‘Les Sept Jours’ de Ronit et Shlomi Elkabetz, France/Israël, 2008
Avec Ronit Elkabetz, Moshe Ivgy, Yaël Abécassis, Hanna Lazlo…etc.
Sortie officielle en France : 02 juillet 2008
CRITIQUE. On pleure et l’on gémit. On gesticule et l’on s’effondre. L’un des neuf frères de la famille Ohayon, juive et d’origine marocaine, est mort. Frères, sœurs, mère, tantes, belles-sœurs et beaux-frères sont venus pleurer cette disparition au cimetière. Commence alors la longue période de deuil pour la famille, la shiva : sept jours d’enfermement dans la maison du défunt, sans sortir, sans se raser. Sept jours où, peu à peu, les liens du sang vont révéler leur véritable nature : rancunes et jalousies vont émerger progressivement jusqu’à exploser.
C’est le deuxième opus de la trilogie familiale de Ronit et Shlomi Elkabetz. Plus complet, plus nuancé, plus universel que ‘Prendre femme’, le premier volet, sorti en 2004, qui évoquait les rapports chaotiques de Viviane (interprétée par Ronit Elkabetz) et d’Eliahou, son mari. ‘Les Sept Jours’ donne vite le ton. Dès la première scène, on sait ce qu’on est venu voir : un deuil, peu de ciel à l’écran, du noir partout, des gesticulations et des pleurs, des voix, de l’exagération.
Une sirène retentit. Nous sommes en 1991, Israël tremble sous la menace des bombes chimiques de Saddam Hussein. En plein enterrement, les membres de la famille Ohayon mettent des masques et poursuivent leur cérémonie. La scène est loufoque - c’est l’une des rares fois on l’on rira. Puis, on rentre dans la maison. Et le spectateur s’enferme avec la famille.
- Une pièce de théâtre
Il y a l’entrée en scène, au cimetière, avec tous les comédiens qui s’exposent. La sirène, qui leur rappelle que l’heure est venue de mettre un masque, et de jouer le rôle que les autres membres de la famille attendent d’eux.
Et puis il y a la sortie de scène, qui répond à la première séquence du film : tous les comédiens avancent, au cimetière également. Une autre sirène a sonné la fin de la pièce. Mais - différence de taille ! - cette fois, les membres de la famille Ohayon ne crient plus, ne gesticulent plus ; ils marchent en silence se tenant par le bras ou la taille. Ils ne portent plus de masques.
Entre ces deux scènes, il y a la pièce à proprement parler qui permet l’évolution des personnages. Une série de plans-séquence où la violence des mots et des sentiments va se faire chaque fois plus forte. Le spectateur prend peu à peu connaissance de chaque personnage (et il y en a beaucoup !) et de son histoire personnelle. Au bout d’une bonne heure de film, on est soulagé de voir enfin les personnages s’expliquer ; une explication, perçue comme une délivrance. Et c’est là la grande différence de cet opus avec ‘Prendre femme’ où il n’y a presque pas d’évolution. Dans ‘Prendre femme’, on était face à un éternel recommencement, sans progression, sans changement, jusqu’à ce que, dans le dernier plan du film, on comprenne que Viviane a décidé de quitter Eliahou. Ici, il y a un cheminement qui aboutit aux excuses des uns et des autres (Simona et Vivianne, notamment), faisant de ces sept jours passés ensemble, un voyage initiatique.
- Triple huis-clos
Le principal point commun entre les deux films vient de l’univers d’enfermement qu’ils décrivent. Un enfermement qui, dans ‘Les Sept Jours’, se divise en trois couches, trois prisons, trois barrières. Chacune de ces couches apporte son lot d’obligations et d’interdits qui viennent se superposer aux autres.
Il y a d’abord la barrière physique : la maison du défunt. Lieu duquel il est interdit de sortir ; toute absence d’un membre de la famille est immédiatement remarquée et pointée du doigt par un autre membre. Un lieu dans lequel il est même impossible de s’isoler puisque dès qu’on essaye d’avoir une conversation privée ou de se retrouver seul, on est immédiatement interrompu par quelqu’un. Les étages représentent quelques possibles échappatoires éphémères (on est souvent rapidement invité à redescendre dans la salle commune).
Vient ensuite la prison que représente la famille. Bien plus difficile à fuir que les murs de la maison, la famille scrute, interroge, surveille, opine, dicte, reproche, interrompt, juge. La famille, ici comme dans ‘Prendre Femme’, est une cage. C’est d’autant plus vrai pour Viviane qui ne peut littéralement pas briser son mariage et obtenir le divorce sans l’assentiment de son mari, qu’elle a quitté trois ans auparavant. Surtout, les frères et les sœurs sont là pour rappeler systématiquement ce qu’on leur doit, ce qu’ils ont fait pour nous et ce qu’il va nous en coûter. Des règlements de comptes en continu.
Mais l’enfermement le plus fort, le plus psychologiquement oppressant et dictateur demeure la religion. Il faut couvrir les miroirs pour oublier les futilités du corps et se concentrer sur l’âme (c’est également la raison pour laquelle il est interdit de se laver ou de se raser). Le régime alimentaire est strict : un œuf dur et des lentilles pour le premier repas, pas de viande. Interdiction aussi durant les sept jours de la shiva, de s’asseoir sur une chaise haute ou de dormir sur un lit. ‘Les Sept Jours’ est, semble-t-il, un véritable portrait à charge de la religion observée à la lettre : l’un des plans les plus virulents à ce sujet est sans doute celui où l’on voit l’un des frères, Haïm, allongé par terre, alors qu’un lit est disponible à côté.
Bien sûr, de chacune de ces prisons, certains personnages tentent de fuir. Ils transgressent les interdits, défiant le qu’en-dira-t-on. On notera d’ailleurs que ces actes de rébellion viennent en majorité de la part des femmes qui sont les plus défavorisées par cet état de choses. Ce sont elles qui sont en ébullition constante et c’est par elles (Viviane et Simona) que seront mises au jour les vérités et les hypocrisies.
‘Les Sept Jours‘ est le portrait incisif d’une certaine vie en Israël. Celle que les réalisateurs, frère et sœur, ont vécu. Un document précieux dans lequel il peut être difficile de rentrer immédiatement - après tout, c’est très loin ! - mais ça vaut le coup d’essayer. Rien que pour la dernière scène, où tout se tait, où ils se tiennent par la main, montrant par là qu’ils ont appris.