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L’expulsion autorisée d’un terroriste algérien: une décision "politique" de la CEDH ?

Publié le 14 mai 2019 par Podcastjournal @Podcast_Journal
Absolument. La position de la CEDH n’a pas évolué depuis 1989 (date de l’affaire Soering c./ Royaume-Uni) : elle a toujours considéré que l’extradition ou l’expulsion vers un pays pratiquant des actes de torture ou des traitements inhumains ou dégradants étaient contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH).

Dans l’affaire "Soering", il s’agissait de l’extradition d’une personne vers les Etats Unis, pays pratiquant la peine de mort. La Cour européenne a alors considéré que cette décision constituait une violation de l’article 3 de la Convention en ce qu’elle exposait la personne objet de la mesure d’extradition au risque de subir la peine de mort.
Depuis cette décision, la jurisprudence de la Cour européenne est constante dans ce domaine : toute expulsion vers un pays où l’on risque de subir des actes de tortures ou des traitements inhumains ou dégradants est contraire à l’article 3 et entraîne la condamnation de l’Etat à l’origine de la décision d’expulsion. D’ailleurs, la CEDH statuait également en ce sens en matière de terrorisme, en affirmant que l’article 3 ne supportait aucune dérogation.

Pour ce qui est de l’Algérie, la CEDH avait jusqu’ici considéré que cet Etat était un pays à"haut risque" de pratiquer des actes de torture en réponse aux infractions terroristes. La cour l’avait d’abord déclaré lors d’une affaire de 2009. Elle avait alors condamné la France pour avoir expulsé vers l’Algérie, un Algérien qui avait une participation active au sein du réseau terroriste appelé la "filière tchétchène". La CEDH a maintenu la même décision face à des faits semblables dans une récente affaire du 1er février 2018 (M.a. c/France). L’arrêt du 29 avril 2019 est donc bien un revirement de jurisprudence.

À lire aussi : "La CEDH autorise la France à expulser un condamné pour terrorisme" La Cour s’est fondée sur certains constats d’ordre normatif et factuel. Dans sa décision, elle explique qu’il y a eu, depuis 2015, des avancées sur le plan institutionnel en Algérie dans un sens favorable au renforcement des droits de l’homme. Elle rappelle la dissolution du Départements des renseignements et de la sécurité (DRS) la même année.

Elle constate enfin que certains organismes comme la Direction Générale de la Sécurité Nationale (DGSN) organisent désormais régulièrement des formations sur les droits de l’homme pour les officiers de police.
En outre, la CEDH renvoie à la révision de la Constitution algérienne qui a renforcé la garantie d’un certain nombre de droits et libertés fondamentales.

Pour ce qui est des arguments factuels, la CEDH explique que le requérant ne lui a apporté aucune preuve d’actes de torture ou de traitements inhumains récents en Algérie.
Non, ces arguments sont insuffisants à justifier un revirement aussi brutal. D’autant qu’il est connu que dans ce domaine, il peut y avoir dans certains pays, comme c’est le cas pour l’Algérie, une réelle différence entre les textes et la réalité des choses. Cela est d’autant plus vrai que l’affirmation de la CEDH sur le constat d’une évolution positive en matière de torture est en contradiction avec les derniers rapports du comité des Nations Unis en la matière qui évoquent des "informations inquiétantes" relatives à certaines pratiques à l’encontre des détenus.

Enfin, la CEDH avait elle-même affirmé dans l’arrêt du 1er février 2018 détenir des éléments suffisants permettant de présumer que des actes tortures et des traitements inhumains étaient bien pratiqués en Algérie, si bien que toute expulsion exposerait la personne concernée à "des risques réels et sérieux" de subir la torture. Alors est-il raisonnable de considérer, aujourd’hui, à peine un an après, que ce risque est devenu inexistant ?
Oui, le fondement de la décision est sans doute plus politique que juridique. La CEDH n’apporte pas la preuve que la situation a changé en Algérie. Elle accepte donc une expulsion pour une infraction avec le risque que le requérant subisse des traitements inhumains.

En outre, nous pouvons y voir l’émergence d’un refus de la CEDH de considérer que le terrorisme est une infraction comme les autres. Elle semble céder aux pressions politiques, et admettre une interprétation différente de l’article 3 en matière de terrorisme. C’est comme si elle justifiait l’expulsion vers un pays à risque, par la nécessité de garantir la sécurité face à des actes de terrorisme. C’est d’ailleurs ce que reprochaient précédemment les hommes politiques ainsi que l’opinion publique aux juges de Strasbourg, en l’accusant de mettre en péril notre sécurité en protégeant des personnes pourtant condamnées pour des actes de terrorisme.
Cet arrêt marque effectivement un changement majeur dans la mesure où désormais, les états pourront voir sortir de leur territoire un condamné pour terrorisme sans se heurter à une condamnation de la CEDH sous l’angle de l’article 3 de la Convention. C’est tout à fait juste. Le 19 avril 2018, la CEDH avait autorisé l’expulsion d’un imam. Mais la situation semble différente. Dans l’arrêt de 2019, nous avons une personne ayant fait l’objet d’une condamnation pénale, qui a exécuté sa peine en France, et dont la peine complémentaire consiste à une interdiction du territoire. La culpabilité de la personne est donc reconnue, son implication dans la commission d’actes de terrorisme est donc avérée, ce qui peut expliquer le risque auquel elle peut être exposée en Algérie, dans l’hypothèse où les autorités algériennes décident notamment de la poursuivre.

S’agissant de l’Imam de Marseille, il est expulsé en raison de certains propos qu’il a tenu et qui ont été considérés comme haineux et dangereux par la commission d’expulsion, et non pas par un juge pénal. Il n’a donc fait l’objet d’aucune condamnation pénale pour terrorisme. C’est la raison pour laquelle la CEDH motive sa décision par certaines garanties apportées par les pays concernés en évoquant "les informations fournies par les parties". La cour avait également relevé que le requérant n’avait pas apporté de preuve que l’Algérie était susceptible de pratiquer des actes de tortures ou des traitements inhumains pour ce qui était de l’infraction en cause.
Personne n’est réellement en mesure d’affirmer avec certitude que l’Algérie pratique ou ne pratique pas des actes de torture. C’est la raison pour laquelle on évoque souvent la question de "risque".

Lorsque le risque est élevé, et par respect des droits fondamentaux, la CEDH considère que par précaution il ne faut pas procéder à l’expulsion.

S’agissant de cet Imam, il est probable que la décision soit encore une fois motivée par des considérations politiques. Tout le monde ou presque peut être satisfait de cette décision : Du côté français, l’Etat français ne se voit pas obligé de maintenir sur son territoire une personne qui, selon lui, présente un danger pour l’ordre et la sécurité publique. Du côté de la CEDH et de la nécessité d’assurer la protection des droits reconnus par la Convention : il est possible d’imaginer que les autorités algériennes n’ont aucun intérêt à poursuivre, condamner et encore moins à torturer l’Imam en question.



Sources : Entretien avec Farah Safi, agrégée des facultés de Droit, Maître de conférence en droit privé à Paris II Panthéon Assas et Université d'Auvergne, spécialiste en droit pénal.
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