savoir vivre

Publié le 18 mai 2019 par Modotcom


hier matin sur un quai peu achalandé
à l'approche du wagon de métro
j'ai encore résisté à l'appel de la rame
je me suis dit
non je ne mourrai pas aujourd'hui
j'ai envie de passer le week-end avec mon chum
et puis je veux voir le nouveau resto
de marcus samuelsson
en entrant dans le wagon
je me suis dit qu'il fallait aussi
que je réussisse mes examens de cpa
je n'ai même pas pensé au titre
que je n'aurai qu'une fois les stages terminés
et je n'étais même pas rendue à penser
qu'une des conditions préalables à son obtention
était d'être en vie
je constate donc encore une fois
que ma raison d'être ne tient qu'à de futiles amusements
qu'à quelques projets occupationnels
je me sens comme on doit se sentir dans candy crush
j'en parle sans savoir
mais dans le wagon de métro
je scène des fois par-dessus les épaules
et dans candy crush ça semble tourbillonner rapidement
c'est plein de couleurs et ça goûte sucré
je sens que mon univers révolutionne
autour du prochain sac de bonbons
de la prochaine récompense
wow
ma vie vaut vraiment la peine d'être vécue
comme dirait dr serge marquis
savoir qu'il n'y a que des plaisirs immédiats
qui me tiennent en vie
n'est pas très rassurant
et c'est surtout décevant
quant au progrès de ma contribution sur terre
quand je pense à ces petits plaisirs
le prochain repas
le prochain dossier
les prochaines connaissances
le prochain road trip
le prochain restaurant
la prochaine exposition
la prochaine course
c'est comme si j'attendais mon fix
mon rush d'adrénaline
aussi éphémère soit-il
comme depuis quelques générations
mes aïeuls n'ont plus de prédateurs connus
je ne passe pas ma vie
à me défendre ou à survivre
je ne vis dans aucune précarité
et depuis plus de dix ans
les enfants étant partis
je ne vis que pour me réaliser
je ne prends soin que de moi
et ne me soucie que de ma réalisation personnelle
des fois je me plais à penser
que je fais des choses importantes
que je relève des défis
que je suis utile
mais vous rendez-vous compte
du privilège que j'ai
de ne penser qu'à mon bien-être
physique mental et intellectuel
je fais partie de ce first world
qui malgré l'abondance et les possibilités
doit occuper ses jours
à défaut de s'ennuyer
pour ne pas se suicider
parce que les enfants sont enfantés
parce la survie de l'espèce est assurée
parce que la job est faite
et je vous vois arriver
oui mais mo trouve-toi une cause noble
il y a tant de besoins sur cette terre
aide les pauvres les malades les analphabètes
va construire des écoles au costa rica
va faire du bénévolat à la mission old brewery
oui
mais non
je n'en ai pas envie
j'ai un peu honte de le dire mais c'est vrai
je préfère m'entraîner pour grimper le kilimandjaro
que d'aller faire du bénévolat
là où je serais utile et sûrement maladroite
plus égoïste que ça je meurs
j'ai perdu l'habitude de la grandeur
de la communauté
de l'envie de faire ensemble
si je m'implique un jour socialement
ce serait par vanité
et non par altruisme
je me sens sans cesse coupable
de ma position privilégiée
j'ai ce handicap
quand j'avais une paye
je me sentais coupable
si je pensais que je ne travaillais pas assez
quand je recevais un cadeau
je me sentais coupable
si je ne renchérissais pas
bref un beau malaise
un jour je le sentirai pour vrai
ce besoin d'aider
et faire plus grand que moi
et seulement à ce moment
je le ferai
il me faut garder ma candeur.