Marc Levy brouille les pistes dans son dernier (plus pour longtemps). Le titre, Une fille comme elle, désigne un
personnage féminin. Disons tout de suite qu’elle s’appelle Chloé et gardons,
comme l’auteur, le reste pour plus tard. Entre les chapitres, un dessin montre
à quoi correspond ce dont on parle (Marc Levy n’a pas confiance dans
l’imagination de ses lecteurs) et le premier représente un immeuble tout en
hauteur de huit étages. Mais le personnage le plus attachant n’est ni
l’immeuble, le N° 12 de la Cinquième Avenue à New York, ni Chloé. Plutôt
Deepack, le liftier indien qui conduit avec doigté un vieil ascenseur
capricieux comme il convient à son grand âge. On laissera aux lecteurs de Marc
Levy le plaisir de découvrir cet homme, en même temps que Lali, son épouse
digne de lui.
Chloé est une énigme : elle commence à tenir son
journal dont le début est aussi celui du roman. Elle l’écrit, apprendra-t-on,
en cachette de son père « parce
qu’un journal est un jardin secret, voilà tout. » On reconnaît bien là
le style d’un romancier qui n’a jamais craint les clichés, se disant qu’il
était en mesure de leur redonner l’éclat du neuf. Cela fonctionne cependant
moins bien que les coups de chiffon doux donnés par Deepack à la manette en
cuivre de l’ascenseur.
Le mystère de Chloé est, croit-on, rapidement percé :
elle avait des jambes, sur lesquelles elle courait allègrement, elle n’en a
plus. Amputée sous les genoux, elle se trouve d’ailleurs, dans les premières
pages, à l’hôpital. Pour savoir ce qui lui est arrivé, on a le choix. Ou bien
on se laisse glisser paresseusement jusqu’au moment de la révélation, au dernier
mot du livre. Ou bien on joue le jeu d’un lecteur de romans policiers comme
Rivera, le collègue de Deepack qui le relève du soir au matin : « dénouer l’enquête avant le
flic ». Il y a bien un flic dans cette histoire, mais sur une voie
annexe au récit principal et il mène une enquête à laquelle lui-même ne croit
pas plus que nous. Quant à la solution, elle est venue à l’esprit bien avant la
fin, comme une évidence – ou comme la sortie trop visible d’un labyrinthe que
son concepteur pensait avoir rendu complexe.
Deepack a un neveu, Sanji, venu de Mumbai pour financer le
développement d’une plate-forme sociale plus apte que Facebook à nouer des
liens entre des personnes qui n’étaient pas faites pour se rencontrer. Suite à
des coïncidences et des péripéties que vous découvrirez au fur et à mesure,
Sanji et Chloé se rapprochent – en l’absence de toute plate-forme sociale, et
alors qu’ils n’étaient pas non plus faits pour se rencontrer. Ainsi va le
destin des personnages dans un roman d’été digne de ce nom, conçu pour mettre
du baume au cœur des lectrices et lecteurs désemparés par le monde qui les
entoure.
L’ambition littéraire de Marc Lévy est minimale, en
particulier si on compare Une fille comme
elle à un des plus célèbres romans situés dans les appartements d’un
immeuble : La vie mode d’emploi,
de Georges Perec. Il y a, dans les deux livres, une sorte de vue en coupe dans
laquelle nous voyons à quoi s’occupent des personnages très différents les uns
des autres mais que rapproche la géographie des lieux. Ensuite, il appartient à
l’auteur de les mettre en relation, de les faire coexister, de leur donner une
épaisseur digne de remplir la fameuse vue en coupe. C’est l’exercice virtuose
auquel se livre, selon des combinaisons subtiles, Georges Perec. C’est celui auquel
ne se hasarde pas Marc Lévy dont l’axe romanesque est la ligne droite d’une
cage d’ascenseur. On ne lui reprochera pas d’imposer à ses fans un travail de
déchiffrement auquel ils ne s’adonneraient peut-être pas volontiers.
Sur une échelle (subjective) des valeurs dont on aurait enlevé Georges
Perec, hors catégorie, pour ne garder que les autres romans de Marc Levy,
considérons que celui-ci a fait un peu mieux que la fois précédente (La dernière des Stanfield). Tout est relatif.