Somewhere over the rainbow… Un formidable pays imaginaire.
Bienvenue au 7ème Café Billy ! Quittons les jardins gris de Grey Gardens et passons de l’autre côté de l’arc-en-ciel dans un monde aux milles couleurs. Un monde où les petites filles tuent des sorcières à coups de maison, où les épouvantails se font bouffer par les corbeaux, où les hommes de conserve rouillent sous la pluie, où les lions ont peur de leur propre queue et où les singes, à défaut des cochons, volent. Tout un extravagant microcosme réuni pour une seule et même quête : rencontrer Le Magicien d’Oz !
LE MAGICIEN D’OZ
Réalisateur : Victor Fleming
Acteurs principaux : Judy Garland, Frank Morgan
Date de sortie : 25 août 1939 (États-Unis)
Pays : États-Unis
Budget : 2,8 millions $
Box-office : 25,7 millions $
Durée : 1h38
COMME UN OURAGAN
Il y a de ces films qui, sans même qu’on ne les ai vus, font partie intégrante de l’imaginaire collectif de l’humanité. Si bien que, même si je ne l’ai découvert pour la première fois que grâce à toi par le biais de ce Pub Billy, je connaissais depuis bien longtemps Le Magicien d’Oz, ses souliers de rouge flamboyant, sa sorcière qui fond comme neige au soleil et sa chanson mythique.
On considère souvent à tort cette œuvre légendaire, d’ailleurs préservée au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO aux côtés de Metropolis, comme le premier film en couleur de l’Histoire. Cela ne pourrait pas être plus faux, car comme nous l’avons vu avec des films tels que Le Voyage à travers l’Impossible ou Le Vol du Grand Rapide, la couleur en cinéma existait déjà au tout début du XXème siècle. Pour autant, Le Magicien d’Oz reste peut-être le premier à utiliser les moyens de coloration de la fin des années 30 à leur plein potentiel dans une éblouissante démarche artistique et fantastique jusqu’alors inégalée. Ce qu’on oublie souvent, en revanche, c’est que le film commence bel et bien en noir et blanc…
Dorothy Gale (Judy Garland) est une jeune fille qui vit à la ferme de son oncle Henry et de sa tante « Em » Emily, avec son petit chien Toto. Elle s’amuse avec les fermiers, promène son chien, et se dispute avec la méchante vieille Gulch (Margaret Hamilton) et son abominable chat. Sa vie est paisible et tranquille, mais elle rêve d’ailleurs… Un ailleurs qu’elle pourrait bien rencontrer plus tôt que prévu, lorsqu’une terrible tornade traverse la lande et dévaste tout sur son passage.
Dès cette introduction, pourtant ancrée dans la réalité, la magie pointe lentement mais sûrement le bout de son museau. Il y a la vieille Gulch, que Dorothy traite de « wicked old witch » (méchante sorcière) en prémonition du rôle joué par Margaret Hamilton de l’autre côté de l’arc-en-ciel, la Méchante Sorcière de l’Ouest (« Wicked Witch of the West » en VO). Il y a le Professeur Marvel (Frank Morgan) – toute ressemblance avec une Captain héroïne d’Avengers : Endgame serait purement fortuite – le charlatan, qui lit l’avenir dans les photos de famille. Il y a cette tornade impressionnante, incarnée par des effets spéciaux décoiffants, qui prend une ampleur presque biblique. Et puis bien sûr, il y a la chanson.
« Over The Rainbow » est sans aucun doute une des chansons les plus connues au monde, même si tout le monde ne sait pas qu’elle est issue du film. La plus célèbre version doit être celle d’Israel Kamakawiwo’ole, accompagnée au ukulele ; et encore plus récemment on a pu l’entendre dans les bandes-annonces de Godzilla II : Roi des Monstres. Elle incarne l’espoir d’une vie meilleure, un rêve idéal d’un monde de paix et d’harmonie où les oiseaux chantent et où les soucis fondent comme du sorbet au citron. Le film est toujours en noir et blanc, mais déjà dans notre tête la magie fait son nid et les couleurs se peignent à travers l’évocation de l’arc-en-ciel, dans un moment de grâce totalement inattendu, qui valut aux compositeurs un Oscar de la Meilleur Chanson amplement mérité, et qui m’a laissé tout simplement bouche bée.
Mais le plus incroyable est encore à venir. Réfugiée juste à temps dans la bicoque battue par les vents, Dorothy contemple avec effroi l’ouragan décrocher la bâtisse du sol et l’envoyer valdinguer dans les cieux. Après une séquence pour le moins secouée, la maison se pose et le silence se fait. Alors la jeune fille reprend ses esprits, se dirige vers la porte, et…
« DOROTHY – Toto… We’re not in Kansas anymore. »
ET LA COULEUR FUT
De l’autre côté de la porte, devenue l’arc-en-ciel métaphorique, se dévoile un royaume extraordinaire aux vallées luxuriantes et aux plantes merveilleuses bourgeonnant de milles fleurs exotiques. Mais surtout, sans qu’on s’y attende le moins du monde et alors que tout jusqu’ici n’était que noir et blanc, l’ouverture de la porte laisse éclater les pigments de la pellicule dans toute la splendeur du Technicolor.
Le Technicolor, cette technique de coloration de films utilisée durant toute la première moitié du XXème siècle, qui leur donne une teinte si particulière qui fait péter les couleurs primaires. Jamais un film, avant ou après, n’a fait meilleur usage du procédé que Le Magicien d’Oz. Et pour cause ! Oz, en sa qualité de monde fantastique imaginaire, permettait toutes les folies possibles et imaginables. Et Dieu sait que les réalisateurs ne se sont pas privés, car jamais le « glorious Technicolor » n’a jamais aussi bien porté son titre.
