Après des mois de vrais-faux débats, qui ont donné lieu à une vraie-fausse restitution de la part du Premier ministre, il ne restait plus qu'à attendre Godot l'allocution du président de la République, seul véritable maître du jeu politique, en capacité (on l'espère du moins) de mettre un terme à la grave crise sociale. Hélas, "l'effet waouh" tant attendu par les ministres - et dont la seule formulation donne à montrer le niveau infantile atteint en politique - n'est pas arrivé. Pis, l'on peut même dire que l'exercice fut un échec patent, tant sur la forme que sur le fond...
Nous avons en effet eu le droit à une heure de discours trop généraliste, qui sentait d'ailleurs le réchauffé de l'allocution reportée en raison de l'incendie de Notre-Dame de Paris. S'ensuivirent des questions pendant une heure et demie - pas toujours très pertinentes - posées par une minorité des 320 journalistes présents, avec des réponses du président qui oscillaient entre grande pompe et flou artistique. En tout état de cause, l'ensemble donnait l’impression désagréable d'un président ancré dans ses certitudes et incapable d'avoir le ton et la mesure qui lui permettraient de renouer la confiance avec le peuple. Ce billet cherchera ainsi à présenter les principales annonces, en démêlant les informations vagues, les approximations voire les contre-vérités...
La conférence de presse du jeudi 25 avril 2019
Emmanuel Macron redoutait l'exercice et il avait bien raison, car ils étaient nombreux derrière leur écran à attendre de vraies propositions pour sortir de la crise. Voici le résultat en version extensive (2h24 de vidéo) :
Les principales annonces du président
Pour les lecteurs qui n'auraient pas envie, à raison, de s'infliger la totalité de la conférence de presse, l'infographie ci-dessous résume l'essentiel des annonces présidentielles :
[ Source : France 24 ]
Au-delà d'un refus catégorique d'entendre parler du référendum d’initiative citoyenne dont j'avais détaillé les tenants et aboutissants dans ce billet, le président bon prince a concédé un abaissement du seuil pour déclencher un référendum d’initiative partagée de peu d'utilité en pratique, et un droit de pétition local sorte de vague réminiscence de l'Ancien Régime... Le vote blanc n'a pas non plus était retenu pour des raisons peu crédibles, tandis que la dose de proportionnelle envisagée outre qu'elle reste modeste ne s'appliquera qu'à une échéance trop lointaine pour régler les problèmes graves d'aujourd'hui !
Et je ne parle même pas du Conseil économique, social et environnemental (CESE) dont les pouvoirs sont extrêmement limités, avec ou sans la proposition du président de tirer au sort 150 personnes pour y siéger. Quant à l'écologie, la taxe carbone semble avoir échaudé Emmanuel Macron pour longtemps, puisqu'il se contente de déclarations à peu de frais comme le tirage au sort (décidément !) de 250 personnes pour imaginer des solutions à l'indispensable transition énergétique.
Enfin, en matière économique, vous l'aurez compris, Emmanuel Macron garde son cap, considéré comme "juste", et n'est au fond prêt qu'à concéder un changement de méthode, comme il le dit si bien dans les deux minutes de vidéo ci-dessous :
Autrement dit, le président a toujours raison, et si vous n'êtes pas d'accord c'est que vous n'avez rien compris aux lois universelles de l'économie ; le gouvernement, magnanime, fera alors preuve de pédagogie pour vous l'expliquer. Fermer le ban !
Des annonces qui n'ont pas convaincu
Les résultats du sondage « Opinion en Direct », réalisé par ELABE en partenariat avec BFMTV suite à la conférence de presse télévisée d’Emmanuel Macron, montre que ni le président ni ses annonces n'ont convaincu les sondés :
Sondage ELABE pour BFMTV / Les Français et l'intervention télévisée d'Emmanuel Macron from contact ElabeEn résumé, 65 % des sondés n'ont pas trouvé le président convaincant et 78 % ne pensent pas que ses annonces permettront une sortie de la crise sociale que traverse la France depuis novembre 2018. La deuxième partie du quinquennat s'annonce à l'évidence sous de mauvais auspices...
La baisse des impôts
Le président a certes concédé qu'il y avait en France un problème d'injustice fiscale (voir mon billet pour les détails sur ce point), mais pour s'empresser de fermer la porte à toute hausse d'impôts pour les plus riches. Exit donc le retour de l'ISF, la création de tranches supplémentaires pour l'impôt sur le revenu, la fusion d'impôts, etc. Bref, il rappelle avec force qu'il est avant tout le président du "bloc bourgeois" pour reprendre l'expression de l'excellent livre de Bruno Amable, ce que j'avais pour ma part plus prosaïquement rendu dans ce billet par l'expression président des riches.
