{Alerte : cet article contient plus de spoilers qu’il n’y a de super-héros réunis dans le film}
Résumé : Thanos ayant anéanti la moitié de l’univers, les Avengers restants resserrent les rangs dans ce vingt-deuxième film des Studios Marvel, grande conclusion d’un des chapitres de l’univers cinématographique Marvel.
Comme son nom l’indique, Avengers : Endgame clôt le long premier cycle (2008 – 2019) du Marvel Cinematic Universe. La nouvelle génération de super-héros et super-héroïnes prend la place de l’ancienne. L’occasion de mesurer les progrès – et les limites – en matière de diversité des représentations sociales depuis Iron-Man.
Progrès et limites des représentations sociales dans le MCU
Souvenons-nous des premières œuvres du MCU : Iron-Man, L’Incroyable Hulk, Captain America : First Avenger, Thor… Toutes racontaient, chacune à leur manière, l’appropriation du monde par des hommes blancs hétérosexuels (et pour deux d’entre eux, milliardaire ou prince). Et lorsque Black Widow, première super-héroïne à débarquer dans le MCU, fait son apparition dans Iron-Man 2, c’est sous l’apparence d’une auxiliaire hyper-sexualisée de Tony Stark. Bref, rien de nouveau sous le soleil du patriarcat, sinon l’atmosphère de franche rigolade et de second degré avec laquelle le jeune studio se démarquait de la très sombre franchise The Dark Knight et de « l’héroïsme intranquille » (Hélène Valmary) qui caractérise la première partie des années 2000. Les choses ont progressivement changé. À mesure que Black Widow gagnait en épaisseur psychologique, d’autres super-héroïnes rejoignaient l’aventure : Red Scarlett (Avengers : L’Ère d’Ultron), Brunehilde (Thor : Ragnarok), Okoye, Shuri et Nakia (Black Panther)… sans cependant se débarrasser du statut d’adjuvantes des super-héros. La vraie révolution eut lieu à la marge du MCU : dans le laboratoire que sont les séries Marvel. L’excellente Jessica Jonesmettait en effet en avant une super-héroïne aussi forte, brisée et sombre que peut l’être un homme.Et, sans que nous nous en en étions rendus compte, voilà qu’un bataillon féminin, composé de tous les personnages susmentionnés plus Captain Marvel, mène l’ultime charge contre Thanos. Un beau moment d’empouvoirement et d’union des femmes. À ce bataillon, il manque cependant un être cher : Black Widow, sacrifiée d’elle-même sur l’autel de la Pierre de l’Âme. Avec elle disparaissait le premier type de rôle attribué aux femmes du MCU : la combattante sexy, offerte au male gaze. Notons cependant que malgré le beau plan large réunissant toutes les super-héroïnes de la franchise, c’est à un homme blanc, Tony Stark, que revient l’honneur de vaincre Thanos et de restaurer l’ordre dans l’univers. Il y a là matière à progresser.L’évolution est semblable pour les personnages noirs. James Rhodes/War Machine (Iron-Man 2) puis Sam Wilson/Faucon (Captain America : Le Soldat de l’Hiver) servirent d’abord en tant qu’auxiliaires des chevaliers blancs. Là encore, le gros bouleversement survint des séries : Luke Cageinterrogeait toutes les facettes de la condition afro-américaine contemporaine et des moyens de combattre l’ordre racial. Black Panther s’appropria les problématiques portées par la série et fit d’une Afrique utopique le lieu d’une réinvention morale et technologique de l’humanité. Avengers : Infinity War en fait son glorieux tombeau. La fin d’Avengers : Endgame entérine la montée en puissance des Noir·e·s : Steve Rogers remet son bouclier et le titre de Captain America à Sam Wilson et Thor, sex-symbol déchu, son rang de roi d’Asgard à Brunehilde. Toutefois, les limites sont les mêmes que pour l’empouvoirement féminin : ce sont les héros blancs qui, dans leur immense générosité, transfèrent leurs pouvoirs à leurs disciples. Dans une pareille situation, difficile d’imaginer les femmes et les Noir·e·s abolirent l’ordre social actuel. Dernière arrivée dans l’univers Marvel : les classes populaires. Pour autant, on ne peut pas dire qu’elles ont bénéficié du même traitement que les deux catégories d’analyse précédemment évoquées, tant elles se réduisent à un seul personnage : Spiderman, surnommé « Queens » [pour « Queensland », un quartier populaire de New York] par son homologue Steve Rogers (dont la jeunesse à Brooklyn a rapidement disparu après sa transformation en super-soldat). De ce point de vue, le MCU garde un regard complaisant envers les classes populaires, transformant Peter Parker en inoffensif « friendly neighborhood Spiderman » (Spiderman : Homecoming) par qui s’exprime un mode de vie folklorique et non une contestation de l’ordre social. Même si la passation de pouvoir entre Tony Stark, milliardaire sur le point de mourir, et Peter Parker, son disciple et quasi-pupille, est très touchante, elle ne remet pas en cause la division inégalitaire de la société, car elle individualise à outrance les problèmes que rencontrent les classes populaires.
Faut-il rêver un autre univers super-héroïque ?
En définitive, que peut-on espérer du second cycle du MCU, né des cendres du premier ? Indéniablement, une représentation plus diversifiée de l’humanité. Cependant, colorer, féminiser ou populariser le super-héroïsme relève davantage d’un coup de peinture à la façade qu’à un rééquilibrage profond de l’exercice du pouvoir. Dans chaque épisode de la saga Avengers et particulièrement dans le dernier, on observe que, paradoxalement, plus sont nombreux les personnages issus des minorités, plus ils se fondent dans la masse avec leurs revendications et leurs visions du monde. Un film choral comme Avengers : Endgame uniformise les discours par généralisation à l’échelle planétaire, où se dissipe toute trace d’autodétermination communautaire.Bien que le film soit très bon et très efficace, j’aurais finalement préféré qu’il prenne une autre direction. Celle vers laquelle il lorgnait dans sa première partie. Imaginer un monde où Thanos a gagné et où les super-héros ne pouvaient rien faire d’exceptionnel, sinon de se reconstruire (Captain America, Iron-Man) ou au contraire de se noyer dans leur chagrin (Black Widow, Hawkeye, Thor). Un vrai film post-apo, où il aurait fallu se poser la question cruciale : quel monde voulons-nous reconstruire ? Au lieu de cela, avec toute l’efficacité qui caractérise la machine hollywoodienne (ou comme Macron annonçant la reconstruction de Notre-Dame en cinq ans), Avengers : Endgame reconstruit à l’identique.
Avengers : Endgame, Anthony et Joe Russo, 2019, 3h01
Maxime
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