Plaintes
À l’été 2017, comme plusieurs autres membres du groupe Facebook « Syndrome d’Ehlers-Danlos Québec », j’ai fait une plainte au Régime d’assurance maladie du Québec (RAMQ), puis au Protecteur du citoyen, afin de dénoncer le manque de soutien et de soins adéquats auquel on fait face.
Suite à la plainte, la personne en charge du dossier, au Protecteur du citoyen, a tenté de nous trouver des pistes de solutions (en plus de promettre d’essayer de faire avancer le dossier en présentant la problématique lors des prochaines représentations). Mais on a bien vite vu qu’il s’agissait de suggestions provenant de quelqu’un de pas très informé… Un exemple : elle s’informait auprès de gens comme Gail Ouellette, directrice du Regroupement québécois des maladies orphelines (RQMO)… avec qui je suis déjà en contact et qui était celle qui nous a encouragé à porter plainte! C’était assez pathétique d’entendre la dame du Protecteur du citoyen, toute fière de m’annoncer des informations que je connaissais déjà depuis longtemps.
Ou encore, elle m’annonçait l’existence de cliniques ou de médecins… qui finalement ne peuvent ou ne veulent pas nous aider. Par exemple, elle m’a mentionné un physiatre, dont j’ai déjà parlé… qu’on m’avait aussi recommandé, mais quand j’ai été le voir, il m’avait reçu en me disant ne pas comprendre que « tout le monde » lui envoie des patients avec le syndrome d’Ehlers-Danlos, qu’il n’était pas mieux placé qu’un autre pour s’en occuper… et il ne m’a pas aidé. J’ai transmis l’information à la dame en lui disant qu’il risquait de ne pas être très heureux si elle lui référait encore plus de patients SED…
De la même façon, elle m’a dit qu’il y avait maintenant une clinique spécialisée pour les personnes atteintes du syndrome d’Ehlers-Danlos à Toronto, et qu’après discussion avec la RAMQ, il serait possible d’y aller (c’est hors province, donc ça prendrait une autorisation spéciale). Cependant, après vérification par le RQMO, on a appris que la clinique de Toronto ne faisait que le diagnostic et un plan de traitement initial (aucun suivi), et surtout, qu’étant débordée, ils n’acceptaient pas de patients hors-province.
Une chose que la dame était fière de m’annoncer et que je ne savais pas, cependant, c’était l’existence d’une clinique spécialisée SED, au centre de réadaptation Constance-Lethbridge. Elle n’avait pas de détails, mais ils acceptaient des nouveaux patients! Il fallait seulement une référence de mon médecin de famille. Génial!
Centre de réadaptation
J’en ai parlé à mon médecin (par courriel), qui était heureux de pouvoir m’aider et m’a rapidement envoyé la référence par la poste, que j’ai faxée fin août 2017.
Mais en fait, c’était plus complexe que ça : le centre de réadaptation a envoyé un long questionnaire à remplir à mon médecin!
Après quelques mois (début 2018 si je me souviens bien), j’ai reçu une lettre indiquant que j’étais admise au programme, mais que je n’aurais pas de rendez-vous avant l’automne 2018. Ah, ces chers délais…
L’enveloppe contenait aussi de la documentation et plusieurs questionnaires à remplir, ce qui devait être fait avant le début du programme. Les questionnaires visaient en général à établir mes limitations (est-ce que j’avais un peu, beaucoup, ou pas de difficulté à m’habiller, me laver, cuisiner, etc.), mes objectifs de réadaptation (voulais-je arriver à m’habiller sans aide? à marcher jusqu’au coin de la rue? etc.)
Réflexions sur le programme
Avec la documentation et les questionnaires, j’ai commencé à avoir une idée plus précise du programme : il s’agit vraiment de réadaptation, de prendre la personne atteinte de SED et d’essayer d’améliorer sa qualité de vie et sa gestion de la maladie, mais surtout, essayer d’améliorer sa condition physique. Idéalement, on parle de 6 mois de physiothérapie à coup de 3 rencontres par semaine (et des exercices quotidiens à la maison, bien sûr), des exercices de renforcement des articulations, de rééducation de certaines postures ou mouvements au besoin… dans le but d’espérer diminuer les blessures et la douleur, et de permettre d’être plus actif.
La documentation était aussi très claire : le programme devait être pris au sérieux! Beaucoup d’insistance sur le fait qu’on serait forcé de quitter le programme en cas d’absences répétées, qu’il fallait s’investir à fond et faire les exercices à la maison, etc.
