Le monde se presse.
La liste des personnages est aussi longue que le livre. Chacun apparaît dans un roman de quelques lignes. Ne vous y fiez pas.
Ce ne sont pas des histoires, pas des poèmes, pas des en-prose, pas vers ciselés, pas des messages lancés et pas des jeux légers.
C’est parfait. Il n’en faut pas plus.
Et tout ça à la fois.
Mystère des évidences, platitude de l’insensé, roche dressée du quotidien. Saute-mouton.
Poser l’œil et la voix, ci et là, avec grâce et grain.
Le vrai, le faux. Laissez-moi rire.
L’air ahuri.
C’est très fort. Presque rien. Ah, comment fait-il ?
Abstraire, s’abstraire, s’incarner.
La gomme, le scalpel, l’aquarelle, sur quel pied danser ? Effacer, dévoiler. Dessiner un espace un peu vide, une place de Chirico ? Avec Billie Holiday qui chante sur la ligne de fuite ?
C’est désinvolte, ça swingue. Fléchette en plein cœur.
Allusions, décousu. Petites briques de prose qui s’élèvent et forment des gratte-ciel. Chacun sait que les gratte-ciel n’ont rien d’invariable. Ils changent et se métamorphosent.
Maximes de guingois, aphorismes absurdes, invisibles choses vues, humour cruel. Listes, rêveries, grappillage, profondeurs soupçonnées, historiettes. Paravents, tours, faux semblants, prestidigitation. Peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques.
Parfois, on rencontre un ami à chaque ligne. Je suis un imposteur : je ne t’ai pas démasqué.
Des bonds légers et le cou tordu.
Donner une légère, très légère torsion.
Une pirouette.
Grimace sous la douleur.
L’air de ne pas y toucher. Aussi ariettes oubliées, sourire amer, correcteur égaré, entomologiste sans loupe, autobiographe trompeur, chroniqueur d’ellipses.
Des clichés ? Chers clichés, ramassés à deux mains, délicatement époussetés, posés sur une étagère. Ou bien les photos d’Eugène Atget : mannequins de cire, enseignes, petits métiers, regards perdus.
Transmute le familier – détails, anecdotes – en… en quoi au juste ? Poudre, reflets, graines de pissenlits, asphalte fondu, nicotine.
Et je pense à ce vieux romancier, sourire ironique et veste de jeans, qui rappelait : « Ce détail de mon livre, tous l’ont cru inventé mais affirmaient que tel autre ne pouvait être que du vécu. Alors que c’était l’inverse, toujours l’inverse. Et puis qu’importe ! » Fictif ou réel, l’écrivain aux yeux mi-clos ?
« Je me suis découvert un goût certain pour le mensonge », confie Guillaume Decourt, qui met cartes sur table. Les mains dans les poches. Élégamment.
Dan Ornik
Guillaume Decourt, Un gratte-ciel, des gratte-ciel, Lanskine, 2019, 14 €