Du 15 mai au 15 juin 2019 - Vernissage mercredi 15 mai 2019 à partir de 18 h 30
www.galeriejeanpaulbarres.comAssis au bord, que ce soit d'une falaise, d'une corniche, d'un belvédère, ou plus simplement d'une plage de sable, ou encore accoudé au bastingage d'un bateau en pleine mer, à fixer la ligne. Y rester de longues minutes, peutêtre des heures, en quête d'une introspection impossible, perdu dans une fascination toujours recommencée.
L'horizon est notre limite.
Nous contemplons soudain notre finitude et savons qu'au-delà de cette ligne, de nous donc, tout continue, s'amplifie, l'immensité se déploie, le chaos règne en maître, les champs magnétiques s'étalent et s'enroulent, les bruits de fond bourdonnent, le désordre prospère. Derrière l'horizon il y a l'infini, il y a tout, tout ce que nous ne savons pas, tout ce qui nous échappe et nous inquiète, tout ce que nous ne pouvons pas tenir entre nos mains, brasser, observer, tout ce que notre intelligence ne peut dominer et asservir.
Derrière, juste derrière, s'ouvrent les contrées de nos fantasmes, de nos peurs et de nos croyances.
Cette ligne ténue est elle-même incroyable. Comment peut-il exister un trait rectiligne entre ciel et terre, entre bleu et bleu, entre noir et noir ? C'est un leurre qu'il nous appartient de déjouer, et nous nous y employons avec cette énergie et cette folie qui parfois font notre noblesse. Mais ne nous illusionnons pas, tous les outils imaginés par les hommes - lunette, télescope, satellite,
Hubble et consort - ne font que déplacer le mystère de quelques milliers de kilomètres. La ligne demeure et nous nargue. Toujours il y aura l'horizon infranchissable car l'infini est une idée inhumaine, impossible à imaginer, qui heurte l'enfant et contrarie l'adulte.
La ligne d'horizon. Celle de l'océan, celle des champs de blé du Kansas, celle du désert des tartares, scrutée toute une vie par le lieutenant Giovanni Drogo au fort Bastiani, et cette autre, au large des Syrtes, par Aldo, l'aristocrate. Tous deux ont en commun la certitude d'un ailleurs dont ils sont exclus, et qui jamais ne se dévoilera. L'horizon fut pour eux une ligne d'impatience, puisse-t-il être pour nous qui sommes assis sur la bordure, une ligne de sagesse et de mélancolie. La ligne de notre acceptation : nous sommes un peu au monde, mais nous ne sommes pas le monde, nous ne l'embrassons pas, nous sommes juste momentanément posés quelque part. Il faut l'admettre, vieillir avec l'horizon infranchissable, accepter cette ligne aussi fragile que l'interstice de deux paupières qui se ferment et s'endorment.
Reste la contemplation. Quand les angoisses s'apaisent, quand la nécessité de conquérir faiblit, quand les années passent et que cette ligne qui nous a défié ou inquiété, pour certains tourmentés, des années durant, quand cette ligne s'est faite moins provocante pour n'être plus qu'une longue éraflure, souvenir du coup de lame de nos années de jeunesse, ou qu'un avertissement solennel : Au-delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable, votre titre d'appartenance au monde vivant est obsolète.
Il faut comprendre la fascination du photographe, l'homme obsédé, c'est du moins ainsi que je l'imagine, par l'obligation de saisir l'impossible, l'intangible, l'évanescence. Photographier l'horizon, c'est saisir une chose qui n'existe pas, et la fixer dans le grain du papier. Matérialiser le trait. Mais cela ne suffit pas, il faut poursuivre, il faut empiler, accumuler, la démarche artistique est là, dans cette traque, dans cette nécessité. Les oeuvres se mettent à démultiplier les horizons dans de grands formats nécessaires, sans jamais en venir à bout.
Et cette ligne, désormais brisée dans la série des tirages, semble soudain symboliser la fine cicatrice du désarroi du photographe. De notre désarroi, puisque nous sommes, avec lui, assis au bord de son oeuvre.
Alain MONNIER
Galerie Jean-Paul Barrès, 1 Place Saintes Scarbes 31000 Toulouse. Ouvert du mercredi au samedi de 14h à 19h et sur rendez-vous)