Je dois dire que, si d’un côté j’étais enthousiaste à l’idée d’améliorer ma condition générale et que j’avais l’espoir d’arriver à avoir une certaine amélioration; d’un autre côté, j’étais déçue, parce que ce n’était pas du tout ce à quoi je m’attendais.
Oui, le programme est au centre de RÉADAPTATION Constance-Lethbridge, mais je ne croyais pas qu’il s’agissait d’un programme de RÉADAPTATION. Du moins, pas uniquement.
On m’a offert ce programme en réponse à la problématique « Nous n’avons pas de services, pas de suivi cohérent, pas de soins ». Passer 6 mois à faire de la physio de façon intensive ne règlera en rien le manque de coordination entre mes intervenants, le manque de vision d’ensemble de ma santé, le fait que je dois naviguer le système toute seule, etc.
Je ne mentirai pas, j’appréhendais aussi la perte de « ma vie » pendant 6 mois. Parce que ces 3 rendez-vous en physio par semaine, à un centre situé à environ une heure de transport de chez moi, signifie finalement trois demi-journées. On ajoute l’énergie consacrée à la physiothérapie quotidienne, et on réalise que c’est la journée au complet qui tombe à l’eau…
Et les autres rendez-vous médicaux qui ne vont pas magiquement cesser pendant la durée du programme (en moyenne deux par semaine).
Avec toute cette énergie passée là-dessus, je doutais d’arriver à travailler, à faire mon travail de sensibilisation, à voir des amis ou aider aux rares tâches ménagères que je peux encore accomplir… Ce qui ne m’empêchait pas de vouloir faire le programme, et j’espérais vraiment que ça puisse m’aider.
Je devais donc commencer le programme en septembre 2018.
Finalement, j’ai eu un premier rendez-vous à la mi-juillet. On m’a expliqué que le programme de réadaptation en physio commencerait en septembre, mais que je devais avoir fait les autres rencontres avant, à commencer par l’évaluation!
Évaluation
En juillet 2018, donc, j’avais mon évaluation.
Premièrement, un questionnaire à l’ordinateur. Évaluer ma douleur, mes symptômes, mon humeur, etc.
Ensuite, environ une heure avec une rhumatologue, pour confirmer mon diagnostic de syndrome d’Ehlers-Danlos hypermobile. La rhumato était heureusement bien au fait des nouveaux critères de New York (2017) et c’est justement selon ces derniers que le programme sélectionne ses participants. Si on ne répond pas aux critères, on n’a pas le droit aux services offerts… Mon généticien ayant déjà reconfirmé mon diagnostic en se basant sur les nouveaux critères, je n’avais pas de doute, mais j’étais tout de même heureuse de la re-reconfirmation.
J’ai cependant eu la surprise d’obtenir un 9/9 au score de Beighton! Mais c’est aussi la première fois que le médecin prend en considération (comme il se doit), ce que j’ai déjà été capable de faire. Le calcul du score de Beighton, en effet, demande « peut ou a déjà pu… », mais trop de médecins, de un, exigent de voir (plutôt que de faire confiance à la parole du patient), alors que souvent il est dangereux de faire certains mouvements après des blessures ou chirurgies, et, de deux, ne tiennent pas compte de l’âge du patient. On ne peut pas faire à 40 ans ce qu’on faisait à 15, et on ne peut pas, non plus, faire après une chirurgie de reconstruction ou avec des ligaments déchirés, ce qu’on faisait avant.
Parmi les critères diagnostiques, elle a vérifié mes pieds, et a confirmé un truc que je me demandais depuis la parution des critères il y a deux ans : eh oui, j’ai bel et bien des papules piézogéniques, qui sont de petites boules de gras sur les talons et les côtés des pieds, qu’on voit surtout quand on se tient debout (voir les photos). Un critère que les autres médecins n’ont jamais pris en compte, je crois… Et moi qui n’était pas certaine, j’ai eu la surprise de l’entendre dire « Dommage que mes résidents ne soient pas ici, c’est un cas d’école! ».
Je dois avouer que c’est assez évident, finalement… peut-être que j’en avais moins en mars 2017 lorsque j’avais vérifié? Il me semble que je n’avais qu’une ou deux bosses de chaque côté… mais il faut dire qu’elles sont vraiment moins apparentes si je ne suis pas debout.
Pour les curieux : ça ne fait pas mal, ça n’est pas dangereux… c’est juste pas joli!
Suivant cette rencontre, nous avons changé de local et (ma mère avec moi, car elle poussait mon fauteuil et m’accompagnait) c’était alors au tour de faire face à trois inquisiteurs d’un coup : la rhumatologue encore, accompagnée d’une physiothérapeute (la responsable du programme de réadaptation) et un travailleur social.
