable à celle de reine dans un autre pays ". Marie-Antoinette a vécu comme un déchirement son déracinement de Vienne. Elle ne souhaite en aucun cas transformer sa fille en pion sur l'échiquier matrimonial des grandes familles princières comme l'impératrice Marie-Thérèse l'a fait avec ses enfants.
La baronne d'Oberkirch s'émerveille des rapports étroits qui lient la mère et la fille, tout en louant les qualités d'éducatrice de Marie-Antoinette :
Marie-Antoinette s'occupe elle-même de l'éducation de sa fille ; elle assiste tous les matins aux leçons de ses maîtres, et est très sévère pour ses petits défauts. Elle fit, vers cette époque là, une réforme dans la maison de sa fille, dans la crainte de lui donner le goût du faste par le trop grand appareil qui l'entourait. Peut-on voir une meilleure mère et une affection plus éclairée !
Leurs rapports, en réalité, sont loin d'être évidents.
Mousseline la Sérieuse
Madame Royale se révèle une enfant difficile. Capricieuse et imbue de son rang, elle est vite surnommée " Mousseline la sérieuse ". Un air noble et distingué constamment figé sur le visage, la princesse est capable de réparties acerbes qui laissent les contemporains interdits. La baronne d'Oberkirch a, un jour, l'outrecuidance de dire à la jeune fille qu'elle la trouve tout à fait charmante et fort grandie.
Cette liberté déplut à Madame Royale, et je le vis à l'instant sur son visage. Son regard si fier s'anima, ses traits se contractèrent, et elle me répliqua sans hésitation : - Je suis charmée, Mme la baronne, que vous me trouviez ainsi ; mais je suis étonnée de vous l'entendre dire.
L'abbé de Vermond aurait aussi été indigné de l'indifférence dont la princesse témoigne après une chute de cheval de sa mère : si celle-ci était morte, elle aurait été contente, car elle aurait pu ensuite faire tout ce qu'elle voulait !
Étonnant car Madame Royale n'est pourtant pas une méchante personne. Elle ne se rend pas compte de la portée de ses paroles. La personnalité hautaine de la princesse est d'ailleurs sans doute encouragée en douce par sa tante Élisabeth et les vieilles filles de Louis XV, toujours à la Cour, qui trouvent que Marie-Antoinette ne montre pas assez de distance, comme devrait pourtant l'y obliger son rang.
Sans se douter que d'autres sapent ses efforts, la reine s'efforce de corriger l'orgueil précoce de sa fille. Elle lui fait distribuer elle-même une partie des dix mille francs qu'elle reçoit pour ses charités et lui parle constamment de soulager l'infortune comme d'un devoir sacré. Elle exige de la part de la princesse des égards pour des fillettes de rang modeste. Elle fait même élever auprès d'elle la fille d'une domestique, qui reçoit le même traitement, les mêmes habits et les mêmes vêtements que sa royale compagne. Sachant que sa fille tient beaucoup à ses petites affaires, elle lui fait partager ses jouets avec d'autres.
Peine perdue. Madame Royale restera toujours Mousseline la Sérieuse. Elle ressemble finalement beaucoup à la Marie-Antoinette plus jeune, cette orgueilleuse princesse qui ne voulait pas plier face à Madame Du Barry à son arrivée en France et rappelait à qui voulait l'entendre la supériorité de son sang !
Toujours est-il que la mère et la fille, malgré les efforts de Marie-Antoinette, se comprennent mal. Sans doute l'amour inconditionnel affiché par la reine pour ses deux fils n'a-t-il rien arrangé. Il est certain que les deux garçons n'ont pas le même caractère que Madame Royale !
Le Chou d'amour
Marie-Antoinette raffole de ses deux fils. D'abord, ils sont les garçons tant attendus. Confiés aux éducateurs habituels, ils suivent le cérémonial de Cour comme des héritiers de la Monarchie se devant à la représentation. La reine entretient tout de même avec eux des liens très intimes. L'un comme l'autre très attachants, ils sont les soleils de sa vie.
En 1786, le dauphin présente les premiers signes de la tuberculose qui l'emportera trois ans plus tard. Marie-Antoinette se rend dès qu'elle le peut au château de Meudon où l'enfant a été installé pour l'air réputé plus sain. Lorsqu'il meurt dans d'atroces souffrances en juin 1789, au moment même où l'avenir de la France se joue, la douleur pour les parents est terrible. Le deuil est bref car il faut rapidement reprendre en main la destinée du royaume mais la blessure est immense.
Marie-Antoinette reporte toute son affection sur son second fils qu'elle surnomme " Chou d'amour ". Il est plus câlin et plus aimant que Madame Royale. La baronne d'Oberkirch s'émerveille du caractère facile du garçon :
Il était d'une charmante figure, plein d'esprit ; il avait des mots charmants et une soumissions aveugle aux ordres de la reine. Je n'ai pas connu d'enfant d'une humeur plus sereine et plus égale.
Marie-Antoinette apprécie de voir son cher fils lui montrer son amour en retour. Il est plus expansif que sa fille. Elle écrit à la duchesse de Polignac le 29 décembre 1789 : " Le Chou d'amour est charmant, et je l'aime à la folie. Il m'aime beaucoup aussi, à sa manière, ne se gênant pas. "
L'une des plus grandes blessures de toute sa vie sera de savoir son fils manipulé par les révolutionnaires, qui parviendront à lui extorquer de faux aveux d'inceste. La réponse de Marie-Antoinette aux accusations calomnieuses à ce moment là de son procès est restée célèbre : " J'en appelle à toutes les mères de l'assistance ! "
Ses enfants, en donnant un sens à sa vie, tiennent la première place dans le cœur de Marie-Antoinette. Son nouveau rôle l'assagit et la rapproche de Louis XVI. La maternité, en somme, la transfigure... Elle avoue à la duchesse de Polignac : " En vérité, si je pouvais être heureuse, je le serais par ces deux petits êtres. " !
Sources
♦ Marie-Antoinette, l'insoumise de Simone Bertière
♦ Correspondance secrète du comte Mercy-Argenteau
♦ Mémoires de la baronne d'Oberkirch