Marseille, panorama des quartiers nord photo Jeanne Menjoulet, 2015
" Aujourd'hui j'étais invité dans un collège de Marseille, pour parler de mes romans avec des élèves de troisième et de quatrième. Âge difficile, dans un établissement encore plus difficile, au cœur d'un quartier dit très sensible...
Sensible, quel mot élégant pour qualifier quelque chose qui fait de plus en plus peur ! Dans ces quartiers j'ai grandi, joué au ballon, caressé les premiers seins de ma vie. Je m'y suis battu chaque soir comme un chiffonnier, tous les minots se battaient pour une bille; vingt centimes, un caramel, et les blousons noirs se donnaient rendez-vous par centaines sur les terrains vagues pour s'estropier à coups de chaînes de vélo.
Combien de fois suis-je rentré à la maison les arcades sourcilières et le nez éclatés ? Sensibles... Les quartiers pauvres l'ont toujours été et les pauvres ont toujours fait peur. Nous buvions deux pastis, ils prennent de la cocaïne. Nous avions des chaînes de vélo, ils ont de kalachnikovs La différence est nette et le rêve des adolescents n'est souvent pas plus grand aujourd'hui qu'un billet de cinquante euros. J'admirais le Che, ils adulent Scarface. Qui leur a fait croire que la justice c'était moins bien que des robinets en or ? La journée s'annonçait rude...
Il y avait devant moi beaucoup d'adolescents de couleur et ces primo-arrivants qui viennent de Tchétchénie, de Roumanie ou de quelque lointain territoire d'Afrique.
Je me suis adressé à eux avec les mots simples que je connais le mieux et qui me servent aussi pour écrire des romans.
Je ne leur ai parlé que d'eux. Je leur ai parlé de leurs désirs, de leurs gros boutons rouges, des hasards de la vie, de toutes les rencontres merveilleuses qui les attendaient, des passions plus cruelles. Je leur ai parlé de ma mère, de la tendresse et de la peur de mourir. Je leur ai raconté les voyages que j'ai faits à vingt ans, le ventre vide, sur toutes les routes d'Espagne, de Grèce et de Turquie. Je leur ai parlé de mes rêves. Je leur ai dit que rien n'était plus poétique que le vie, que rien n'était plus vivant que les mots et les livres...
Nous avons passé ensemble une journée de lumière... On peut parler à des jeunes qui arrivent de partout et dont le corps est soulevé par des hordes de désirs et de peurs indécises. Même au bord d'une voie rapide, avec très peu de mots. Des mots qui parlent de la beauté qui les attend au coin d'un immeuble ou d'une rue, dans toutes les villes qu'ils devront traverser.
Nous avons parlé de football, des mers et des montagnes qu'ils ont franchies, de cette ville de Marseille où j'ai fait à leur âge les quatre cents coups. Ils ont vu qu'il n'y avait devant eux ni un écrivain mort ni unj tas de poussière, mais un homme avec du sang, des rêves et un stylo..."