Critique de Tchekhov à la folie (La demande en mariage / L’ours), d’Anton Tchekhov, vu le 3 mai 2019 au Théâtre de Poche-Montparnasse
Avec Émeline Bayart, Jean-Paul Farré et Manuel Le Lièvre, dans une mise en scène de Jean-Louis Benoit
Tchekhov à la folie signe des retrouvailles. Retrouvailles avec le Poche-Montparnasse, tout d’abord, où je n’avais pas mis les pieds depuis plus d’un an et demi – malgré une programmation qui m’attire toujours – à cause d’une histoire d’invité politique qui m’avait quelque peu déconcertée. Retrouvailles avec Jean-Paul Farré, que je suis depuis des années et que j’ai toujours grand plaisir à voir sur scène. Mais également retrouvailles avec le théâtre, puisque suite à des circonstances indépendantes de ma volonté je me suis retrouvée alitée – et donc, fatalement, éloignée de ce cher art – depuis plus d’un mois maintenant. Quoi de mieux pour une convalescence que de l’oublier, le temps d’un spectacle ?
Deux courtes histoires sont donc présentées, n’ayant au premier abord rien à voir entre elles mais piquant malgré tout dans les habitudes de Tchekhov de présenter cette société russe de manière toujours un peu sarcastique. D’un côté, La demande en mariage met en scène un homme venu demander la main de sa voisine qui, avant même d’entendre sa demande, pinaillera sur leurs propriétés respectives. De l’autre, L’ours traite d’une veuve à qui l’on vient demander de rembourser les dettes de son mari défunt et qui ne peut régler immédiatement ce qu’elle doit.
Je parlais de retrouvailles tout à l’heure, et c’est toujours chouette. Retrouver un comédien, un théâtre, une ambiance que l’on a aimée et qui nous fait immédiatement sentir chez soi. Mais c’est d’autant mieux lorsque c’est mêlé de découvertes, comme ce fut le cas pour ce Tchekhov à la folie. La première découverte réside dans le texte : bien que j’aie vu passer ces pièces de nombreuses fois, dans des programmes de Festival OFF par exemple, je n’avais jamais eu l’occasion de les voir en vrai. Ce sont des petits moments de vie très bien ficelés, dont le trait est bien plus forcé que ce que je pouvais connaître de Tchekhov mais qui rend le texte objectivement drôle.
Ma deuxième découverte, c’est Émeline Bayart. Alors certes, c’est, comme ces pièces de Tchekhov, un nom dont j’entends parler depuis plusieurs années mais que je n’avais pas encore eu l’occasion d’associer à un jeu. Voilà qui est fait, et rudement bien fait ! Si ces pièces m’ont tant convaincue, c’est aussi certainement grâce au jeu de cette comédienne au visage hyperlaxe dont les moues n’en finissent plus de nous étonner et de provoquer le rire dans toute la salle. Ça aurait pu être parfois trop, c’est au contraire extrêmement bien dosé et l’on en redemande. J’aimerais aussi la voir dans différents registres car sa palette me semble tout à fait extensible. J’ai hâte !
Ses partenaires ne sont pas en reste. C’est un plaisir de les voir sauter d’un personnage à l’autre dans ces deux pièces : on avait rarement vu Jean-Paul Farré avoir l’occasion de déclarer sa flamme sur scène, c’est chose faite, et avec une sincérité méritant tous les éloges ! Il est un amoureux touchant et si délicat qu’il ajoute un véritable moment d’émotion à ce qui était jusque-là une franche rigolade. Manuel Le Lièvre réussit également avec brio cette transformation, proposant une belle palette de jeu allant de la quasi-épilepsie à une retenue presque religieuse. La mise en scène soutient le tout en imposant un rythme effréné et ce brin de folie promis dans le titre du spectacle. Que demander de plus ?
Il faudrait être fou pour rater ça !