Cas de pédophilie dans l’Eglise, difficultés dans le monde rural, mouvement des Gilets jaunes… En visite à Malestroit dans le Morbihan, l’évêque de Vannes Mgr Centène livre un avis précis sur les questions d’actualité.
Des actes de pédophilie commis par des prêtres se font jour au sein de l’Eglise. Comment peut-elle lutter contre le fléau des violences sexuelles au sein de son institution ?
D’abord, l’Eglise doit porter une grande attention et un grand soutien aux victimes. En toutes circonstances, l’Eglise est de leur côté et non de celui des bourreaux. La hiérarchie de l’Eglise doit faire preuve d’une extrême sévérité vis-à-vis des personnes qui se sont rendues coupables de violences. Si elles font partie du clergé, il faut les exclure parce qu’elles n’ont rien à y faire.
Ensuite, ce n’est pas l’Eglise qui est responsable de ces actes, ce sont des individus en son sein. En aucun cas, il ne s’agit d’une faute collective de l’Eglise. D’abord, parce que l’Eglise n’est pas seulement composée de prêtres. Les laïcs en font aussi partie. Et puis, ces personnes n’ont pas commis de tels actes en servant l’Eglise mais en bafouant leurs propres engagements et en faisant précisément le contraire de ce que l’institution leur demande.
D’une certaine manière, l’Eglise elle aussi est victime des agissements de ces prêtres ou religieux. Elle en subit au moins un déficit d’image préjudiciable. C’est une raison pour elle de se porter partie civile aux côtés des victimes lors des procès. Les personnes ayant commis de tels actes doivent être punies comme elles le méritent.
Aujourd’hui, le monde rural, particulièrement les agriculteurs, est confronté à des difficultés. Comment l’Eglise peut-elle venir en aide à ces populations fragiles ?
En réalité, le monde rural est confronté à deux types de fragilités. Il y d’abord les difficultés rencontrées par les agriculteurs. Le nombre de suicides est bien plus que dans les autres professions. Ensuite, les difficultés traversées par les néoruraux constituent une autre forme de fragilité et de pauvreté. Il s’agit de ceux qui sont venus s’installer à la campagne parce que l’immobilier est moins cher qu’en ville. C’est souvent le seul bénéfice qu’ils en tirent. Il faut ajouter certaines situations dramatiques de solitude.
Pour accompagner les plus fragiles, nous avons mis en place des groupes de parole. Ils sont composés de personnes qui veillent sur les situations du monde rural. Souvent, les agriculteurs qui se suicident sont seuls et n’ont personne à qui parler.
Le silence tue petit à petit. Les événements d’aujourd’hui, notamment le mouvement des « gilets jaunes », montrent un délitement du lien social. L’Eglise doit le combattre à sa manière en créant du lien. D’ailleurs, le mot religion vient du latin religare qui signifie « relier ». Cela veut dire non seulement relier Dieu et l’Homme mais aussi relier les hommes entre eux. C’est une des missions de l’Eglise.
Le mouvement des « gilets jaunes » n’est-il pas révélateur d’une société devenue plus individualiste de nos jours ?
L’individualisme de plus en plus grand conduit au réensauvagement de la société. Il se traduit par une violence exacerbée. Il faut prendre en compte non seulement la violence entre les hommes mais aussi la violence de certaines situations. L’individualisme sur le plan économique se traduit par un libéralisme sans limites, sans frein, sans bornes et sans règles.
Au XIXe siècle, Henri Lacordaire écrivait : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » Ce que Lacordaire soulignait à l’époque à l’échelle de la France, il faut aujourd’hui le dénoncer au niveau international. A l’échelle mondiale, le libéralisme économique sans frein conduit à l’exploitation des peuples pauvres pour nourrir des peuples riches qui sont eux-mêmes massivement confrontés au chômage. Le mouvement des « gilets jaunes » est aussi la traduction de tout cela. Il ne s’agit pas seulement d’un problème franco-français.
D’ailleurs, l’individualisme se retrouve dans les revendications des « gilets jaunes ». Au fond, chacun voit midi à sa porte, chacun demande plus de pouvoir d’achat pour soi. La solidarité a du mal à naître au sein même du mouvement.
Propos recueillis par Arnaud Gicquello
(Article paru dans le Podcast Journal, le 5 avril 2019.)