On a beaucoup parlé du troisième roman du tunisien Yamen Manai publié aux éditions Elyzad sous le titre L’amas ardent. Etrange titre. Ce roman a obtenu l’an dernier le prix des 5 continents de la Francophonie et il concourt cette année pour le Prix Orange du livre en Afrique. Il faut dire que ce texte a tout pour interpeler le lecteur, s’inscrivant dans l’actualité en réussissant à questionner le développement durable, le populisme islamique le tout sur un fond de mondialisation…
Et, le travail de l’auteur totalement abouti est loin d’être un opportunisme de l'écrivain tunisien.
Ce roman conte l’histoire d’un vieil apiculteur, Le Don, qui vit sur les hauteurs pauvres, misérables d’un village perdu du Maghreb. On peut être en Tunisie, mais il me semble que l’écrivain ne s’attarde pas sur cet aspect des choses. Le lecteur attentif pourra au travers de la narration reconnaître la montée au pouvoir du parti Ennahda ou encore la chute de Kadhafi. Le jeu de l'écrivain est subtil et dans le fond très intéressant. Quand je parle de village perdu, les mots sont justes. Ce type de contrée complètement coupée du reste du pays et de la planète où les autorités politiques n’y mettent les pieds que très rarement. Yamen Manaï décrit un quotidien de ces populations particulier de ces certains personnages. Il évoque une campagne électorale qui va permettre à deux caravanes de venir vendre des projets de société très différents. La première chose que j’ai envie de dire en abordant cette dimension de ce roman, c’est la redoutable efficacité du romancier tunisien à décrire en peu de ligne et de manière très simple certaines manipulations s'appuyant sur l'exploitation de la misère. Les ressorts du populisme sont les mêmes partout...
Le prix à payer du libre échange
Bofane le fait très bien en parlant de la RDC dans Congo Inc. Analyser les impacts concrets et brutaux de la mondialisation sur son pays. Ici, un apiculteur vit en osmose avec ses colonies d'abeilles, en marge du village. Il découvre un matin plusieurs ruches éventrées. L'enquête qu'il mène pour comprendre les raisons de cette agression le conduit à découvrir les actions de frelons asiatiques géants. J'avoue que cette phase du roman est géniale. La description des incursions de ces prédateurs sur les petites abeilles révèle tout le talent de l'auteur. Parfois, on n'est pas très loin du polar ou du thriller. On partage le combat de l'apiculteur parce qu'en tant que le lecteur, on est conscient que la question dépasse la ruée brutale d'imposteurs. Il pose la question du développement durable dont la destruction des abeilles constitue une des illustrations concrètes. On entend le second discours, métaphorique, du romancier tunisien.Contre l'obscurantisme
Il n'est en effet pas difficile de faire un parallèle entre les filles de l'apiculteur (les abeilles) agressées dans leurs espaces respectifs et le drame qui se joue dans la localité de Nawi où le parti de Dieu s’est imposé, haut les mains. La posture de l’apiculteur mérite qu’on s’arrête sur le sujet. Il est croyant sans se soumettre aux lois strictes de l’islam. La description de son itinéraire de vie, explique sa position et la célébration du Créateur qu’il observe au travers de l’organisation des abeilles. Yamen Manaï propose une galerie de portraits et d'attitudes précis face aux sollicitations, aux voix qu’on achète, aux hommes auxquels on fait miroiter des combats au nom d’une cause supposée divine. Ce que ce roman nous dit, c’est que dans le fond, il y a une solution, un antidote pour tout. L’apiculteur observe le mal, il en a une profonde expérience. Et quelque soit sa forme, il le combat en employant tous les moyens possibles. Un très beau roman sur notre temps et la nécessité de résister. Et le savoir, le livre, la connaissance constituent une clé fondamentale.Yamen Manaï, L'amas ardentEditions Elyzad, première parution en 2017