Ainsi, à l'instar de son Premier ministre - qu'en d'autres temps un président qualifié de collaborateur -, il en a conclu par un subtil glissement sémantique que les Français souhaitaient avant tout des baisses d'impôts. Et bien entendu, celles-ci seraient financées à périmètre budgétaire constant par des baisses de dépenses publiques mâtinées d'une suppression de quelques niches fiscales pour les entreprises. Bref, revoilà le concept zombi appelé théorème de Schmidt, selon lequel si les dépenses publiques baissent, alors il est possible de diminuer concomitamment les impôts prélevés en particulier ceux des entreprises, d'où l'enclenchement d'un cercle vertueux suivant : baisse des impôts et cotisations sur les entreprises => hausse des marges => hausse de l'investissement => hausse des emplois. Hélas, l'économie réelle ne veut décidément pas fonctionner ainsi, mais à l'image des Shadoks, il faut continuer à appliquer cette politique économique même si elle ne donne aucun résultat, car "plus ça rate et plus on a de chances que ça marche un jour"...
Toujours est-il que le président de la République a donc annoncé 5 milliards d'euros de baisses d'impôts pour les classes moyennes qui travaillent, sans que l'on se sache très bien qui sont lesdites classes moyennes laborieuses. Tout au plus, a-t-on appris par la voix très autorisée de Bruno Le Maire, qu'il s'agit de se concentrer sur les deux premières tranches de l'impôt sur le revenu au moyen des systèmes de décote afin de faire baisser l'IR pour 15 millions de foyers fiscaux : 350 euros en moyenne pour les foyers fiscaux qui sont dans la tranche à 14 % et 180 euros pour ceux dans la tranche à 30 %.
Hélas, outre que les plus riches bénéficieront a priori aussi de cette réduction (sic !), les classes moyennes financeront in fine elles-mêmes ces baisses d'impôts par la baisse de dépenses publiques, c'est-à-dire la suppression de nouveaux services publics. C'est donc le pire cadeau fiscal que la classe moyenne puisse imaginer ! Dans ces conditions, il y a du cynisme à évoquer un objectif de lutte contre l'évasion fiscale qui "mine l’adhésion à l'impôt" (resic !), d'autant que la suppression du verrou de Bercy présenté comme une réussite personnelle du président occulte en réalité l'hostilité dont le gouvernement avait fait montre sur cette question !
Et quant à ceux qui m'objecteront que les services publics seront préservés, puisque le président a suggéré la création d'une "maison France Services", qui regrouperait dans un même lieu pour chaque canton les services publics, il faut garder à l'esprit que les maisons de services au public (MSAP) existent déjà depuis 2014 (idée de Manuel Valls) et qu’elles souffrent d'un sous-financement criant...
Le temps de travail des Français
« La France travaille en moyenne beaucoup moins que ses voisins : on commence plus tard, on part plus tôt et on travaille moins dans l’année ». Voilà typiquement le genre de sentence qui se dément très vite, surtout si le président cherche à comparer les travailleurs en France à ceux de l'Allemagne, du Danemark ou des Pays-Bas, comme le montre le graphique ci-dessous :
[ Source : OCDE ]
Je consacrerai un prochain billet au temps de travail, c'est pourquoi je ne développerai pas plus sauf pour dire qu'au vu de la productivité par emploi en France, il n'est pas utile d'augmenter le temps de travail de ceux qui ont un emploi. Il serait bien préférable de créer des emplois de qualité, protecteurs et bien rémunérés pour que le plus grand nombre en ait un et puisse ainsi contribuer au développement économique (même si le travail rémunéré n'est pas la seule source de création de richesses, tant s'en faut) !
Par ailleurs, le président de la République souhaite à l'évidence ménager la chèvre et le chou sur la question de l'âge de départ en retraite, d'où des annonces alambiquées qui cachent très mal le fait qu'il faudra désormais travailler plus longtemps pour toucher une retraite pleine :
Quant à la réindexation des pensions de retraite sur l'inflation - d'abord pour celles inférieures à 2000 € en 2020, puis toutes les autres en 2021 -, ce n'est qu'un simple retour dans un passé récent, car jadis elles étaient même indexées sur l'évolution des salaires. Au demeurant, je ne peux résister au plaisir de rappeler que la sous-indexation des pensions de retraite prévue dans le budget de la Sécurité sociale pour 2019 fut censurée par le Conseil constitutionnel... Emmanuel Macron se contentera donc de faire appliquer la loi sous couvert d'avoir fait un geste envers les retraités !
En tout état de cause, même s'il ne l'a pas admis explicitement, le président de la République sait très bien que c'est en raison des gilets jaunes qu'il a été contraint à deux reprises - en décembre et maintenant - de revoir sa copie. Hélas, à chaque fois ses annonces furent à contretemps, très imprécises voire parfois même volontairement ambiguës, et toujours présentées à tort comme de grandes avancées sociales, alors qu'il ne s'agit en fin de compte que de rustines destinées à éviter de remettre en cause un système néolibéral d'où l'Homme est le grand absent... donc le grand perdant !
P.S. : l'image de ce billet provient de cet article de Libé.