Vous êtes doctorant au sein de la chaire Construction 4.0. Pouvez-vous nous parler de votre thèse ?
Son nom exact est « Extraction et analyse des données en construction : vers le chantier connecté ». Il s’agit de définir, explorer et concevoir le chantier de demain. Aujourd’hui, les données disponibles sont peu disponibles, mais riches en perspectives pour l’entreprise. Ces données sont hétérogènes (documents papier, images, scans, communication orale) et donc compliquées à utiliser avec les outils numériques disponibles. Pour répondre à cet enjeu, je travaille avec le Data Lab de Bouygues Construction sur les problématiques de capture et d’analyse de la donnée. Concrètement, il s’agit d’un chantier pilote, celui du Nouveau Conservatoire (Paris XIVème). Le Data Lab y a co-construit, avec l‘équipe Travaux, un véritable terrain de jeu pour la data. Ce « bac à sable » comprend entre autres un dispositif de capture des données de grue (position du crochet, et charge en fonction du temps). A partir de ces données, je développe des algorithmes pour générer un plan d’avancement journalier automatique, l’équivalent du suivi de production dans une usine, mais pour le chantier.
Vous vous intéressez plus particulièrement à la grue, pourquoi ?
La grue est stratégique ! C’est l’élément central de la production du chantier. Les algorithmes que j’ai développés mettent en lumière tout le potentiel des données autour de la grue. Cela m’a conduit à focaliser mon travail de recherche sur cet élément en particulier.
Les méthodes modernes de construction ont évoluées de concert avec les machines capables de lever des charges de plus en plus lourdes. Question productivité, imaginez la quantité de travail et le temps de main d’œuvre nécessaire à couler un voile de béton sans grue. Vous imaginez ? Non, c’est devenu impossible. Il suffit pour la grue de quelques coups de grue pour installer banches et ferraillages ainsi que couler le béton.
Enfin, la grue n’est pas efficace sans un bon grutier. Celui-ci peut faire une grosse différence de productivité, si on lui donne la bonne information au bon moment. C’est sur ce point que je travaille actuellement.
Démonstration du prototype de grue connectée et pilotée à distance
Quelles sont les ambitions du projet, à court, moyen, long terme ? Et les prochaines étapes ?
Nous avons aujourd’hui un prototype de grue connectée, fonctionnel à l’échelle laboratoire, réalisée à l’Ecole Centrale de Lille. Je serai présent sur le stand Bouygues (D22) au salon VivaTech, le 18 mai, pour faire une démonstration de pilotage à distance de ce prototype. Cette preuve de concept doit servir de base pour réfléchir à la grue de demain et à son usage. A court terme, il est logique de penser au passage à l’échelle réelle. Cela demande bien entendu des améliorations, tant sur le point de vue technique que sur la sécurité et le respect des normes. Un projet R&D de Bouygues Construction est déjà sur les rails pour fin 2019, piloté par Yohann Valable.
A moyen terme, il s’agit pour la Chaire Construction 4.0 d’accompagner l’entreprise à cette évolution du métier de grutier…
…Mais aussi de tous les métiers des compagnons, qui doivent être inclus dans les réflexions autour de la digitalisation de la construction. Il faut également maximiser le retour d’expérience sur l’utilisation des données du chantier, pour éviter les désillusions. Et à long terme, il s’agit de former les collaborateurs d’aujourd’hui aux usages de demain.
Quant aux prochaines étapes… L’amélioration continue est l’un des credo de la Chaire Construction 4.0. Perfectionner le logiciel et le prototype est un fil rouge, que je suivrai jusqu’à la fin de ma thèse et peut-être ensuite. Le prototype de grue connectée est une base robuste pour réaliser des projets de développement avec des étudiants de Centrale Lille ou d’autres horizons. C’est aussi une source de collaboration potentielle avec des acteurs venus du monde des start-ups, qui commencent à développer des outils pertinents pour les grues. Il reste beaucoup de chemin à parcourir pour avoir un chantier véritablement connecté, mais les étapes réalisées dans mon travail de recherche sont très encourageantes.
Enfin, je participerai fin mai à une conférence scientifique internationale au Canada sur la construction modulaire et hors site (MOC). Ce sera l’occasion de présenter le projet et d’échanger avec d’autres chercheurs ou entrepreneurs intéressés. Je vais également capitaliser sur ces deux projets (« Grue connectée » et « Plan d’Avancement Journalier Automatique »), en rédigeant des articles scientifiques pour des journaux internationaux. Quant aux prochaines étapes de ma thèse de doctorat, elles seront discutées lors d’un comité de pilotage à venir.
Relire notre article sur le lancement de la Chaire Construction 4.0