La route de briques jaunes, le champ de coquelicots, la Cité d’Émeraude… Oz resplendit de milles feux et tout est prétexte à nous exploser la rétine. C’est une épiphanie colorimétrique, un éblouissant kaléidoscope qui passe par les moindres détails, décors, costumes et maquillages, et culmine avec les inoubliables souliers de rubis de Dorothy. C’est aussi coloré que la séquence de la Porte des Étoiles de 2001, et ça fait à peu près autant de sens logique, mais ça dure plus d’une heure.
Donc non, Le Magicien d’Oz n’est pas le premier film en couleur, mais du haut de ses 80 ans cette année, il reste le représentant d’un des meilleurs usages de la couleur au cinéma de tous les temps.
Attention, la partie suivante contient des spoilers sur la fin du film – si tant est qu’on puisse spoiler un film de 80 ans.
DOUBLE JEU
Inutile de se pencher en détail sur les pérégrinations erratiques de Dorothy, du Lion peureux, de l’Homme de fer blanc sans cœur et de l’Épouvantail sans cervelle, ni sur le pourquoi du comment la Sorcière du Nord peut se téléporter dans une bulle et faire neiger, mais doit attendre qu’une fille sortie de nulle part fasse tomber une maison pour se débarrasser de la méchante Sorcière de l’Est. Nan mais sérieusement Glinda, à quoi tu sers ? Le Magicien d’Oz est un conte de fée, c’est magique, blablabla, on s’en fout. Ce qui nous intéresse en revanche, c’est le fin mot de l’histoire, et ce que le film veut nous dire.
Une des premières choses que l’on remarque à Oz, avec la rencontre de la Sorcière de l’Ouest – si l’idée ne nous a pas déjà sauté aux yeux dans la partie en noir et blanc – c’est que les personnages les plus importants du monde merveilleux ont des doubles dans la réalité. La Sorcière de l’Ouest est la vieille Gulch ; le Lion, l’Homme de fer blanc et l’Épouvantail sont respectivement les trois fermiers Zeke, Hickory et Hunk ; et le fameux Magicien d’Oz est à l’image du Professeur Marvel. Tout ceci participe de la morale du film révélée par le Magicien lorsque nos personnages principaux le rencontrent : tout avait toujours été là. Le Lion avait déjà du courage, l’Homme de fer déjà des émotions, et l’Épouvantail déjà de l’intelligence. Tout ce que Dorothy espérait trouver de l’autre côté de l’arc-en-ciel se trouvait déjà en réalité dans son cher Kansas.
Le Magicien d’Oz – le personnage – n’est pas tant pour Dorothy un moyen d’échapper littéralement à la réalité que le catalyseur qui lui permet de la regarder d’un œil nouveau. Tout a toujours été là, elle ne le voyait simplement pas. Par analogie, Le Magicien d’Oz – le film, cette fois – jouait pour le public américain de la fin des années 1930 le rôle d’une parenthèse insouciante et enchantée, loin des troubles du monde, à moins d’une semaine du début de ce qui allait être la Seconde Guerre Mondiale. Le film est vecteur d’espérance, une incitation à voir le bon côté des choses et à toujours croire en l’espoir – sans aucun doute une des raisons qui poussèrent nombre de soldats américains envoyés en Europe à adopter « Over The Rainbow » comme un symbole de leurs chers États-Unis là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique.
On peut pousser encore plus loin la réflexion d’ailleurs ; lorsque la fin du film nous dévoile que le personnage éponyme n’est en réalité pas vraiment un être doué de magie, mais un simple machiniste qui fait croire à des rêves, il s’apparente finalement au cinéaste lui-même, qui, maniant ses machines à sons et à images, n’a parfois rien à envier à un magicien. Georges Méliès n’alliait-il pas les deux, après tout ?
Le long-métrage a eu un tournage plus que chaotique. Cinq réalisateurs se sont relayés, entraînant de vaste différences de style entre plusieurs séquences, même si seul Victor Fleming est crédité au générique ; Margaret Hamilton a été brûlée aux deuxième et troisième degrés au visage et aux mains par un effet pyrotechnique mal synchronisé ; Judy Garland a été vastement malmenée par la production, étant notamment forcée de perdre du poids pour le film et de porter un corset alors qu’elle n’avait que 16 ans ; des journées de tournage de 15 heures ; des heures de maquillage – probablement pas très bon pour la santé à l’époque, d’ailleurs – pour la plupart des acteurs et actrices… Et malgré tout ça, malgré tout ça ! Il en est ressorti une des œuvres phares du 7ème Art, une histoire féérique, joyeuse et colorée, un conte de fée concurrencé uniquement à l’époque par le Blanche-Neige de Disney. Elle est peut-être là, la véritable magie du Magicien d’Oz…
Moi, il ne me reste qu’une seule question. Mais où donc mène la route de briques rouges ?
LE MOT DE LA FIN
De l’autre côté de l’arc-en-ciel, il y a un film comme aucun autre, où les couleurs éclatent au grand jour et où la féérie règne. Le Magicien d’Oz est une parenthèse magique dans la vie de ses personnages autant que dans la nôtre et que dans celle des spectateurs qui le découvrirent en 1939, qui ne nous éloigne pas tant de la réalité qu’il ne nous fait retrouver sa beauté.
Pour voter pour le prochain Pub consacré aux films de monstres géants, c’est juste ici : Le Pub – Juin 2019
Note : 7,5 / 10
« DOROTHY – There’s no place like home. »
— Arthur