Le Parlement européen a adopté hier la directive « copyright » visant à adapter le droit d’auteur à l’heure du numérique. En Bretagne, le studio de production audiovisuelle Scorpion Vidéo Production attend les traductions concrètes. Reportage.
Le voyant de signalisation à l’entrée du studio de télévision vient tout juste de passer au vert. En quelques secondes, le silence studieux qui régnait en régie laisse place à une ambiance détendue. L’équipe de Scorpion Vidéo Production achève le tournage d’une émission dédiée aux sports de glisse.
Assis devant ses écrans et sa console de mixage, Maogan Conan affiche un sourire encore crispé en raison du stress du direct. A 27 ans, il est le fondateur et le dirigeant de Scorpion Vidéo Production. Installé à Malestroit (Morbihan), ce studio de production audiovisuelle propose aux entreprises ses services de réalisation de films et d’accompagnement sur le web.
Fondée en 2016, la société compte aujourd’hui trois personnes. Dans l’entreprise comme dans la vie, Maogan est accompagné de Mélisa. A l’instar du tournage du jour, la paire se complète à merveille : Maogan s’occupe plutôt de la technique et de la réalisation, Mélisa de la préparation et de la présentation des émissions. Lucile est chargée quant à elle de la gestion de la relation client. Le trio ne manque pas de corde à son arc : web, photographie, vidéo, diffusion en direct…
Depuis des mois, l’équipe suit les avancées des institutions européennes sur la directive censée encadrer le copyright. N’attendez pas de surprendre les jeunes vidéastes avec ces notions juridiques ! « Nous veillons à ce que le contenu diffusé ne contrevienne pas au droit d’auteur, observe Maogan. J’ai trop souvent rencontré des professionnels qui utilisent des vidéos ou des musiques sans se soucier du copyright et même sans autorisation. Ils prennent le risque qu’un jour les ayants-droit se retournent contre eux. »
Filtrage automatique
La directive contraindra notamment les géants du web (comme Google ou Facebook) à rétribuer les créateurs de contenus. Scorpion Vidéo Production est directement concerné. L’entreprise partage la majorité de ses productions sur Youtube. « La directive est une excellente initiative, poursuit Maogan. Nos réalisations diffusées sur les plates-formes en ligne seront mieux rémunérées. »
Blogueuse à ses heures perdues, Lucile poste régulièrement ses propres vidéos de mode et de design sur sa chaîne Youtube personnelle. En 10 ans d’utilisation, elle a vu évoluer le service vidéo en ligne : « J’attends de voir les implications concrètes de cette loi. Il ne faudrait pas qu’elle ouvre la voie à une surveillance généralisée du web. » La jeune femme de 31 ans pointe du doigt Content ID, le système de filtrage automatique de Youtube destiné à repérer les contenus protégés par le droit d’auteur : « Cet outil a déjà bloqué certaines de mes vidéos parfaitement licites, comme des parodies ou des critiques. »
Fin des « mèmes » ?
Mélisa s’inquiète aussi des risques de censure. Elle dit craindre la fin des « mèmes », ces images retouchées et détournées de façon humoristique : « Pourront-ils continuer à circuler librement ? Il est indispensable de faire une exception. Les mèmes sont un pan de la culture Internet. »
En apôtre de la régulation de la Toile, Maogan livre une dernière objection : « Un mème partagé des millions de fois sur les réseaux sociaux contribue aux recettes publicitaires des géants du numérique. Il est logique qu’une partie des revenus générés soit reversée à l’auteur de l’œuvre originale. » « Tout dépend de l’idée que l’on se fait du web, conclut Lucile avant d’amorcer le débriefing de l’émission fraîchement en boîte. Est-ce un espace totalement libre ou un marché réglementé ? » Si la pause se termine, le débat ne fait peut-être que commencer.
Arnaud Gicquello