La Liberté est fragile 1944-2019. 75 ans. Il y a 75 ans cette année, des milliers de jeunes hommes embarquaient à bord de bateaux et grimpaient dans des avions à destination de la France. Par cette nuit du 5 au 6 juin 1944, ils ont traversé la Manche pour venir libérer ce pays où la plupart n'avait jamais mis les pieds, et dont certains n'avaient même jamais entendu parler. Quelles leçons gardons-nous de cette époque ? Comment pouvons-nous à la fois leur rendre hommage et œuvrer chaque jour pour que cela ne
recommence pas ? Les Manchois, les Normands, les Français comme les Alliés sont année après année très nombreux à se retrouver chaque 6 juin sur une des cinq plages du Débarquement pour exprimer leurs remerciements envers ceux qui ont versé leur
sang pour la liberté. Nos mots, aussi chaleureux soient-ils, ne parviendront jamais à traduire notre gratitude envers ces jeunes gens. Nous avons parfois eu la chance de le leur témoigner en direct. Chaque D-Day est l'occasion de remercier ces vétérans. Chez nous, dans la Manche,nous savons ce que nous leur devons, nous ne pouvons pas oublier leur sacrifice. La libération de la Normandie, ce furent 100 jours de combats, près de 160 000 hommes débarqués sur nos côtes dont plus de 23 000 à Utah Beach, dans la Manche. Cette année, le 75e anniversaire du Débarquement sera un événement particulier. Nous voulons faire de ce 6 juin 2019 un temps de rencontres, de partage, de transmission, en lien avec les projets de notre territoire. Il prend racine dans les valeurs de liberté, de paix, de respect, de tolérance, de démocratie locale qui nous animent. Des valeurs d'autant plus chères au cœur des Manchoises et des Manchois qu'ils en ont été privés pendant les sombres années de l'Occupation. La Manche a été un des premiers départements libérés de France. C'est ici, chez
nous, que les premiers alliés ont foulé le sol de France. C'est ici, dans nos champs, dans notre bocage que la liberté a tracé ses premiers mots avec une plume trempée dans le sang des Manchois et de leurs libérateurs. Ce fait historique, la Manche ne le porte pas comme un étendard, il l'oblige. Depuis, chaque année, nous nous souvenons de celles et ceux qui ont donné leurs vies pour nous. Les combats de la Libération ont fait 3300 morts civils, plus de 110 communes ont été sinistrées et 50 500 maisons détruites, sans compter les ateliers, usines, fermes, écoles, églises et bâtiments publics. "Freedom is not free" a déclaré Robert
Murphy, éclaireur de la 82e Airborne. Non, la "Liberté n'est pas gratuite". Nous en avons payé le prix fort et aujourd'hui les plaies se sont cicatrisées. C'est le terreau de ce que nous sommes aujourd'hui, de l'Europe que nous avons construite et que nous voulons continuer à développer demain, incarnant les valeurs de fraternité entre les nations et les peuples auxquelles nous sommes profondément attachés. L'Europe puise ses racines dans ce deuxième conflit mondial. La réflexion et l'action des Français Robert Schuman et Jean Monnet, de l'Allemand Konrad Adenauer et de l'Italien Alcide de Gasperi ont été essentielles. Elles furent d'autant plus fortes qu'ils étaient ressortissants de trois des principaux belligérants. Parce qu'ils ont su se retrouver et construire, le "Plus jamais ça" de la Grande Guerre est devenue réalité. Ils incarnaient d'ailleurs, très longtemps avant son adoption officielle, la devise de l'Union Européenne : "Unie dans la diversité".
L'Europe est-elle la garante de cette paix que nous connaissons depuis aujourd'hui 74 ans ? Les positions sont divergentes et souvent tranchées. Les démocraties installées dans les différents pays européens sont un élément significatif de cette stabilité. Pour Alexis de Tocqueville, homme politique et philosophe de la Manche, la démocratie est liée à l'exercice des libertés individuelles : liberté de culte, liberté de l'enseignement, liberté de la presse.
Il poursuit en rappelant que ces libertés, quand elles sont justement exercées provoquent le développement du commerce entre les peuples, lui-même garantie de la paix entre les nations. C'est à quelques éléments près ce que déclarait Robert Schuman dans sa déclaration du 9 mai 1950. Nos libertés sont-elles durablement acquises ? Notre démocratie est-elle confortablement installée ? Il nous faut tout mettre en œuvre chaque jour pour que cela soit confirmé.
En dépit des difficultés qu'elle peut rencontrer - volonté de départ de la GrandeBretagne, arrivée au pouvoir de leaders populistes dans plusieurs pays ressortissants de l'UE -, l'Europe reste une idée et une réalité chère au cœur des Français. Un récent sondage pour Les Echos et l'Institut Montaigne démontre que 62% des
Français trouvent au moins autant si ce n'est plus d'avantage que d'inconvénients dans l'Union Européenne. L'objet des cérémonies du 75e anniversaire du Débarquement est notamment de faire
comprendre aux nouvelles générations que la liberté est fragile et qu'elle ne nous est pas donnée, mais transmise en héritage et que nous en connaissons le prix : celui du sacrifice des milliers de nos libérateurs de 1944. Nous n'avons pas le droit de l'oublier. Nous devons l'avoir sans cesse à l'esprit. A plus forte raison à l'heure où les valeurs d'humanisme, de démocratie et de Paix qu'ils nous ont transmises sont bousculées au sein d'une Europe qui pourrait se
laisser tenter par des idées faciles et de courte vue !
Marc Lefèvre Président du conseil départemental de la Manche