Qu'ont-ils en commun Slobodan Milosevic, Robert Mugabe et Nicolás Maduro? En plus d'être des leaders qui ont gardé le Manifeste Communiste à leur chevet, ils ont tous les trois généré des hyperinflations dévastatrices. Ces trois exemples aident à comprendre comment de mauvais choix politiques peuvent avoir un impact criminel sur les populations.
Milosevic et la Yougoslavie
Slobodan Milosevic était au pouvoir lorsque la dernière inflation a ravagé la Yougoslavie. Alors que je servais de conseiller dans le gouvernement de réforme Ante Marković, nous avons découvert, le 28 décembre 1990, que le Parlement serbe, contrôlé par Milosevic, avait secrètement ordonné à la Banque nationale serbe (une banque centrale régionale) d'émettre des crédits d'une valeur de 1,4 milliard de dollars à des amis de Milosevic. Ce pillage illégal équivalait à plus de la moitié de la masse monétaire que la Banque nationale de Yougoslavie avait prévu d'émettre en 1991. Le braquage avait saboté les plans de réformes économiques du gouvernement Markovic et renforcé la détermination des dirigeants croates et slovènes à se séparer de Belgrade.
À partir de janvier 1992, ce qui restait de la Yougoslavie a enduré ce qui était à l'époque la deuxième hyperinflation la plus élevée de l'histoire du monde. Elle a culminé en janvier 1994, avec un taux mensuel à 313 000 000 %. L’épisode d’hyperinflation yougoslave a duré 24 longs mois. Néanmoins, Milosevic conserva son emprise sur ce qui restait de la Yougoslavie pendant six ans.
Au cours de la période de 24 mois, le revenu par habitant a chuté de plus de 50%. Les gens ordinaires ont été forcés d'épuiser leurs économies en devises. Les gens n’avaient pas les moyens d’acheter de la nourriture sur le marché libre ; ils ont survécu à la famine soit en faisant la queue dans les magasins d’État pour des rations en aliments de base de qualité médiocre, soit en s’appuyant sur des proches qui vivaient à la campagne.
Mugabe et le Zimbabwe
Au cours de la période 1997-2007, le niveau de vie (mesuré par le produit intérieur brut [PIB] réel par habitant) a chuté de 38%. L’épisode, qui avait atteint son paroxysme en novembre 2008 avec un taux d’inflation annuel de 89,7 sextillion % (soit 89,7 suivis de 20 zéros), avait privé les citoyens de leur épargne et de leur capital par le biais de taux d’intérêts réels (corrigés de l’inflation) qui étaient devenus négatifs. Cette forme de vol est due en grande partie à la législation et à la réglementation régissant les institutions financières (fonds de pension, compagnies d’assurance, sociétés de crédit immobilier et banques) qui les ont obligées à acheter des bons du Trésor public ne rapportant qu’une infime fraction du taux d’inflation, ou à effectuer des dépôts à la Banque de réserve du Zimbabwe (RBZ) qui ne versait aucun intérêt.
Alors, quelle était la cause de cette crise économique? La faute en incombe au gouvernement du Zimbabwe, dont les politiques ont obligé la RBZ à imprimer de l'argent ex nihilo. De janvier 2005 à mai 2007, la RBZ a fixé des taux de change supérieurs à ceux de la banque centrale allemande de janvier 1921 à mai 1923, soit la phase de montée en puissance de la grande hyperinflation allemande.
À mes yeux, le taux d'inflation mensuel a atteint un sommet de 79,6 milliards de dollars en novembre 2008, passant au second rang le plus grave, avant l'épisode d’hyperinflation Yougoslave. En dépit de cette situation catastrophique, Mugabe a pu rester en fonction pendant neuf ans. Cela est dû en partie au fait que, début 2009, le Zimbabwe a abandonné le dollar zimbabwéen et en a officiellement « dollarisé » l’économie.
Mais Mugabe n’a jamais tiré les leçons de 2008. Lorsque son parti, la ZANU-PF, a repris le contrôle total du Zimbabwe en 2013, les dépenses de l’État et la dette publique ont augmenté. Pour financer ses déficits record, le gouvernement a abandonné la dollarisation intégrale et a commencé à émettre sa propre monnaie en quantités énormes. Le «New Zim dollar» a été émis en parité avec le dollar américain mais s’est négocié à un taux d’escompte important. La masse monétaire, à la suite de l’émission du dollar Zim, a explosé, de même que l’inflation. Ce faisant, le Zimbabwe a connu sa deuxième hyperinflation en moins de dix ans, à compter de septembre 2017 avec un taux d'inflation mensuel de 185%, lequel a ouvert la porte à la destitution de Mugabe via un coup d’État en novembre 2017.
Maduro et le Venezuela
À l'heure actuelle, le seul pays qui souffre des ravages de l'hyperinflation est le Venezuela. Mais l’épisode d’hyperinflation en cours au Venezuela ne s’est pas produit du jour au lendemain. J’ai pu constater quelques-uns des dysfonctionnements économiques du Venezuela au cours de la période 1995-1996, alors que j’occupais les fonctions de conseiller du président Rafael Caldera. Mais ce n’est qu’en 1999, lorsque Hugo Chavez a été installé à la présidence, que les graines socialistes de la crise actuelle du Venezuela ont commencé à être plantées. Avec la domination de Chavez, la discipline budgétaire et monétaire s’est étiolée et l’inflation a explosé. Au moment de l'arrivée de Nicolas Maduro, début de 2013, l'inflation annuelle atteignait un taux à trois chiffres et le Venezuela entrait dans la spirale de la mort économique.
Le taux d'inflation annuel du Venezuela était le plus élevé au monde en 2018, atteignant 80 000% à la fin de l'année et grimpant à 165 382% à fin février 2019. Et, bien que le taux d'inflation du Venezuela ait été « modeste » (par rapport au Zimbawe par exemple), il est durable. À ce jour, l’hyperinflation vénézuélienne dure depuis 30 mois. Il s’agit du cinquième épisode d’hyperinflation le plus long de l’histoire.
Bien que l’hyperinflation ne soit pas une recette pour bâtir le soutien populaire d’un politicien, elle ne signe pas pour autant son arrêt de mort. Regardez les « fous monétaires », Milosevic, Mugabe et Maduro, qui ont pu conserver le pouvoir pendant des années, et ce même après le début des hyperinflations dévastatrices. Les populations doivent bien prendre conscience du fait que la pauvreté liée à l’hyperinflation est la conséquence de la mauvaise gouvernance.
Steve Hanke, professeur d'économie appliquée à l'Université Johns Hopkins et chercheur principal à l'Institut Cato. Article initialement publié par le Cato Institute – Traduction réalisée par Libre Afrique (Version très élaguée)- Le 24 mai 2019.