En entrant dans le local je me suis dit qu’il était heureux que je ne sois plus pathologiquement gênée comme lorsque j’étais jeune, parce que devoir parler devant trois inconnus m’aurait figée (dire que maintenant je donne des conférences!).
Ils m’ont bombardée de questions pendant une autre heure, chacun leur tour : les médecins que je vois, les médicaments que je prends, l’historique de mes symptômes, mon réseau social, ma relation avec mon conjoint, mon travail, mon implication bénévole pour la sensibilisation, ma douleur, mes blessures, mon ressenti, mes comorbidités, etc.
Pas besoin de dire que j’étais é-pui-sée en sortant de là. N’importe quel rendez-vous de deux heures, c’est épuisant, mais un rendez-vous où il faut parler beaucoup, et émotif en plus… ouf!
J’ai trouvé que la rhumatologue était moins sympathique en compagnie des autres intervenants que lorsque nous étions seules avec elle… peut-être était-ce surtout en raison des questions qui étaient d’un genre différent.
Par exemple, elle a commencé la rencontre avec des affirmations, pas des questions (je déteste ça) : « Donc, vos médicaments ne sont que pour vos douleurs et vos migraines… » (après les avoir passé en revue). Euh… vraiment pas! J’en prends une quinzaine et uniquement le tiers sont pour ces problèmes.
Puis « Vous n’avez donc rien d’autre à part le SED… » Hein? Malheureusement, ce n’est pas du tout le cas!
Ensuite, elle a carrément ridiculisé la technique d’injections de plasma riche en plaquettes (PRP), quand j’ai mentionné que c’était la prochaine étape pour mes genoux… laissant entendre qu’il ne s’agissait que de charlatanisme et disant carrément que ce serait jeter mon argent par les fenêtres que de l’essayer. Pourtant, c’est une méthode utilisée dans des cliniques réputées, qui m’a été conseillée par de nombreux spécialistes, depuis plusieurs années, et pas par des médecins du privé essayant d’avoir mes sous… J’ai lu plusieurs articles médicaux sur le sujet, et nulle part il n’est dit que c’est complètement inutile. L’effet n’est pas prouvé hors de tout doute, il y a trop de différences entre les études pour faire consensus, mais la majorité a tout de même démontré un certain effet. Comme je commence à ne plus répondre aux injections d’acide hyaluronique et que je ne réponds pas à la prolothérapie… ça mérite au moins un essai.
Par la suite, alors que je venais tout juste de répondre que la chose qui m’angoissait le plus était de revivre le stress de mes années d’errance diagnostique, avec de nouveaux symptômes, mais pas d’explication, et l’impression que les médecins ne cherchent pas vraiment… elle m’a assuré que si le rhumatologue que j’avais vu l’année précédente avait éliminé une cause rhumatologique, c’était certain que je n’avais rien de rhumatologique, mais que si je désirais revoir un rhumatologue, je devrais simplement retourner voir ce médecin-là! Impossible qu’il se soit trompé. Elle n’avait clairement pas entendu ce que je venais de dire…
Si vous vous demandez pourquoi une rhumato me conseillait d’aller en voir un autre, plutôt que de s’en occuper : elle-même ne s’occupe que des évaluations au programme et ne fait aucun suivi.
À un moment donné, vers la fin de la rencontre, alors qu’on venait d’aborder un peu l’historique des choses et le fait que ma situation se détériore, le travailleur social a demandé à ma mère comment elle vivait ça. Elle a répondu qu’elle trouvait ça évidemment très difficile, qu’elle aurait voulu que je n’aie pas à vivre ça et aimerait tellement pouvoir y faire quelque chose… et s’est mise à pleurer. Elle qui déteste tellement pleurer en public! Juste la voix qui se brise et quelques larmes, mais elle s’en est excusée (franchement!)… J’ai aussi eu les larmes aux yeux, et on s’est enlacées. Un moment difficile, mais beau en même temps.
Ça ne m’a pas surpris qu’elle craque : ça faisait presque deux heures qu’elle m’entendait raconter à quel point ça va mal!!!
C’est là que j’ai appris que j’allais ensuite avoir rendez-vous avec le travailleur social, et avec une nutritionniste… et qu’éventuellement j’allais rencontrer une ergothérapeute, ainsi qu’un orthésiste qui allait passer l’ensemble de mes orthèses en revue, remplacer celles qui ne sont plus adéquates et en commander de nouvelles au besoin… puis, éventuellement, commencer la réadaptation en tant que telle avec l’équipe de physiothérapie.