Quand le Musée d’Orsay veut présenter cette exposition à propos du « modèle noir, de Géricault à Matisse », une des premières questions qui se pose est celle du nom de ces modèles. Ce n’est pas la première fois que cette question apparaît dans l’histoire de la peinture. On a déjà pu lire des hypothèses ou des affirmations à propos de la Joconde peinte par Léonard de Vinci, par exemple, ou de celle qui posa pour L’origine du monde, tableau peint par Gustave Courbet. Mais, cette fois, la question se double d’un autre aspect : la visibilité du sujet. Voit-on en effet la servante noire d’Olympia, peinte par Manet ? Voit-on cet homme qui agite une chemise sur le Radeau de la Méduse pour faire signe au bateau qui semble venir à l’horizon ?
Manet choisit de montrer nue la femme blanche, prostituée dont le regard est tourné vers le spectateur, et habillée la femme noire qui la regarde lui apportant les fleurs que, peut-être, le spectateur vient d’apporter. Car dans ce tableau, la place du spectateur est bien nettement désignée. Avant même d’entrer dans l’exposition temporaire, dans le Musée, on voit le tableau vers lequel nous irons après quelques détours : nous y sommes attendus. Et, même à peine visible sur le fond du mur sombre, c’est la femme noire, la servante, qui nous donne accès à la scène et au lit d’Olympia. Or, si on connaît depuis longtemps le nom de Victorine Meurent, modèle ici d’Olympia, le prénom de Laure, « très belle négresse » selon les mots de Manet, ne semblait intéresser personne.
De même, c’est « le nègre Joseph » (c'est lui, sur l'affiche de l'exposition), acrobate venu à Paris, repéré par Géricault (quelques petites années seulement après la mort de Sarah Baartman à Paris), qui deviendra la figure de proue d’un radeau, image d’une société qui aura du mal à se reconnaître dans son naufrage. Joseph sera le modèle de plusieurs peintres et pendant plusieurs années. En attestent les documents où il signe pour avoir posé et percevoir son salaire.
Car il y a des documents, tenus par les peintres ou les ateliers, indiquant prénom (les Noirs ont-ils alors un nom, ou sont-ils plutôt désignés par une origine, comme « Maria l’Antillaise » photographiée par Nadar, par exemple ?), adresse et parfois salaire versé. Ces documents sont visibles dans l’exposition.
Le Musée d’Orsay a tenu à nommer les modèles. Et une oeuvre de Glenn Ligon donne à ces noms une visibilité incontestable titrée Des Parisiens noirs.