Lors de sa conférence de presse du 25 avril dernier, qui fut un échec patent tant sur la forme que sur le fond, le président de la République a prononcé cette affirmation sentencieuse : « La France travaille en moyenne beaucoup moins que ses voisins : on commence plus tard, on part plus tôt et on travaille moins dans l’année ». Dans mon billet d'analyse des annonces faites à ce moment, j'avais promis de revenir sur cette question du temps de travail en France, d'où cet article !
Le nombre annuel d'heures travaillées
L'OCDE fournit des statistiques sur le nombre moyen d'heures annuelles travaillées, c'est-à-dire le nombre total d'heures effectivement travaillées divisé par le nombre moyen de personnes ayant un emploi. Pour éviter toute confusion, précisons que ces chiffres prennent en compte les heures de travail ordinaires des travailleurs à plein temps, à temps partiel et saisonniers, les heures supplémentaires rémunérées ou non, et les heures de travail consacrées à des emplois complémentaires. On obtient alors le graphique ci-dessous :
[ Source : OCDE ]
Dans la "pensée trop complexe" d'Emmanuel Macron, comparer la France à "ses voisins" laisse fallacieusement penser qu'il s'agit de l'Allemagne, du Danemark ou des Pays-Bas, autant de références qu'il aime généralement à citer pour justifier sa politique néolibérale. Pourtant, le nombre d’heures par travailleur s’élève à 1 526 par an en France, soit 12 % de plus que nos voisins allemands (1 356), 8 % que les Danois (1 408), 6 % de plus que les Néerlandais (1 433)... Caramba, c'est raté !
Certes, il aurait pu affirmer que les travailleurs français ont un volume annuel très inférieur à l'Italie (1 723) ou à la Hongrie (1 740). Mais tant qu'à faire, pourquoi ne pas comparer la France à la Turquie (1 832), à la Corée (2 024) ou au Mexique (2 258) ? Le lecteur a bien entendu compris que le plus important n'est pas le nombre d'heures travaillées, mais ce qui est produit durant ce temps de travail. Or, la productivité des travailleurs français est parmi les plus élevées au monde :
Et si pour finir cette partie, je vous citais la mise en garde de l'OCDE quant à l'interprétation de ses chiffres : "ces données visent à effectuer des comparaisons de tendances dans le temps ; à cause de la disparité des sources et des méthodes de calcul, elles ne permettent pas de comparer les volumes moyens d'heures travaillées d'une année donnée". Zut, caramba de integro !
La durée hebdomadaire de travail
Malgré les obstacles statistiques et méthodologiques à une comparaison du temps de travail, la DARES a cherché à étudier l'évolution de la durée habituelle hebdomadaire moyenne de travail en 2016. Et le moins que l'on puisse dire est que la France n'a pas à rougir face à ses voisins :
[ Source : DARES ]
Mais il est fort probable qu'Emmanuel Macron avait en tête cette carte, lorsqu'il parlait de travailler plus longtemps :
Mais est-ce un mal que de passer un peu moins de temps de sa vie au travail et de profiter ensuite d'une retraite plus longue, ce qui résulte du fait que les Français font en moyenne des études plus longues et partent plus tôt en retraite ? Certains affirment que travailler plus longtemps n'est que la conséquence naturelle d'une augmentation de la durée de vie. Outre que ces clercs parleurs sont en général les mêmes qui n'ont pas à se soucier de leur retraite, ce sophisme néglige juste que pour la retraite, le seul indicateur pertinent est le temps qui y est passé en bonne santé... Et c'est là que se cachent les inégalités les plus criantes !
En tout état de cause, on ne voit pas très bien ce que viennent faire les 35h dans cette affaire, car la durée légale de travail n'a rien à voir avec la durée effective de travail. Les vrais problèmes de la France, comme nous allons le voir, sont plutôt le chômage de masse et un faible taux d'emploi.
Le taux d'emploi faible en France
Dans un sens très large, le taux d'emploi est la proportion de personnes disposant d'un emploi parmi celles en âge de travailler (15 à 64 ans). S'il est élevé, cela signifie donc qu'une économie est capable d'utiliser ses ressources en main-d'œuvre, ce qui à l'instar des gains de productivité est une excellente chose pour la croissance potentielle. Or, sur ce plan, la France fait moins bien que ses voisins proches :
[ Source : DARES ]
Il en est de même au niveau de l'OCDE :
[ Source : OCDE ]
Le chômage très élevé en France
La décrue du chômage est très lente en France, probablement parce que sa part structurelle est très élevée :
[ Source : INSEE ]
Et par rapport à la situation qui prévaut dans les autres pays européens, la France fait hélas plutôt pâle figure :
[ Source : Eurostat ]
S'il est certain que la baisse du taux de chômage et la hausse du taux d'emploi nécessitent des changements dans les structures mêmes de l'économie, il ne faudrait pas en déduire que le modèle macronien de flexisécurité - plus flexible que sécuritaire - soit la bonne réponse. En effet, il conduit à faire travailler beaucoup de monde, donnant l'impression d'une prospérité, mais à des conditions dégradées souvent en dehors des protections offertes par le salariat. D'où une hausse de la pauvreté ou de la précarité (ou non exclusif) dans de nombreux pays qui ont cédé aux sirènes de la flexibilité, fléaux que les gouvernements préfèrent du reste considérer comme passagers avant de s'y habituer.
En définitive, augmenter le temps de travail de ceux qui ont un emploi est un contresens face à une situation de chômage endémique. Il est de loin préférable d'augmenter le taux d'emploi en créant des emplois stables et rémunérateurs. À moins que l'objectif à peine voilée du président de la République ne soit de baisser les salaires, plus généralement le coût du travail, en faisant travailler les gens plus longtemps sans réelle compensation salariale et dans des conditions ultra-flexibles donc sans protections contre les risques de la vie (professionnelle)... Un vrai programme néolibéral avec tout ce que cela implique de casse sociale !
P.S. : l'image de ce billet provient de cet article de L'Express.