Salut à tous,
Du site Le Quotidien : L’auteur de cette chronique, Frédérick Lavoie, est journaliste international indépendant et écrivain.
¨Il m’arrive de me demander si je ne suis pas trop naïf ou peut-être même un peu bête.
Au
cours des dernières années, principalement en ma qualité de journaliste
international indépendant, j’ai interviewé des affamées et des
affamants, des meurtriers et des meurtris, des déplacées et des
déplaçants, des désespérées et des désespérants. J’ai respiré l’air de
moins en moins respirable de mégapoles de plus en plus polluées, car de
plus en plus habitées et de moins en moins habitables. J’ai vu des gens
se soulever contre des dictatures, et des armes les ramener sur terre ou
les envoyer au ciel. J’ai couvert des conflits et des lendemains de
massacre, des élections truquées et des procès qui l’étaient tout
autant. J’ai vu les conséquences de la puissance de la nature face à
l’humain et celles de l’arrogance humaine face à la nature.
Et en dépit de tout cela, je continue obstinément à vouloir adhérer
au monde dans lequel je vis. Je me refuse à le refuser. Je refuse de me
poser en victime innocente de mon époque et de ses travers.
Vu du présent, il serait facile de croire que nous vivons dans une
ère particulièrement sombre de l’histoire de l’humanité. La médiocrité
et la dangerosité de certains personnages dominants de l’actualité et
les souffrances que nous observons ou que nous subissons dans nos mondes
réel et virtuel semblent des preuves suffisantes pour en arriver à
cette conclusion.
Or, sans nier ni diminuer ces réalités, il est sain de se rappeler
qu’il n’y a jamais eu si peu de guerre, de violence et d’injustice
qu’aujourd’hui et que les humains n’ont jamais autant mangé à leur faim,
vécus en si bonne santé et aussi longtemps.
Statistiquement parlant, il n’a jamais fait si bon d’être humain sur cette planète qu’en ce moment.
Ce constat, il est vrai, est une mince consolation pour l’enfant
yéménite au ventre creux coincée sous les bombes, l’écrivaine turque
injustement emprisonnée, le fermier indien croulant sous les dettes ou
le Saguenéen atteint d’un cancer. Aucun chiffre prouvant la qualité
objective de notre présent ne fera jamais le poids face à notre
expérience personnelle du réel. Vivre à une époque formidable dans un
pays formidable n’est pas une garantie de bonheur, comme vivre en
dictature ou dans la pauvreté n’est pas une condamnation absolue à la
misère de l’âme et à la soumission.
Le mode de vie semi-nomade que j’ai choisi – parce que j’ai eu le
privilège de le choisir – m’amène à côtoyer le pire et le meilleur de
notre monde. Je partage ma vie entre Bombay et Montréal ; entre l’Inde
et le Québec ; entre une mégapole polluée, bruyante et surpeuplée où les
inégalités socioéconomiques abyssales sont visibles à chaque coin de
rue, et une petite métropole tranquille d’un pays développé au climat
certes hostile, mais où au moins la moitié des humains de la Terre
rêveraient d’habiter.
À force de passer d’un environnement à l’autre, d’un extrême à
l’autre, j’ai appris à naviguer sur les courants souvent opposés et
antagonistes qui traversent et façonnent l’humanité ; j’ai appris à me
réconcilier avec les contrastes, même s’ils continuent souvent de me
prendre au dépourvu, de me fasciner ou de me révolter.
Je me souviens un après-midi d’entendre pleuvoir de beaucoup trop
près les obus sur l’aéroport de Donetsk, dans l’est de l’Ukraine.
Quelques minutes plus tard, j’étais dans un restaurant où de jeunes
couples mangeaient des pizzas et des sushis en flirtant. La guerre et
l’amour faisaient rage à quelques kilomètres de distance, imperméables
l’une à l’autre¨...
Pégé
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MacOS X iBook, version 10.4.11 ¨Tiger¨.