greniers à touristes et cités de brume

Par Jmlire

René Frégni, 2011

" Il y a des jours où je tourne en rond dans mon appartement, sans parvenir à entreprendre quoi que ce soit. Je prends un livre, le repose aussitôt, je lave mon bol, commence à enlever la poussière avec un chiffon dans la chambre vide de ma fille. Je jette un coup d'œil sur la place puis du côté des collines qui ont brûlé il y a trois ans et qui reverdissent depuis le printemps.

J'ai observé un moment deux ouvriers qui posaient un Vélux sur une toiture. Depuis quelques années toutes les toitures sont criblées de Vélux, c'est nouveau. Nos toits ressemblent à ces champs que les taupes font éclater un peu partout. Les gens déferlent de toute l'Europe bleue vers notre petit arc de cercle jaune, ce sont les couleurs de la météo.

Comme il n'y a plus rien à vendre ici, on leur refile les greniers. Jusque là on montait étendre le linge dans le grenier, on y entreposait les vieux meubles, les chaises cassées, des armoires bourrées de vêtements démodés. Il y a plus longtemps encore on y élevait des poules, mais personne n'a jamais habité dans les greniers, on y étouffe l'été, on y suffoque sous des tuiles qui sont le soir de vraies plaques de four.

Les gens des grandes villes du Nord veulent du soleil, à n'importe quel prix, et trois ans plus tard ils revendent leur grenier aménagé. Ils n'ont pas fermé l'œil de l'été et repartent hagards vers leurs cités de brume..."

René Frégni : extrait de "La fiancée des corbeaux" Gallimard 2011 https://www.lemonde.fr/livres/article/2011/02/17/la-fiancee-des-corbeaux-de-rene-fregni_1481324_3260.html